A travers cette série, Outremers360 vous propose de partir à la découverte des musées en Outre-mer : leur histoire patrimoniale, sociale et territoriale, leurs collections, leur programmation culturelle et leurs projets à venir.
Cette semaine zoom sur le musée de Villèle à La Réunion qui « enrichit son parcours et ses collections en créant un nouvel espace d’apprentissage et de réflexion, le musée de l’habitation et de l’esclavage. Il ouvrira ses portes en 2026 sous la volonté du Président du Conseil départemental Cyrille Melchior. Le futur bâtiment moderne occupera près de 3 000 m² de surfaces sur les 8 hectares du domaine situé sur l’ancienne habitation agricole coloniale Panon-Desbassayns. Catherine Chane-Kune, Directrice de la Culture et du Sport au Conseil départemental de La Réunion et Xavier Leterrier, Directeur du musée de Villèle ont accepté de répondre à quatre mains aux questions d’Outremers360. L’occasion de revenir sur l’histoire du musée et sa programmation qui augure de nouvelles opportunités culturelles ».
Le musée de Villèle : témoin de l’histoire sociale de La Réunion
Inauguré en 1976, le musée historique de Villèle est le premier créé après la départementalisation de l'île en 1946. Patrimoine historique majeur, il prend appui sur un ancien domaine colonial où subsistent de nombreuses traces visibles et sensibles de la période de l’esclavage, de l’engagisme, du colonat. Il est à ce titre un témoignage incontournable de l’histoire économique, sociale et humaine de La Réunion.
Ses collections sont en rapport avec l’histoire du lieu et de la famille qui en a été la propriétaire pendant plusieurs générations. Elle a été dans le temps enrichie, ouverte sur des thématiques plus larges. Un des objectifs du projet départemental est d’enrichir sensiblement ces collections, par une politique d’achats, de prêts et de dons.
Quel est le parti pris muséographique du musée de Villèle ?
Pour l’ensemble des choix muséographiques et de valorisation du site, il s’agit de veiller à la préservation de l’indéniable authenticité comme de l’atmosphère si particulière du lieu, de la configuration des éléments patrimoniaux matériels et immatériels. Toutefois, cette orientation n’empêchera des constructions nouvelles avec notamment la création, en bordure du site, d’un bâtiment neuf d’architecture contemporaine quoiqu’inspirée d’une figure du moringue.
Mais plus globalement, le parti-pris muséographique de ce chantier est de rendre présents tous les acteurs de l’histoire de l’habitation et de la période esclavagiste à La Réunion, en écho avec l’histoire du monde et avec celle de l’océan Indien occidental : les esclaves ont jusqu’à présent été trop absents du discours muséal et du parcours de visite au regard du rôle qu’ils ont joué au sein des systèmes plantationnaires.
Comment a évolué le parcours du musée au cours des dernières années ?
Ces dernières années, surtout depuis 2018 - date du lancement de ce grand chantier culturel porté par le Département de La Réunion - le musée s’est préparé à porter l’importante refonte de son parcours, en intégrant explicitement dans son programme scientifique et dans son offre culturelle, la thématique de l’esclavage. En anticipation du futur musée, le musée a créé un Portail en ligne multilingue qui traite de l’histoire et de la mémoire de l’esclavage, initié un grand projet d’Atlas de l’habitation et de l’esclavage, repensé les principes de sa médiation culturelle, intégré au projet la valorisation du patrimoine paysager et historique... À terme, c’est vraiment tout le domaine qui doit résonner et raisonner « esclavage ».
Le nouveau musée de l’habitation et de l’esclavage
Le Musée historique de Villèle deviendra donc le musée historique de l’habitation et de l’esclavage, et ouvrira ses portes en 2026. Avec une muséographie résolument moderne qui proposera des clés de compréhension sur ce qu’étaient les habitations et ce que fût l’esclavage dans une société de plantation en milieu indianocéanique. Ce musée est appelé à devenir un lieu de référence dans l’île et à l’extérieur de l’île.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ce double projet architectural et scientifique ?
Le Département a donc le projet de donner une nouvelle identité et de conférer un nouveau rôle au musée pour en faire, à travers son nouveau parcours, son action scientifique et culturelle, un lieu de référence. Au fond, il s’agit pour également pour la Collectivité de doter La Réunion du musée qui lui manque, puisqu’il n’existe pas encore dans l’Île de musée consacré à l’esclavage.
Du point de vue scientifique, le projet l’ambition de donner à comprendre ce qu’était une habitation coloniale, son mode de fonctionnement sociologique et culturel car chaque habitation a été une Réunion en réduction. Il expliquera la manière dont se sont conjugués l’archaïsme d’un mode d’exploitation fondé sur l’esclavage et la modernité du machinisme qui caractérise la révolution industrielle. Il se fera fort, enfin, de révéler que l’habitation Desbassayns - et partant Bourbon / La Réunion, considéré à l’époque comme un territoire exclusivement agricole - fut un foyer d’invention et d’innovation dans lequel les esclaves ont joué un grand rôle, et dont l’influence a très largement dépassé le simple cadre de son insularité.
Le nouveau parcours constitue véritablement l’un des grands défis du nouveau musée. Il exposera l’histoire du site sur lequel il est implanté et les témoignages qui racontent cette histoire. Il rendra compte aussi de la toile de fond historique – soit, entre la moitié du 17è.s et la moitié du 19è.s, de l’histoire singulière des pays du sud-ouest de l’océan Indien, de la colonisation française, du fait esclavagiste – qui a vu naître dans l’île de La Réunion, le monde tout aussi singulier de l’habitation. Faire d’une ancienne demeure coloniale un musée historique implique certaines contraintes en termes de muséographie et d’équipements : sur le site classé aujourd’hui monument historique, l’écriture du discours muséal et de sa traduction en parcours muséographique, est complexe, à l’image de l’histoire du lieu et de son organisation spatiale.
Le projet architectural est conçu pour permettre au musée de remplir ses fonctions essentielles : conserver les collections, développer sa muséographie permanente et temporaire, organiser des espaces de travail pour ses équipes scientifiques, éducatives, administratives et techniques, produire de la connaissance sur ses thématiques de prédilection et sur ses collections en les valorisant, développer son activité pédagogique, accueillir un public en forte croissance et renforcer ses liens avec le quartier au sein duquel il est implanté.
Quelle médiation culturelle sera mise en place pour accompagner ces nouvelles collections ?
Le maître-mot de ce nouveau musée est l’ouverture. Ouverture sur le monde, plus particulièrement sur les pays de l’océan Indien et de l’Afrique, ouverture à des partenariats multiples, institutionnels, universitaires, culturels, associatifs… ouverture sur les acteurs de et sur les lieux réunionnais qui œuvrent dans le champ de l’histoire et de la mémoire, de l’éducation, de la création…ouverture sur l’environnement de proximité du musée, sur le quartier de Villèle.
Mécénat, partenariats… Comment s’organisent et se mettent en place les relations extérieures de ce nouveau musée ?
Tout comme l’esclavage pratiqué à La Réunion durant près de deux siècles s’inscrivait dans un contexte global, le musée s’inscrit dans le réseau des opérateurs nationaux, et au sein de son espace géographique régional et mondial.
D’emblée, le Département de La Réunion a noué des liens avec la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage et échange actuellement avec des partenaires en région, comme le musée d’Aquitaine. De même, des partenariats ont déjà cours avec les musées IZIKO d’Afrique du Sud ou sont bonne voie de réalisation avec les États-Unis (Université de Little Rock), des liens existent avec le Mozambique, les contacts sont pris avec la Namibie. Au programme : échange d’expositions, échanges de personnels en vue de renforcer les pratiques de médiation.
Plus largement pensez-vous que ces biais peuvent être les clés de développement des musées ?
Depuis plusieurs années, les musées occidentaux s’emparent des questions liées au colonialisme et à l’esclavage. Cette réflexion a donné lieu à des expositions temporaires et à des reconfigurations de collections permanentes, qui marquent des jalons importants dans le processus des héritages mémoriels et des modes de pensée.
Aussi, les partenariats ne sont pas des biais, mais des opportunités : Ils permettent de mettre en relation des institutions géographiquement séparées mais qui abordent, avec leurs particularités, la même histoire. Cela nous permet de nous questionner sur nos manières de concevoir une muséographie, de nous enrichir mutuellement sur la manière d’aborder les questions sensibles auxquelles touche la thématique de l’esclavage. À tous points de vue, c’est de l’enrichissement.
Comment exposer au mieux les collections sur ces sujets qui peuvent être sensibles ?
En les étudiant, sous différents prismes et en mobilisant au besoin plusieurs disciplines, et en expliquant le contexte qui a amené la production, à un moment donné, d’un objet ou d’une œuvre. Expliquer n’est pas justifier.
Une programmation culturelle prometteuse
Quel bilan peut-on en faire de l’exposition Edmond qui se termine le 20 décembre 2023 ?
Un bilan positif : les visiteurs (12 000 durant les deux jours du Gran 20 Désanm) ont pu découvrir, comme ce fut le cas dans le cas de Furcy, un personnage attachant, qui, bien qu’étant esclave, fut à l’origine d’une production à laquelle La Réunion doit une partie de sa renommée.
Quelle sera la programmation culturelle 2024 ?
En 2024, nous accueillons une exposition My name is February conçue par Iziko Museums of South Africa. Et réciproquement, nous exposons en Afrique du Sud Les noms de la Liberté, au slave Lodge (Cape Town).
L’exposition Furcy Madeleine sera présentée à l’université de l’Arkansas (Little Rock). Le musée se rendra également en Afrique du Sud en début d’année pour participer au colloque international Africa-Europe, Reinventing Museums, organisé par l’Institut Français en Afrique du Sud.
Nous travaillons également sur un projet d’exposition sur les médecines traditionnelles dans le centre et le sud du Mozambique et à l’élaboration d’un programme de recherche sur les « liens et l’héritage des traditions culturelles (médecine traditionnelle, usage des plantes) au Mozambique et à La Réunion dans les sociétés esclavagistes ».
Et puis naturellement, en décembre 2024, le musée accueillera, pour la 7ème année consécutive, les festivités et activités scientifiques et culturelles du Gran 20 Désanm.
Et de façon plus personnelle…
Quels sont les musées qui vous inspirent le plus ?
Xavier Le Terrier : Pour ma part, féru de maquettes et d’histoire des techniques, les différents sites du Musée national de la Marine et le Musée des Arts et Métiers.
Catherine Chane-Kune : Je suis quant à moi autant intéressée par les musées d’art que par les musées d’histoire.
Comment voyez-vous l’évolution des musées dans une société en pleine mutation technologique et culturelle ?
Les musées sont inscrits dans leurs sociétés. Ils ne peuvent rester à l’écart des mutations technologiques qui ont cours. Mais la technologie n’est pas une fin : les musées doivent y avoir recours comme moyen pour renforcer le caractère inclusif des parcours, lorsque d’autres moyens, plus « classiques », montrent leurs limites pour répondre aux besoins des musées. Ils ne doivent pas faire obstacles en tous cas, à la rencontre du public avec les objets.
Les musées sont certes des lieux de conservation, mais ils sont aussi des lieux où s’exerce la réflexion, le regard critique, et sur une thématique comme l’esclavage, un musée est assurément un lieu de construction de la citoyenneté.
Pour aller plus loin :
Le site du musée historique de Villèle : https://www.musee-villele.re/fr/
Le portail Société de plantation, histoire et mémoires de l’esclavage à La Réunion : https://www.portail-esclavage-reunion.fr/documentaires/l-habitation-desbassayns/histoire-de-lhabitation-2/histoire-de-lhabitation/
La Fondation pour la mémoire de l’esclavage : https://memoire-esclavage.org/