Le président Emmanuel Macron se rend cette semaine en Chine, acteur central de la région stratégique de l'Asie-Pacifique, où la France cherche à renforcer son influence en s'appuyant sur ses territoires d'Outre-mer et sa présence militaire. Mais Paris n'a pas encore les moyens de ses ambitions et doit clarifier sa position à l'égard de Pékin pour peser de tout son poids.
Pourquoi la France a-t-elle des ambitions dans cette région ?
« Le centre névralgique de la planète (...) s'est largement déplacé vers la zone indopacifique », résume Cédric Perrin, sénateur du parti Les Républicains et coauteur d'un rapport sur la stratégie française dans cette région. L'Indopacifique est une formule largement popularisée par l'administration américaine pour faire référence à la région qui s'étend de l'Inde et de l'océan Indien au sud du Pacifique, en passant par la Chine, l'Asie du Sud-Est, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. « Cette zone est le futur nouveau monde », renchérit le sénateur socialiste Rachid Temal, coauteur du rapport.
En 2040, l'Indopacifique, qui regroupera 75% de la population mondiale, produira plus de la moitié du PIB mondial et les trois quarts des réserves de matières premières critiques, selon leur étude. Mais cette région à fort potentiel économique est sous de multiples menaces : de la prolifération nucléaire -avec la multiplication des tirs de missiles de la Corée du Nord-, au terrorisme djihadiste en passant par la criminalité organisée, la piraterie ou encore la pêche illicite. De plus, la rivalité sino-américaine génère de nouvelles tensions voire des risques d'embrasement.
Quelle est la légitimité de la France ?
Dans cette région, les territoires français s'étendent des côtes orientales de l'Afrique aux côtes occidentales des Amériques avec notamment Mayotte, l'île de La Réunion, la Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna, la Polynésie française ou encore les TAAF. « Quelque 1,6 million de citoyens français vivent dans ces territoires » éloignés de l’Hexagone, sans compter les Français expatriés dans les pays de la région, souligne Rachid Temal.
« On détient la deuxième zone économique exclusive mondiale après les États-Unis, avec plus de 11 millions de km2 (dont un peu plus de 9 millions sur l’Indopacifique, ndlr) », ajoute Cédric Perrin. Sur le plan militaire, plus de 7 000 soldats français y sont stationnés, une dizaine de frégates sont opérationnelles et quelques avions assurent la surveillance de la zone.
Quel est l'objectif de la France ?
« La France entend peser de tout son poids diplomatique et stratégique dans ce vaste espace », souligne Isabelle Saint-Mézard, chercheuse au Centre Asie de l'Institut français des relations internationales (Ifri). Car la France, « certes une puissance moyenne », estime qu'elle peut avoir une « influence globale », explique-t-elle. Et la France veut d'autant plus faire entendre sa voix qu'en Asie-Pacifique « se joue, pour bonne partie, l'avenir du système international », ajoute-t-elle. Face aux risques d'une nouvelle guerre froide entre la Chine et les États-Unis, Paris se positionne comme « alternative » à Pékin ou Washington.
La France peut-elle se démarquer des États-Unis ?
Au Ministère des Armées, on note cependant que « la stratégie de la France de puissance d'équilibre(s) est peu compréhensible des partenaires régionaux » qui perçoivent la France comme un allié naturel des États-Unis. Pour le sénateur Rachid Temal, cette stratégie manque de « lisibilité » et la France n'a pas les moyens de ses ambitions. En outre, sa frileuse position vis-à-vis de Pékin pour préserver ses intérêts économiques n'est pas tenable.
« La France doit réaffirmer une position forte et réaliste (...) vis-à-vis de la Chine notamment sur la nécessité du respect du droit international », estime ainsi Cédric Perrin. Paris doit aussi tenir compte de la position commune de l'Union européenne ainsi que d'autres pays membres comme l'Allemagne qui compte profiter de la croissance de la zone.
Quelles conséquences pour la France ?
Au Ministère des Armées, on relève qu'à force d'éviter de participer aux alliances, notamment celles initiées par les États-Unis pour ne pas froisser Pékin, la France se coupe non seulement des « opportunités » économiques et commerciales, mais aussi d'opportunités d'influence, contrairement à l'Allemagne ou le Royaume-Uni. Et de citer les opportunités manquées liées aux « projets d'infrastructures de Partners of the Blue Pacific », un groupe informel mené par les États-Unis dans la zone.
Sur le plan militaire, la même source regrette que les exercices et déploiements restent annuels et routiniers. « Non seulement, les déploiements dans la région sont rares mais on ne sait pas encore suffisamment les valoriser », ajoute-t-elle.
Quelles alliances possibles pour la France ?
La crise avec l'Australie, consécutive à l'affaire des contrats de sous-marins, étant terminée, la France pourrait privilégier un axe trilatéral comprenant l'Inde, un partenaire-clé et convoité. Elle pourrait aussi renforcer ses liens avec Singapour ou encore les Philippines.
Sur le plan militaire, Jérémy Bachelier, officier de la Marine nationale actuellement détaché à l'Ifri, suggère la mise en place d'une « forme de permanence européenne dans cette région (...) avec pour objectif d'assurer la sécurité maritime dans une zone allant du Golfe de Bengale à la mer de Chine méridionale en passant par le détroit de Malacca ». Car cette région est « hautement stratégique pour la préservation du flux maritime entre l'Asie et l'Europe ».
L'objectif n'est pas de « cristalliser » les tensions, souligne-t-il, mais de « signaler » que l'Europe à « des intérêts prépondérants » dans la zone. Et les pays du Vieux Continent contribueraient ainsi « au maintien du dialogue et statu quo autour du problème taïwanais ».
Avec AFP.