Le ministre des Outre-mer Manuel Valls a été pris à partie par des manifestants loyalistes samedi au premier jour de sa visite en Nouvelle-Calédonie, signe du climat tendu dans l'archipel profondément divisé et meurtri par les émeutes de 2024.
L'ancien Premier ministre, qui avait assuré avant son départ vouloir « apaiser par le dialogue », a fait ses premiers pas sous les huées de quelque 500 militants non indépendantistes, selon les forces de l’ordre. Après un dépôt de gerbe à la Croix de Lorraine, ponctué par les sifflets, les « non, c’est non ! » ou encore « No pasaran », Manuel Valls est allé à la rencontre des manifestants.
« Il ne faut pas croire ce que l'on vous dit. Pourquoi vous ne resteriez pas français ? », a interrogé Manuel Valls dans le tumulte. A l'origine de cette hostilité, les récentes déclarations médiatiques du ministre qui a dit que les accords de Nouméa de 1998 « s'imposent », perçues par une partie de la population comme actant déjà une marche inéluctable du territoire vers la pleine souveraineté.
Les principaux partis non-indépendantistes dénoncent un déni des trois référendums d'autodétermination de 2018, 2020 et 2021, tous remportés par le « non » à l'indépendance. « Je comprends le sentiment de peur qui vous habite », a insisté samedi le ministre face aux manifestants, qui brandissaient notamment une pancarte « Ici c'est la France, droit de vote pour tous ». « Je suis venu ici faire des annonces sur l’économie et tenter de reprendre les discussions. Il n’y aura pas d’avenir pour la Nouvelle-Calédonie sans économie et sans un minimum de paix », a-t-il ajouté.
« Se sentir Calédonien »
Mandaté par le Premier ministre François Bayrou, Manuel Valls doit rester une grosse semaine sur ce territoire français du Pacifique sud, où il prévoit de rencontrer les acteurs politiques, économiques et associatifs, mais aussi se déplacer autant que possible. Il dit s'inscrire dans la continuité des accords de Matignon (1988) et Nouméa (1998), censés mener à « une souveraineté pleine et entière » de la Nouvelle-Calédonie.
Le ministre insiste sur le fait que ses récentes déclarations étaient un strict rappel de ce que contient la Constitution française au sujet de l'archipel calédonien. L’Accord de Nouméa, irréversible, est en effet inscrit dans la Constitution. À l'inverse des loyalistes, les indépendantistes du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) voient dans ce déplacement un signe encourageant.
Sonia Backès, la présidente non indépendantiste de la province Sud, a, pour sa part, indiqué à la presse qu’il « faut désormais sortir des ambiguïtés et que le ministre respecte ceux qui veulent rester français », en référence aux incertitudes liées à la sortie de l’Accord de Nouméa.
« Nous avions prévenu le ministre de ne pas faire de déclaration avant les négociations pour maintenir un climat de discussion serein. La preuve en est », a commenté à l’AFP Nicolas Metzdorf, le député (EPR) non indépendantiste de la 1ère circonscription. Ce dernier a eu une vive altercation avec Manuel Valls à propos de l'expression « peuple premier », qualifiant les Kanaks comme précisé dans la Constitution, en marge d'un hommage rendu à Nicolas Molinari, un gendarme abattu lors d'un échange de tirs le 15 mai.
« Quand tu dis qu'il y a un peuple premier chez les Kanak, tu ne nous respectes pas ! » a lancé le député au ministre. « C'est un révisionnisme de ta part, je vais t'offrir une visite au musée des Arts premiers » lui a répondu son interlocuteur, qui souligne « une erreur » de la part du député « en jouant avec ces concepts-là ». « Je ne suis pas à votre place, c'est vous qui vivez ici. Mais attention, quand tu parles de cette manière, peuple premier, c'est dans la Constitution », a-t-il ajouté.
« S'il y a un peuple premier, ça veut dire qu'il y a des seconds, il y en a qui sont plus importants que d'autres », estime Nicolas Metzdorf, pour qui « tout le monde doit se sentir calédonien, tout le monde doit se sentir premier en Nouvelle-Calédonie. On est tous sur une même échelle, tous sur un même niveau. A partir du moment où on hiérarchise les populations dans une île, ça ne peut pas fonctionner ».
Interpellé sur le dégel du corps électoral -dont le passage en force en 2024 a eu pour issue les émeutes de mai dernier-, le président de l’association « Un cœur, une voix » Raphaël Romano a appelé à « absolument ouvrir le corps électoral ». « Pour ça, il faut apaiser, soutenir l’économie, retrouver le dialogue », a répondu Manuel Valls. « On a voulu passer en force un projet et vous savez très bien ce qu’il s’est passé ».
Au-delà du volet institutionnel, la visite de Manuel Valls comporte une dimension économique cruciale. Les émeutes de 2024 ont fait 14 morts, plus de deux milliards d'euros de dégâts et détruit environ 20% du PIB local. Sur fond d'effondrement du secteur du nickel, moteur économique de l'archipel, la crise a fait bondir le chômage avec 11 600 nouveaux demandeurs d'emploi entre le 31 mars et le 31 décembre dans l'archipel de 271 000 habitants, selon les derniers chiffres officiels.
Face à ce désastre, le gouvernement promet un soutien massif mais dont les modalités suscitent le débat sur le territoire.
Avec AFP