A travers cette série, Outremers360 vous propose de partir à la découverte des musées en outre-mer : leur histoire patrimoniale, sociale et territoriale, leurs collections, leur programmation culturelle et leurs projets à venir.
Cette semaine, Outremers360 vous emmène à Bandrélé, au sud-est de l’île de Mayotte découvrir l’éco-musée du sel dédié au travail ancestral des saunières, les Mamas Shingo (les mamans du sel en shimahorais) héritières d’un savoir-faire ancestral perpétué dans la tradition de l’oralité et qu’elles transmettent aux nouvelles générations. Cette communauté constitue un modèle de sauvegarde de ce patrimoine culturel immatériel de Mayotte. Ayouba Saffaride, directrice de l’office de tourisme intercommunal sud, nous explique comment, avec la collaboration des acteurs institutionnels de la région, elle a réussi à dynamiser la commune de Bandrélé en créant des passerelles entre culture et tourisme et ainsi préserver le fragile équilibre entre tradition et innovation.
Dynamiser la commune en valorisant un savoir-faire ancestral
A l’origine, les Mamas Shingo étaient organisées autour d’un projet collectif d’entraide et de solidarité. « Elles produisaient déjà du sel. Ce n’est qu’en 2001, qu’elles se structurent en association, sous l’impulsion de deux jeunes mahorais de l’ANPCBA (Association pour le nettoyage et la propreté de la commune de Bandrélé), messieurs Alloui et Inzoudine, soucieux de dynamiser la commune de Bandrélé en valorisant la technique séculaire et singulière de fabrication du sel », nous explique Ayouba Saffaride. En effet, autrefois, le sel de Bandrélé alimentait toute l’île de Mayotte. Aujourd’hui seuls les habitants de la région l’utilisent dans leur cuisine quotidienne. Mais grâce à l’écomusée du sel, ses qualités et ses propriétés sont reconnues dans toute l’île et au niveau international.
Le sel de Bandrélé présente trois caractéristiques spécifiques qui le différencient du sel importé : sa couleur est plus sombre que celle du sel importé, il est très riche en oligo-éléments tels que le zinc, bore, fer, magnésium, potassium... et possède une saveur particulière appréciée des consommateurs. Ces trois caractéristiques sont directement liées au mode de fabrication et à la nature des limons.
En effet, contrairement aux techniques de saliculture où le sel est récolté par évaporation de l’eau de mer sous l’action du soleil, le sel de Bandrélé s’obtient à partir de la récolte du limon puis au séchage au feu de bois. Cette technique ancestrale s’explique par la typologie particulière du littoral de l’anse de Bandrélé composé d’une plage qui sépare la mangrove d’une plaine côtière. Au moment des très hautes marées l’océan submerge cette partie du littoral et se mélange à la terre formant alors le limon, sorte de couche d’argile et de sable chargée de sel.
La fabrication du sel peut alors commencer selon trois étapes, la récolte, la filtration et l’évaporation « comme le faisait ma grand-mère » se souvient l’une des membres de l’association. Les Mamas Shingos grattent le limon avec une coque de noix de coco ou un ustensile faisant office de raclette. Le limon ainsi récolté est stocké sous des bâches pour le protéger de la pluie. Il est ensuite déposé dans un plateau métallique rectangulaire dont la base a été trouée et sur lequel on applique un tissu. Les Mamas Shingo le recouvre alors d’eau douce ou d’eau de mer. Le mélange est ainsi filtré et nettoyé. Enfin la saumure est chauffée sur un feu de bois pendant plusieurs heures. Les Mamas procèdent à l’écumage régulier jusqu'à évaporation complète de l'eau afin obtenir les cristaux de sel d'une blancheur éclatante réputé pour sa teneur en zinc, fer et magnésium.
Ce mode de production de sel ne peut se faire que durant la saison sèche en raison des difficultés de chauffage et de séchage du sel après évaporation et des conditions de travail en extérieur pénibles sous la pluie. Aussi, durant la saison des pluies qui s’étend de décembre à avril, la production de sel s’arrête. Le limon est top boueux pour être exploité. Cette contrainte apparente permet en réalité le « rechargement » en limons du bassin de collecte, gage d’une certaine durabilité. Les saunières mettent alors à profit cette période d’accalmie pour vendre leur récolte. La commercialisation du sel est une démarche très récente. À l’image de nombreuses autres productions agricoles et agroalimentaires mahoraises, le sel faisait l’objet d’échanges ou était réservé à la consommation du ménage.
Une pratique 100% féminine
La société traditionnelle mahoraise se caractérise par une organisation matrilocale ou matrilinéaire, où la résidence est basée sur le lignage de la mère. Cela signifie qu'après le mariage, le couple vit généralement avec ou à proximité de la famille de la mariée. L’organisation sociétale est structurée autour des femmes. C’est donc tout naturellement que les femmes de Bandrélé ont pris l’initiative de se tourner vers la fabrication et la production de sel.
Bien que principalement féminine, l’association des Mamas Shingo est aujourd’hui présidée par un homme : « Aujourd’hui les femmes exercent un travail et ne trouvent plus le temps de s’occuper de la production de sel. Des hommes proches des Mamas Shingo qui ont grandi avec elles et qui sont passionnés se sont portés volontaires pour les aider au sein de l’association. Récemment, monsieur Fouad Maddy a beaucoup œuvré pour les Mamas Shingo en tant que secrétaire de l’association », nous explique Ayouba Saffaride regrettant que le renouvellement des générations peine à se mettre en place au sein de l’association.
Une gouvernance collaborative fructueuse
Depuis la création de l’association loi de 1901, la commune de Bandrélé accompagne les Mamas Shingo via son service culture, dans leurs démarches institutionnelles. Ayouba Saffaride nous explique qu’ainsi « en 2014, la mairie de Bandrélé a permis à l’association de bénéficier de 15 000 euros de fonds européen du programme LEADER qui ont permis de financer de nouveaux équipements et du matériel. »
En 2017, la mairie passe le flambeau à la toute nouvelle intercommunalité du sud qui reprend pleinement la compétence tourisme à travers l’office de tourisme. La gestion de l’écomusée s’établit alors entre la mairie de Bandrélé, l’office de tourisme Intercommunal Sud et la Communauté de communes du Sud, CCSud et les services départementaux de l’Etat. L’association des Mamas Shingo se concentre alors sur la transmission du savoir-faire et la récolte du sel.
Acteur du développement économique et de l’attractivité de la région sud de Mayotte, l’écomusée du sel est également une structure de formation et d’insertion professionnelle. Ainsi les visites sont animées par des jeunes en insertion mis à disposition par la CCSud. Récemment, le musée a accueilli une stagiaire en master tourisme.
Ayouba Saffaride souligne que le site est « un équipement touristique d’intérêt communautaire inscrit dans les textes de l’Intercommunalité du sud et la Communauté de communes du sud, CCSUD. ». Et d’ajouter que « toutes les personnes de l’association ont un métier à temps plein. C’est donc dans ce contexte que la mairie et la CCSud ont décidé d’animer davantage l’écomusée pour en faire un site vivant, un centre d’interprétation, un musée sans collection. » Lieu de mémoire, l’écomusée du sel met en valeur et facilite la compréhension, auprès d'un large public, d'un patrimoine immatériel unique et caractéristique de la région sud de Mayotte.
En mars 2022, les Mamas Shingo bénéficient d’une reconnaissance internationale et reçoivent le prix européen Leader pour l’égalité femmes-hommes.
Développer des partenariats et renforcer l’attractivité de la région
Depuis quelques années Ayouba Saffaride s’inscrit dans une logique de partenariat afin de s’inspirer des modèles existants : « l’idée est de prendre exemple sur leur gouvernance, mieux comprendre comment ils fonctionnent et éviter les écueils ». Plusieurs pistes sont envisagées pour développer des partenariats afin de « s’inscrire dans une dynamique collective en gardant ce qui fait notre singularité ».
Mais le principal objectif reste celui de travailler plus étroitement avec des musées mahorais valorisant le savoir-faire artisanal traditionnel comme le musée de la broderie dans le sud de l’île. Pour y parvenir, Ayouba Saffaride nous dévoile son projet : « L’idée c’est de mener une étude globale pour structurer les richesses de Mayotte à travers la valorisation du patrimoine immatériel et le développement économique circulaire afin que les produits artisanaux et agricoles participent du développement touristique de l’île. »
Véritable attraction touristique et culturelle, l’écomusée de Bandrélé accueille chaque année 1 500 visiteurs principalement des groupes scolaires et des personnes âgées. Les générations s'y croisent, curieuses de découvrir le savoir-faire traditionnel de leurs ancêtres.
Infos pratiques sur l’écomusée du sel de Bandrélé : https://www.mayotte-tourisme.com/touristic_sheet/musee-du-sel-de-bandrele-bandrele-fr-3364665/
EG