Géopolitique : l’Indianocéanie, un espace vital pour les intérêts de la France et des Outre-mer

©Marine nationale

Géopolitique : l’Indianocéanie, un espace vital pour les intérêts de la France et des Outre-mer

Dans une étude publiée par l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), le Réunionnais Wilfrid Bertile, professeur des universités, président de la Commission des Affaires générales, financières, européennes et des relations internationales de La Réunion, conseiller régional en charge du co-développement, de la pêche et des relations extérieures du département et ancien secrétaire général de la Commission de l’océan Indien, définit les contours de la notion d’Indianocéanie et analyse son importance régionale pour la France. Décryptage.  

 

Selon Wilfrid Bertile, le concept d’Indianocéanie a été officiellement adopté en 2014 durant le sommet des chefs d’État et de gouvernement de la Commission de l’océan Indien (COI) pour désigner les pays qui la composent : les Comores, la France au titre de La Réunion, Madagascar, Maurice et les Seychelles. « Au total, il couvre 594 000 kilomètres carrés dont 99% apportés par Madagascar. Le droit de la mer dote ces îles de domaines maritimes sans commune mesure avec leurs superficies terrestres. Leurs zones économiques exclusives (ZEE) s’étendent sur 5 500 000 kilomètres carrés, soit deux fois l’extension de la mer Méditerranée », souligne l’auteur.

Ces territoires ont leurs spécificités de par leurs superficies, leurs populations, et leurs niveaux de développement. Ils totalisent environ 34,3 millions d’habitants dont 91% vivent à Madagascar, selon la COI. « Le Produit intérieur brut (PIB) total de l’Indianocéanie, modeste, atteint 55 milliards de dollars, dont 40% pour La Réunion, 28% pour Madagascar, 26% pour Maurice, 4% pour les Seychelles et 2% pour les Comores », précise Wilfrid Bertile, avec des différences considérables. Il varie ainsi de 506 dollars par habitant pour Madagascar à 26 000 dollars pour La Réunion. 

L’Indianocéanie est une région sous forte influence occidentale, dominée en particulier par la France. Seul pays européen à y posséder des territoires, elle y maintient une présence significative grâce à La Réunion, Mayotte et les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Avec 1,2 million de ressortissants, la France est une puissance résidente incontournable. Grâce à Mayotte et aux Îles Éparses, elle contrôle un tiers des zones économiques exclusives du canal du Mozambique, un secteur dont la valeur stratégique est incontestable. « Une forte présence occidentale et notamment française tient l’Indianocéanie à l’écart des NRS (Nouvelles routes de la soie, ndlr) chinoises, lesquelles sont contenues vers le sud par la présence de la base américaine de Diégo-Garcia dans l’archipel des Chagos et par la France », relève l’auteur.

L’Indianocéanie constitue l’un des espaces privilégiés pour le déploiement de la stratégie française dans l’Indopacifique. Les pays de cette région expriment en effet des besoins en matière de sécurité et de défense, de développement économique et de connectivité, de gouvernance multilatérale et d’État de droit, ainsi que de lutte contre le changement climatique — autant d’axes structurants pour Paris. Dans ce contexte, la France y joue un rôle central, en particulier dans le domaine de la sécurité maritime, notamment pour combattre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN), la piraterie et divers trafics. Elle intervient également dans les domaines humanitaires et du développement durable.

En termes de perspectives, Wilfrid Bertile constate que « l’Indianocéanie présente plusieurs facteurs de tensions : on rappellera ou on citera pour mémoire des points de frictions comme la question de Mayotte ou des Îles éparses ou encore une certaine réserve de l’Afrique du Sud (alignée sur les positions de l’Union africaine concernant notamment la question de Mayotte) ainsi que la présence russe et chinoise notamment aux Comores et à Madagascar ». En outre, d’après lui, la COI a des difficultés de structuration et de définition d’une stratégie claire pour une vision commune.

Pour l’auteur, l’Indianocéanie devrait tenir compte des dynamiques géopolitiques à ses frontières, qui pourraient influencer son avenir ainsi que celui de l’Indopacifique. En particulier, le rôle stratégique du canal du Mozambique pourrait favoriser l’émergence d’un espace swahili réunissant les pays riverains d’Afrique de l’Est, les régions occidentales de Madagascar et l’archipel des Comores. Cet ensemble, porté par une langue et une civilisation communes, pourrait constituer un socle pour une intégration régionale. « Amener Mayotte et l’État comorien à construire ensemble et avec d’autres un espace commun permettrait de dépasser la question de Mayotte et à toute la région de bénéficier de la mise en valeur des ressources agricoles, halieutiques, énergétiques et minières des zones bordières du canal du Mozambique que certains voient comme le golfe Persique de demain », écrit Wilfrid Bertile.

Selon ce dernier, la France devrait de son côté structurer la gestion des TAAF en prévision de la future ruée vers l’Antarctique. Elle semble pourtant éloignée de ces enjeux, se limitant à défendre le respect du droit et à renforcer les aires marines protégées. Face aux violations plus ou moins assumées du droit international par certains États, elle répond en consolidant ses propres réglementations nationales. Cette approche, bien que juridique, manifeste un relatif désengagement de ces territoires, où les ressources allouées sont limitées et en diminution.

Enfin, l’auteur déplore le manque de moyens de la France pour agir en Indianocéanie, et préconise une co-construction de stratégies avec l’Union européenne (UE) et les Outre-mer dans cette région. « Par ses régions ultrapériphériques de La Réunion et de Mayotte, l’UE est une entité résidente de l’Indianocéanie et de l’Indopacifique. En outre, elle apporterait des moyens supplémentaires, se comportant ainsi que l’avait souhaité le général de Gaulle en « multiplicateur de puissance ». (…) Les Outre-mer ne sont pas là seulement pour légitimer la présence française et européenne en Indianocéanie et en Indopacifique, ils constituent aussi des atouts et se présentent comme de réels partenaires », conclut Wilfrid Bertile. 

PM