Narendra Modi reçu en grande pompe à Paris, discussions de haut niveau avec l'Indonésie, tournée d'Emmanuel Macron dans le Pacifique : la France s'efforce de décliner la partition stratégique qu'elle entend jouer en Asie-Pacifique, non sans s'attirer des critiques sur l'inadéquation entre ambitions affichées et moyens.
Le chef de l'Etat français s'est envolé dimanche pour un déplacement d'une semaine dans l'océan Pacifique, afin de "réengager la France" dans cette région marquée par la rivalité sino-américaine et y faire valoir ses "intérêts stratégiques", selon l'Elysée.
Après une étape en Nouvelle-Calédonie, territoire ultramarin qui a récemment rejeté l'indépendance par voie de référendum, Emmanuel Macron est attendu au Vanuatu et en Papouasie-Nouvelle-Guinée, pour le premier déplacement d'un président français dans des pays indépendants du Pacifique.
Ce voyage fait suite à deux autres récentes séquences diplomatiques centrées sur l'Asie-Pacifique : la visite en France du Premier ministre indien, en juillet, pour célébrer 25 ans de partenariat stratégique entre Paris et New Delhi, suivie d'une rencontre diplomatico-militaire entre la France et l'Indonésie pour renforcer une coopération en plein essor.
Pour appuyer le message, l'armée de l'Air française a déployé cet été une vingtaine d'avions, dont des Rafale, en Asie-Pacifique, quelques semaines après le passage dans la zone d'un groupe naval français. Une manière pour Paris d'affirmer sa capacité de projection de puissance depuis la métropole. Et plusieurs ministres ont profité du déplacement présidentiel pour essaimer dans la région, comme la ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna, en visite mardi aux Fidji pour marquer la "volonté d'intensifier le dialogue avec ce pays voisin de la France".
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Seul pays européen riverain de l'Asie-Pacifique avec 1,6 million de citoyens dans la région répartis sur sept territoires d'Outre-mer et une zone économique exclusive de 9 millions de kilomètres carrés, la France affiche de grandes ambitions dans cette partie du monde qu'elle dénomme "IndoPacifique" pour laquelle elle a formalisé une stratégie.
Face à l'influence croissante de la Chine, que les Etats-Unis tentent de contrer, "ce que nous proposons, c'est une alternative", selon un conseiller du président français.
Un positionnement de "puissance d'équilibre" cher à Emmanuel Macron mais qui peine à convaincre.
L'annulation en septembre 2021 d'une méga-commande de 12 sous-marins français par l'Australie, au profit d'un partenariat de défense avec le Royaume-Uni et les Etats-Unis, a fait l'effet d'une douche froide à Paris, qui misait sur ce contrat avec Canberra pour peser dans le Pacifique.
"Problème de positionnement"
Cette alliance dite AUKUS "a porté un coup aux ambitions françaises dans la région et mis en évidence les limites et les contradictions de la position équilibriste de la France qui aspire à offrir une alternative au choix imposé par la rivalité sino-américaine", estime Céline Pajon, de l'Institut français des relations internationales (IFRI). Or "Paris ne dispose ni des capacités ni du poids diplomatique permettant de jouer un tel rôle", tranche-t-elle dans une tribune publiée lundi dans le quotidien Le Monde.
Dans cette région, où la Chine témoigne de fortes ambitions territoriales, "la France est attendue mais elle a un problème de positionnement. Elle veut se présenter comme un acteur majeur mais avec des moyens qui ne correspondent pas", renchérit Antoine Bondaz, de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).
Avec 1.450 militaires en Nouvelle-Calédonie, 900 en Polynésie et 1.700 entre Mayotte et La Réunion, "la France ne peut pas prétendre jouer un rôle stabilisateur. En revanche sur d'autres enjeux globaux, changement climatique, éducation, nous avons un rôle à jouer. Il faut se recentrer sur les attentes des populations du Pacifique Sud, pour qui le changement climatique est la principale menace", fait valoir le chercheur.
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Paris agit déjà dans de nombreux domaines : protection de l'environnement, participation à la lutte contre la pêche illégale, aide au développement - l'Agence française de développement a affecté 25% de ses engagements en 2022 en Indo-Pacifique -, assistance humanitaire en cas de catastrophe naturelle, comme au Vanuatu en mars, après le passage de deux puissants cyclones...
La France semble commencer à se soucier de communiquer sur cet axe. "Fermes agricoles, restauration des littoraux, protection des récifs coraliens": quelques exemples de notre action française et européenne aux Fidji", a tweeté mercredi la ministre française des Affaires étrangères Catherine Colonna.
"En réalité, nous sommes là pour donner des options supplémentaires, comme d'autres pays de la région, par exemple sur les questions environnementales, de développement, sur les questions sanitaires... Il n'y a pas que Washington et Pékin, il y a aussi Canberra, New Delhi, Tokyo, Paris ou Bruxelles", commente Antoine Bondaz.
Pour en savoir plus sur ce déplacement d’Emmanuel Macron en Océanie :
Emmanuel Macron de retour en Nouvelle-Calédonie pour dépasser les "fractures" des référendums
En Nouvelle-Calédonie, Emmanuel Macron confronté à la question institutionnelle
Avec AFP