Le ministre des Outre-mer a quitté le territoire samedi 1er mars au soir, après une visite de huit jours en Nouvelle-Calédonie. De son début de séjour mouvementé jusqu’à la conclusion d’une première phase de discussions décisive, en passant par des annonces au monde économique, retour avec nos partenaires des Nouvelles Calédoniennes sur une visite qui pourrait marquer un tournant pour l’avenir institutionnel.
C’est par une foule de militants non-indépendantistes très remontés que le ministre des Outre-mer, Manuel Valls, est accueilli, samedi 22 février, en marge de sa première séquence organisée à la Croix de Lorraine, à Nouméa. Chauffées à blanc par leurs leaders lors d’une réunion publique qui avait rassemblé plus de 2 000 personnes à l’Anse-Vata, des centaines de partisans d’un maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la France interpellent le ministre, drapeaux tricolores en mains.
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La mobilisation se veut une réaction aux propos du locataire de la rue Oudinot, tenus quelques jours avant sa venue dans les colonnes du Monde, concernant la trajectoire de l’accord de Nouméa qui irait, selon lui, « d’une souveraineté partagée à une souveraineté pleine et entière ». « Je suis venu dire que la France est toujours là. Et que le lien avec la Calédonie est fort », tente de rassurer le ministre.
Un comité d’accueil similaire l’attend, quelques heures plus tard à Plum, à l’occasion d’un hommage rendu au gendarme Nicolas Molinari, tué au plus fort des émeutes. Une séquence conclue par un échange particulièrement houleux, capté par les micros et les caméras, entre le ministre d’État, le député Nicolas Metzdorf et la présidente de la province Sud, Sonia Backès, au sujet de la notion de « peuple premier » employée par Manuel Valls au Sénat coutumier.
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« Quand tu dis qu’il y a un peuple premier chez les Kanak, tu ne nous respectes pas ! Parce que, si t’as un peuple premier, t’as un peuple second. L’insulte, elle est horrible », s’agace le parlementaire calédonien. Des propos qui relèvent du « révisionnisme », lui répond le ministre, l’invitant à visiter « le musée des arts premiers ».
Le lendemain, dimanche 23 février, Manuel Valls se rend sur les ruines du centre commercial Kenu-In, pour rappeler que « la France ne laisse pas tomber la Nouvelle-Calédonie », notamment d’un point de vue économique, et pour soutenir les entreprises sinistrées dans leur combat face aux assurances, très en retard sur l’indemnisation des dossiers liés aux émeutes. « Il faut que tous les acteurs jouent le jeu, banques et assurances comprises. Chacun doit être placé devant ses responsabilités », affirme Manuel Valls.
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Lundi 24 février, le ministre réunit les partenaires sociaux, les organisations patronales et les chambres consulaires à l’occasion d’un « forum économique » au haut-commissariat. L’occasion de démontrer le lien étroit entre un accord politique et le relèvement de l’économie. Il en profite pour faire des annonces importantes, à commencer par la prolongation du chômage partiel jusqu’au 30 juin, déjà dévoilé la veille dans un entretien donné à NC La 1re.
L’indemnité sera toutefois abaissée à 50 % du salaire. Par ailleurs, 56 bâtiments (dont 16 écoles) détruits pendant les émeutes seront reconstruits. Des chantiers pris en charge à 100 % pour les bâtiments scolaires et à 80 % pour les établissements publics via une subvention de 24 milliards de francs de l’État.
Le ministre des Outre-mer évoque également l’avenir du nickel, posant ainsi les bases d’une transformation de la filière. L’objectif : « dynamiser le secteur de la mine en permettant plus d’exportations et en levant les freins administratifs et opérationnels à l’exploitation minière ». Cela passera aussi par le succès de la transition énergétique ainsi qu’une meilleure connexion de la filière aux besoins des industries européennes.
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Quelques heures avant le forum économique, Manuel Valls réussit un tour de force, lundi 24 février : rassembler, autour d’une même table, des indépendantistes et des non-indépendantistes qui ne s’étaient plus officiellement parlé depuis cinq ans. Une « réunion plénière de méthode et de restitution » organisée au Congrès afin de préparer les discussions prévues les jours suivants.
Trois axes de travail sont fixés par le ministre : le lien avec la France, la gouvernance et le nouveau contrat social. Manuel Valls pose également plusieurs principes sur la table : une « souveraineté avec la France », la « protection de tous les habitants de la Nouvelle-Calédonie », le respect de « la démocratie et l’État de droit » et une Nouvelle-Calédonie « unie et indivisible ».
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Mercredi 26 février, les délégations politiques sont au grand complet pour le lancement d’une première phase de discussions. Longtemps incertaine, la participation du FLNKS a été confirmée, la veille, au terme d’un bureau politique extraordinaire. Pas question, pour autant, de parler de négociations pour la délégation indépendantiste, qui dispose d’un mandat uniquement pour une reprise de contact avec le camp d’en face et l’État.
Reste que ces premiers échanges se déroulent dans un « climat apaisé », assurent l’ensemble des partenaires, régulièrement interrogés à leur sortie de la résidence du haut-commissariat. Sur le fond, rien ne fuite. La discrétion est de mise, et la consigne de ne pas s’épancher sur le contenu des discussions est respectée jusqu’au bout par les différentes délégations. « Tout le monde est encore autour de la table », se félicitait Jean-Pierre Djaiwe (UNI), au troisième et dernier jour d’échanges. Certains représentants font état de mots « parfois durs », mais les débats sont menés « toujours dans le respect des autres » et des rapprochements sont constatés sur un certain nombre de sujets.
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C’est avec un "document de synthèse" sous le bras que l’ensemble des délégations politiques repartent, vendredi 28 février, au terme de ce premier round de discussions. Révélé à la presse le lendemain, ce dossier de onze pages expose les positions des uns et des autres, sous forme d’hypothèses. Tous les thèmes sont abordés : autodétermination, partage des compétences, corps électoral, citoyenneté, rôle des institutions… Une base de travail sur laquelle les formations politiques doivent s’appuyer pour « aller plus loin et bâtir des compromis politiques », dit Manuel Valls, affirmant qu’une « étape a été franchie » vers un accord politique sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.
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Le ministre des Outre-mer annonce ainsi son intention de revenir « courant mars » pour reprendre les discussions. La méthode sera la même, assure-t-il : en bilatérales ou en plénière, mais « jamais avec l’idée que c’est à prendre ou à laisser », promet le ministre. Seule différence, et de taille : ce devrait être, cette fois, une phase de négociations. Avec certainement, pour chaque camp, son lot de renoncements.
Baptiste Gouret pour Les Nouvelles Calédoniennes