Série - Musées en Outre-mer : Le musée du Rhum en Martinique, entre tradition séculaire et innovation éco-responsable

©  Danbeal

Série - Musées en Outre-mer : Le musée du Rhum en Martinique, entre tradition séculaire et innovation éco-responsable

A travers cette série, Outremers360 vous propose de partir à la découverte des musées en outre-mer : leur histoire patrimoniale, sociale et territoriale, leurs collections, leur programmation culturelle et leurs projets à venir. Cette semaine, Outremers360, vous propose de découvrir le musée du Rhum, situé au sein de la distillerie Saint-James à Sainte-Marie, en Martinique. Ce musée retrace l'évolution de la production du rhum depuis le XVIIe siècle jusqu’à nos jours. Les visiteurs peuvent y découvrir des expositions sur les méthodes de distillation traditionnelles, les outils anciens, et les différentes étapes de fabrication.

 

Jules-Michel Fayad, responsable du musée du Rhum et de l'Habitation La Salle, a accepté de nous servir de guide dans ce voyage historique et culturel aux multiples saveurs et aux arômes envoûtants.

Une histoire et un savoir-faire séculaires

L’histoire du rhum Saint-James débute en 1765 à Saint-Pierre, lorsque le révérend Edmond Lefebure fonde la sucrerie Saint-James à proximité de son hôpital et élabore un alcool de canne à sucre appelé Tafia. Père supérieur au couvent des Frères de la Charité, il est également chimiste dans l'âme et saisit rapidement le potentiel des eaux-de-vie et leurs vertus médicinales. Il produit alors lui-même des rhums remarquables qu’il nomme « Saint-James » probablement afin de faciliter la vente de cet alcool aux colons de la Nouvelle Angleterre.

Saint-James se distingue par sa production de rhum agricole, une spécificité martiniquaise reconnue pour sa qualité supérieure. La production du rhum Saint-James commence dans les vastes champs de canne à sucre de la Martinique. Après la récolte, la canne est pressée pour en extraire le jus, qui est ensuite fermenté et distillé. Contrairement au rhum industriel, qui utilise la mélasse, le rhum agricole est fabriqué directement à partir du jus de canne, conférant au produit final une saveur unique et raffinée. Après distillation, le rhum est vieilli en fûts de chêne, où il développe ses arômes complexes avant d'être mis en bouteille.

Initialement, le rhum Saint-James était destiné à l’exportation. Il n'y avait pas de consommation locale de rhum à la Martinique, tout était exporté en vrac vers les ports de Nantes et Bordeaux. Entré sur le marché européen dans les années 1870, Saint-James devient la première marque de rhum agricole de Martinique. Il est rapidement reconnu comme une marque emblématique. Il est d’ailleurs mentionné dans le Larousse des marques du siècle. En 1902, après l’éruption de la montagne Pelée, la distillerie est en partie détruite et déploie ses activités sur le site de Sainte-Marie. En 1996, le rhum Saint-James bénéficie de l’appellation d’origine contrôlée, garantissant un produit de qualité respectueux des traditions.

En effet, depuis le XIXe siècle, le rhum est produit à l'aide d'une machine à vapeur. Le processus est simple : les peaux de canne séchées sont utilisées comme combustible, de la même manière que la sciure de bois alimente la machine. En s'appuyant sur un savoir-faire vieux de deux siècles et en évitant les technologies modernes, la distillerie Saint-James est parfaitement en phase avec les attentes écologiques actuelles.

« Les touristes nous disent souvent que notre méthode est exemplaire. Alors que nous pensions être dépassés et « has-been », nous pratiquons en réalité le recyclage des déchets et l'écologie depuis des années », nous explique Jules-Michel Fayad, fervent défenseur du développement durable et du tourisme responsable. A travers des pratiques respectueuses de l'environnement et de la culture locale, la distillerie contribue à la préservation des ressources naturelles et patrimoniales de l'île.

 Habitation Saint-James © danbeal
Habitation La Salle © danbeal
Jules-Michel Fayad ©Jules-Michel Fayad

De la canne à sucre à la bouteille

La visite du musée du Rhum est une véritable plongée dans l'histoire et la culture de la production de cet alcool en Martinique. Le parcours débute par les jardins, où l’on trouve de nombreux moulins à eau et à vapeur. Ensuite, le visiteur accède à l'ancienne maison du propriétaire de l'époque. Il peut ensuite poursuivre son parcours et découvrir les musées de la distillerie, de l’alambic et admirer la cave à Millésimes Saint-James qui propose une collection exceptionnelle de Millésimes datant de 1885 à nos jours.

Parmi les pièces les plus remarquables, on trouve une collection d'alambics charentais en cuivre, utilisés pour les premières distillations, ainsi que la locomotive à vapeur restaurée, qui transportait autrefois la canne à sucre des plantations à la distillerie. Les visiteurs peuvent également admirer des objets historiques, comme des fioles de rhum retrouvées dans les tranchées de Verdun en 1914 : « À l'époque, le rhum Saint James était un véritable réconfort pour les poilus », nous explique Jules-Michel Fayad. Enfin, le visiteur peut admirer la célèbre bouteille de forme carrée créée à la fin du XVIIIe siècle, pour permettre un empilement efficace dans les navires.

Le musée organise également une variété d'événements et d'activités pour ses visiteurs. Parmi les moments forts, on compte la Fête des Amériques et le Nouvel An, qui célèbrent la culture afro-descendante, ou encore la Fête du Rhum. Les visiteurs peuvent également participer à des dégustations de rhum, découvrir des expositions d'art et assister à des manifestations culturelles. Le train des plantations, récemment restauré, offre une balade pittoresque à travers les champs de canne à sucre, en passant par l’habitation La Salle à 1 km du musée et jusqu'au musée de la Banane, situé à 4 km de la distillerie.

Les visites sont conçues comme des expériences immersives, combinant histoire, culture et dégustation de rhums d'exception. L’enthousiasme et la connaissance approfondie des produits locaux ont fait de lui une référence incontournable pour tous ceux qui souhaitent découvrir le véritable esprit de la Martinique.

Musée du Rhum ©musée du Rhum Saint-James
 
Musée de la Distillerie ©Jules-Michel Fayad
Le train de la plantation ©Jules-Michel Fayad
Bouteille de rhum Saint-James datant de 1885
 ©musée du Rhum Saint-James

Le Spiritourisme : une réconciliation avec l'Histoire

 

Le musée du Rhum joue un rôle crucial dans la promotion de la culture et du patrimoine de la Martinique. En accueillant des visiteurs du monde entier, il contribue à faire connaître l'histoire complexe de l'île, marquée par l'esclavage et la production de sucre et de rhum.

Le rhum en Martinique est marqué par une histoire complexe liée à l'esclavage et à la misère. Alors que les alcools importés comme le whisky et le champagne étaient associés à la fête et au luxe, le rhum était souvent perçu comme un « alcool de détresse », consommé lors de funérailles et de moments de chagrin : « Les Martiniquais s’en servaient pour soulager leur blessure, panser leurs plaies », souligne Jules-Michel Fayad.

Avec l'essor du tourisme dans les années 1960 et la fermeture des grandes usines de sucre, la France cherche à transformer l'économie martiniquaise de la production de rhum vers une économie touristique. Cette transition met de côté la culture locale, en favorisant les grandes compagnies et le commerce destiné aux touristes, souvent au détriment de la population locale.

Les grandes compagnies aériennes, les hôtels de renom et les grands magasins, situés près du front de mer profitaient de cette économie touristique florissante. Les magasins pour touristes vendaient principalement des parfums, des montres en duty-free, du whisky, du champagne, mais pas de rhum ! Le rhum souffrait d'une mauvaise réputation, même son emballage n’était pas adapté. A cette époque le rhum était vendu en vrac dans des chopines d'un demi-litre, des roquilles d'un quart de litre et des musses d'un huitième de litre.

« Nous avons réalisé que la culture antillaise était absente de cette économie. Les touristes ne contribuaient pas au développement économique de l'île. Nous avons alors ouvert une boutique à Sainte-Marie, une petite distillerie. Et les touristes sont venus. Ils se sont intéressés aux machines, à la fabrication. Pour le touriste, le rhum évoque davantage le grand large des Caraïbes, les flibustiers, les boucaniers, l'exotisme et le voyage que l'esclavage ou la souffrance », précise Jules-Michel Fayad.

Fort de ce constat, Jules-Michel Fayad redouble d’efforts pour promouvoir l’histoire rhum dépositaire d’une culture mémorielle en Martinique. Le pari était alors de transformer ce patrimoine en un atout touristique majeur : « Né sur une distillerie et formé en histoire, j'étais naturellement destiné à m'immerger dans cette histoire douloureuse et passionnante », nous confie-t-il.

Le spiritourisme attire aujourd’hui des visiteurs curieux de découvrir ce produit emblématique qui incarne l'histoire, la culture et le savoir-faire de la Martinique, tout en contribuant à son développement économique et touristique. C’est ainsi que depuis plusieurs années la Martinique voit émerger des distilleries soucieuses de travailler selon un savoir-faire ancestral et désireuses de transmettre cet héritage précieux.

Pour visiter le musée du Rhum Saint-James : https://rhum-saintjames.com/visiter/

Pour découvrir Jules-Michel Fayad, précurseur du spiritourisme à la Martinique:https://www.michelfayadspiritourismemartinique.fr/

EG

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