Série - Musées en outre-mer : Le musée départemental Edgar Clerc en Guadeloupe, sur les traces des premiers habitants de l’île, avec des programmes scientifiques novateurs

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Série - Musées en outre-mer : Le musée départemental Edgar Clerc en Guadeloupe, sur les traces des premiers habitants de l’île, avec des programmes scientifiques novateurs

A travers cette série, Outremers360 vous propose de partir à la découverte des musées en outre-mer : leur histoire patrimoniale, sociale et territoriale, leurs collections, leur programmation culturelle et leurs projets à venir. Cette semaine, Outremers360 vous propose de découvrir le musée départemental Edgar Clerc en Guadeloupe, un lieu emblématique où la passion pour l'archéologie amérindienne est transmise de manière captivante et enrichissante.

 

Situé au cœur de l’île caribéenne, le musée est dédié à la préservation et à la promotion du patrimoine archéologique des peuples amérindiens, premiers occupants de l’île. Il est un des rares musées des Antilles dédié à l’archéologie précolombienne et appartient dès son origine au réseau des Musées de France.

Photo musée Edgar Clerc @Conseil départemental de la Guadeloupe

Susana Guimarães, conservateur en chef du patrimoine, conservatrice du musée départemental Edgar Clerc et du parc archéologique des Roches Gravées, archéologue américaniste de formation, a accepté de nous guider sur les traces des ancêtres amérindiens. Depuis son enfance, Susana est fascinée par les civilisations amérindiennes, leur mode de vie et leur culture : « étudier l’archéologie était pour moi un moyen de découvrir l’altérité et d’approcher ces civilisations brillantes ».

On doit la création du musée à l’initiative d’Edgar Clerc, pionnier de l’archéologie dans l’île, qui a consacré sa vie à l'étude et à la préservation de la civilisation amérindienne en Guadeloupe. Né en 1915 en Martinique, Edgar Clerc commence ses travaux archéologiques dans les années 1950. Soucieux de transmettre ses recherches, il fonde la société d’histoire de la Guadeloupe et l’association des archéologues de la Caraïbe et diffuse ses recherches auprès de la communauté scientifique et de la population. En 1972 le ministère de la Culture reconnaît sa haute valeur scientifique et le nomme directeur des Fouilles et des Antiquités de la Guadeloupe. Quelques années plus tard, il fait don de sa collection, alors exposée chez lui, pour la création d'un musée public. En 1980, le Conseil général de la Guadeloupe décide de créer le musée Edgar Clerc en son honneur. Les travaux de construction débutent en 1982. Or la même année, Edgar Clerc, atteint d’une grave maladie, meurt. Il n’a pas le temps de voir l’achèvement de la construction de son musée.

Le musée départemental Edgar Clerc situé à La Rosette, sur la commune du Moule, en Grande-Terre, est inauguré en 1984. Le bâtiment, signé de l’architecte guadeloupéen Jack Berthelot, s'intègre harmonieusement dans un parc paysager de plus de trois hectares dans lequel le promeneur découvre différentes plantes amérindiennes aux multiples usages, alimentaire, médicinal, artisanal ou rituel.

© Conseil départemental de la Guadeloupe

Un voyage dans le temps

Dès l'entrée dans le musée, les visiteurs sont plongés dans un voyage à travers le temps et l’espace. Le musée propose un parcours de visite chronologique depuis l’arrivée des premiers amérindiens venus du bassin de l’Orénoque au Venezuela vers 2 500 avant J.-C. jusqu’au début du XXe siècle, en passant par l’arrivée des Espagnols avec Christophe Colomb puis des Français au XVIIe siècle.

Les premiers habitants de l’île, les Indiens Arawaks vivaient principalement de la pêche, de la chasse et de la cueillette de fruits locaux. Ils s’abritaient dans des refuges naturels comme des grottes. Ils avaient une bonne connaissance du territoire. Au fil des siècles, ces peuples amérindiens colonisent toutes les îles de l’archipel guadeloupéen. Le musée expose des céramiques datant de 200 ans avant J.-C., témoignant d’un mode de vie néolithique sédentaire. Les navigateurs deviennent alors des agriculteurs et des potiers. « Une grande partie de nos collections datant de cette époque provient du site de Morel à Marie-Galante. Les fouilles entreprises dans les années 1960 par le Père Maurice Barbotin ont permis de déterrer des lames de haches richement décorées, des poteries qui nous permettent de comprendre l’évolution des cultures, des parures en coquillages qui représentent des frégates, des chauve-souris et des éléments géométriques mais également des parures en pierres semi précieuses, notamment en quartz, améthystes et pierres vertes provenant du plateau des Guyanes, qui témoignent des échanges entre les îles », nous précise Susana Guimarães.

Le visiteur, voyageur du temps, est ensuite confronté au choc de la colonisation avec l’arrivée le 4 novembre 1493 de Christophe Colomb en Guadeloupe à Sainte-Marie. Ce quartier situé au nord de la commune porte d'ailleurs le nom d'un de ses navires. « Des traces de leur passage ont récemment été découvertes sur le site de Capesterre Belle-Eau. » nous indique Susana Guimarães. En débarquant en Guadeloupe, les Espagnols découvrent les Kalinagos, « les hommes forts » comme ils se désignent eux-mêmes. Les Espagnols les nomment Cannibales ou Caraïbes. Les Kalinagos auraient chassé les Indiens Arawaks vers les Grandes Antilles, à Hispaniola et Porto Rico, où ils vivaient encore lors de l’arrivée de Christophe Colomb.

Poterie saladoïde de Morel © Conseil départemental de la Guadeloupe
Chauve souris Taliseronde © Conseil départemental de la Guadeloupe

Les Espagnols à la recherche d’or ne s’attardent pas sur l’île et entretiennent des relations très ponctuelles avec les Kalinagos. Aussi lorsque les Français et les Anglais débarquent dans les îles aux alentours de 1630, pour s’y installer, les Amérindiens ont déjà été transformés par plus d’un siècle de contacts avec les Blancs. Toutefois, leur modèle de société égalitaire est éloigné du modèle occidental. Les derniers Kalinagos voient alors leurs territoires propres réduit aux îles de la Dominique et de Saint-Vincent par le traité de 1660 signé au fort Saint-Charles qui consacre la défaite des Kalinagos face aux militaires français et anglais. Jusqu’au début du XXe siècle, les terrains qu’ils occupent de façon collective vers Anse Bertrand sont confisqués et démantelés par les colons.

Une expérience unique

Les deux salles d'exposition sont soigneusement aménagées pour recréer l'atmosphère et l'environnement des civilisations amérindiennes. Des objets originaux provenant de toute la Guadeloupe et une maquette d’un village amérindien permettent aux visiteurs de découvrir la richesse culturelle et l'histoire fascinante de ces peuples anciens.

© Conseil départemental de la Guadeloupe

Le musée Edgar Clerc accueille différents publics notamment des touristes vacanciers intéressés par l'histoire précolombienne de la Guadeloupe ou amateurs d'archéologie, des résidents passionnés par l’histoire de leur île et des scolaires curieux de découvrir leurs origines. Le musée offre à ses visiteurs une expérience immersive qui les incite à se connecter personnellement à cette histoire ancienne.

A travers son service des publics et la nomination récente d’un professeur de service éducatif, le musée offre aux scolaires un travail pédagogique visant l’appropriation de l’histoire amérindienne de l’île, à travers les ateliers et les visites guidées : « Il est important d’être accompagné pour intéresser les enfants aux collections. Récemment, nous avons collaboré avec le fablab Bik-Lab qui nous a fait des impressions 3D de sceaux corporels amérindiens qui une fois trempés dans le roucou se transformaient en faux tatouages et suscitaient l’émerveillement des enfants. », nous explique Susana Guimarães.  

Pendentifs Morel© Conseil départemental de la Guadeloupe
Collier funéraire Morel © Conseil départemental de la Guadeloupe

De la terre au musée : un projet immersif inédit

Isabelle Gabriel, responsable des publics, archéologue de formation spécialiste de l’archéologie coloniale, au musée Edgar Clerc, est à l’initiative d’un projet pédagogique et scientifique inédit dans le monde muséal. Le projet, en partenariat avec le service du patrimoine de la ville du Moule, permet à des élèves de CE2 de participer à un chantier d’initiation en bordure de littoral. Les jeunes archéologues se familiarisent alors avec les différentes étapes de la recherche de terrain. Ils apprennent la stratigraphie, le maniement délicat de la truelle, du pinceau, la façon de noter les sachets, de prendre les photos, de dessiner le plan de la fouille, puis de laver convenablement le matériel. Les fouilles ont débuté l’année dernière et doivent s’achever dans trois ans avec le montage d’une exposition temporaire De l’archéologue au petit conservateur réalisée par les élèves eux-mêmes : « Espérons que cette démarche inédite qui mêle les aspects pédagogiques, scientifiques et culturels suscitent des vocations chez nos petits guadeloupéens. » souligne la conservatrice.

Maquette archéologique © Conseil départemental de la Guadeloupe

 Un engagement scientifique

Le musée Edgard Clerc est également impliqué dans des projets de recherche et de fouilles archéologiques préventives et programmées, offrant aux étudiants et aux passionnés d'archéologie la possibilité de participer activement à l'exploration et à la préservation du patrimoine amérindien. C’est dans ce contexte que le musée organisera dans quelques semaines, en partenariat avec le conseil départemental, la ville du Moule et le Centre Nationale de la recherche scientifique (CNRS) un séminaire ouvert au public qui abordera la problématique de l’érosion sur l’archéologie du littoral. Le musée marque ainsi sa volonté de s’engager dans des programmes de recherches scientifiques comme celui mené dans le parc archéologique des Roches Gravées qui abrite sur près d'un hectare une grotte et 18 ensembles de roches volcaniques gravées par les Arawaks entre 300 et 400 ans après J.-C. Susana Guimarães souligne que « les travaux de recherches menés en partenariat avec les universités des Antilles, de Cambridge et le CNRS créent une dynamique autour de nos collections ce qui nous permet de faire évoluer les expositions et de faire vivre ces collections anciennes qui ont encore des choses à nous dire ».

Lame de hache Morel © Conseil départemental de la Guadeloupe
plat funéraire Saladoïde Folle Anse © Conseil départemental de la Guadeloupe

Cette implication active dans la recherche crée un lien fort entre les visiteurs et le musée, les incitant à s'engager davantage dans la préservation de l'archéologie amérindienne. Gardien d’un héritage culturel, le musée se mue en un espace mémoriel des civilisations disparues : « C’est un musée qui parle d’une communauté à qui on a volé la parole pendant 500 ans », conclut Susana Guimarães.

Trois Pointes Morel © © Conseil départemental de la Guadeloupe
Sceaux © Conseil départemental de la Guadeloupe

Le Département de la Guadeloupe a engagé un projet de rénovation ambitieux du musée, qui doit aboutir à une muséographie renouvelée propice à créer chez le visiteur une véritable réflexion sur l’histoire amérindienne et la richesse patrimoniale de la Guadeloupe.

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