« Une autre économie est possible en Outre-mer » : Portrait et entretien avec Sébastien Mathouraparsad

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« Une autre économie est possible en Outre-mer » : Portrait et entretien avec Sébastien Mathouraparsad

Et si les économies insulaires empruntaient un nouveau chemin ? Maître de conférences à l’Université des Antilles et économiste engagé, Sébastien Mathouraparsad plaide pour une nouvelle approche économique en Outre-mer, basée sur l’autonomie énergétique, la valorisation des ressources locales et une lutte déterminée contre les inégalités. Une vision audacieuse et inspirante pour repenser les économies insulaires.

Rien ne prédestinait Sébastien Mathouraparsad à devenir l’économiste qu’il est aujourd’hui. Spécialiste des économies insulaires, Sébastien Mathouraparsad a tracé un parcours hors du commun, façonné par des défis précoces et une détermination hors pair. Né en région parisienne dans les années 1970, il grandit dans un environnement multiculturel, enrichi par les racines martiniquaise et guadeloupéenne de ses parents et l’effervescence d’un quartier cosmopolite du 93. 

Dès son plus jeune âge, Sébastien fait face à des difficultés scolaires. Mais rien n’ébranle la confiance de sa mère, qui l’encourage à persévérer. Lorsque la famille s’installe en Guadeloupe, Sébastien y trouve un environnement éducatif plus bienveillant. Après un bac scientifique, il opte pour la filière économie à l’Université des Antilles, attiré par la possibilité d’appliquer les mathématiques à des problématiques concrètes, un choix pragmatique mais aussi influencé par son frère. Ce virage s’avère déterminant : il décroche deux masters en ingénierie économique et en mathématiques appliquées et soutient sa thèse de doctorat sur les politiques économiques ultramarines. 

Ce qui lui permet d’élaborer des modèles novateurs pour évaluer les impacts des réformes liées aux politiques économiques dans des régions ultramarines : « Mon sujet de thèse de doctorat portait sur la construction d’outils permettant de simuler les impacts des politiques économiques dans nos territoires. À l’époque, avant les années 2010, il n’existait pas d’outils capables de fournir des simulations détaillées pour évaluer les réformes économiques. Par exemple, lorsqu’il s’agissait de modifier la défiscalisation ou l’impôt sur le revenu, on ne pouvait pas estimer les effets de ces réformes sur la croissance, la consommation, la pauvreté monétaire ou encore sur les villes. On adoptait donc les réformes un peu à l’aveugle et on évaluait leurs conséquences après coup, puis on ajustait au fur et à mesure. Mon objectif était de concevoir un outil capable de mesurer de manière quantitative l’impact des réformes sur les secteurs d’activité, l’emploi, les inégalités et la pauvreté monétaire. »

Sa carrière professionnelle débute à l’INSEE, avant de créer son propre bureau d’études. Il intègre par la suite la Direction générale des outre-mer (DGOM) : « Après la soutenance de ma thèse, le ministère des Outre-mer s’est intéressé à mon projet. Ils souhaitaient passer de la recherche académique à une application pratique en développant ces outils d’aide à la décision. Cela a permis de transformer mes recherches en instruments opérationnels pour mieux orienter les politiques publiques dans nos territoires. »

La canne à sucre, source d’énergie renouvelable

Responsable d’un axe de recherche au sein du centre CRDDI (Centre de recherche en économie et en droit sur le développement insulaire), Sébastien Mathouraparsad coordonne des recherches pluridisciplinaires au sein du réseau AROM (Actes de la Recherche Ultramarine), fruit de la collaboration entre les réseaux ATOM (Ateliers d'Analyse des Outre-Mer) et TEPP (Théories et Evaluations des Politiques Publiques) avec pour missions de renforcer la coopération entre chercheurs locaux et nationaux et d’apporter des réponses adaptées aux particularités ultramarines notamment sur la thématique du développement durable. 

Ainsi, des solutions comme les biocarburants issus de la canne à sucre sont explorées pour réduire la dépendance énergétique des îles tout en stimulant les économies locales : « Bien que la part des énergies renouvelables ait progressé ces dernières années, notre vulnérabilité reste élevée en raison de cette dépendance extérieure. Cette réflexion m’a conduit à m’intéresser aux biocarburants, inspiré par l’exemple du Brésil, grand producteur de bioéthanol à base de canne à sucre. En Guadeloupe, nous disposons aussi de cette ressource. Pourquoi ne pas la valoriser pour produire de l’énergie locale, réduire notre dépendance et renforcer notre résilience face aux crises ? »

Instaurer une allocation ciblée sur les ménages modestes

Dans une récente publication, Impacts économiques et sociaux d’une allocation destinée aux ménages modestes : application à un territoire d’outre-mer, Sébastien Mathouraparsad explore une approche novatrice : la mise en place d’une allocation ciblée sur les ménages modestes, conditionnée à l’achat de produits locaux. « Le financement de cette mesure pourrait reposer sur une transformation de la TVA en une taxe régionale dédiée, comme le permet l’article 294-1 du Code général des impôts. Ce cadre juridique autoriserait une exonération de TVA nationale au profit d’une taxe spécifique, dont les recettes serviraient à financer l’allocation. » 

Cette proposition s’inscrit dans une ambition plus large de réduire la dépendance aux importations et à renforcer l’autosuffisance économique. Sébastien Mathouraparsad souligne également l’importance d’intégrer des indicateurs de performance pour mesurer l’impact réel des politiques publiques et d’adopter une approche expérimentale, par exemple via une adaptation temporaire de la TVA.

Mais pour enclencher une telle dynamique, un engagement politique fort est indispensable. La mobilisation des acteurs locaux reste indispensable pour concevoir des solutions adaptées aux spécificités des territoires ultramarins, tout en s’inspirant des réussites d’ailleurs : « Cette démarche pourrait amorcer un cercle vertueux, où la réduction des inégalités et le développement économique durable deviendraient enfin des réalités tangibles. »

Renforcer l’accès aux droits et aux services

Les territoires ultramarins font face à de profondes disparités, exacerbées par des freins structurels qui aggravent les inégalités et freinent leur développement durable. Pour combattre ces inégalités, il ne suffit pas de mobiliser des ressources financières : un accès effectif aux droits et aux services essentiels est indispensable. 

Cette approche est au cœur du concept de capabilité, développé par le Prix Nobel Amartya Sen, qui met en lumière l'importance d'offrir à chacun les moyens concrets de transformer ses droits en opportunités réelles, au-delà du seul revenu : « En santé, par exemple, même si une personne dispose des moyens financiers pour se soigner, l’absence locale de services spécialisés, comme les traitements pour le cancer ou les chirurgies complexes, impose des déplacements longs et coûteux, rendant ces soins inaccessibles pour une large part de la population. »

D’autre secteurs sont concernés par cette problématique comme la justice et l’éducation, où les offres insuffisantes limitent les opportunités. Les étudiants désireux de suivre certaines formations spécifiques, n’ont d’autres choix que celui de quitter leur territoire faute d’infrastructures adaptées.

Faire preuve de dignité, d’ingéniosité et de solidarité

Maître de conférences en économie à l’Université des Antilles, Sébastien Mathouraparsad est en contact quotidien avec la jeunesse, à laquelle il souhaite transmettre un message d’espoir et d’ambition : « Si je devais adresser un message aux jeunes, notamment à ceux qui aspirent à devenir économistes, je mettrais l’accent sur trois valeurs fondamentales : dignité, ingéniosité et solidarité. » 

Il explique : « D’abord, la dignité implique de prendre en main nos défis, de réfléchir par nous-mêmes à des solutions adaptées à nos réalités. Ensuite, l’ingéniosité est cruciale dans l’élaboration des politiques économiques. Il faut analyser en profondeur, conditionner les dispositifs à des objectifs clairs et mesurables, et s’assurer que leur mise en œuvre génère des résultats concrets. Nous avons déjà des moyens financiers conséquents, comme les 20 milliards d’euros injectés dans les Outre-mer sur les dix dernières années, mais ces fonds manquent cruellement d’efficacité parce qu’ils ne sont pas optimisés. Ce que nous devons apprendre, c’est à mieux utiliser ce que nous avons, pas nécessairement à demander plus. Enfin, la solidarité est essentielle. Les politiques économiques ne peuvent réussir sans une vraie cohésion entre les différents acteurs : élus, chercheurs, entreprises et citoyens. Trop souvent, les initiatives manquent de collaboration et de vision commune. Nous devons dépasser les intérêts individuels pour construire des dispositifs partagés. »

S’adressant directement à ses étudiants et à la jeunesse en général, il insiste sur leur rôle crucial : « À mes étudiants et à la jeunesse en général, je dirais qu’ils ont une responsabilité énorme : celle de penser différemment, d’innover et d’agir avec rigueur. Ils doivent développer un regard critique sur les politiques en place, collaborer entre eux et avec les générations précédentes, et bâtir des solutions qui ne se contentent pas de panser les plaies, mais qui transforment durablement. C’est en s’engageant avec ces valeurs qu’ils pourront amorcer un réel changement. »

Outre sa carrière d’économiste, Sébastien Mathouraparsad cultive une autre passion tout aussi dévorante : l’écriture. Il a récemment publié l’ouvrage Le Chant des Fromagers, qu’il décrit comme le résultat d’une longue réflexion, ancrée dans son vécu et ses questionnements sur l’Histoire. Enfant des années 1980, il a grandi dans un contexte où le racisme était souvent banalisé, un environnement qui a éveillé en lui un profond malaise et une quête identitaire. Ces expériences personnelles l’ont poussé à s’intéresser à des thématiques liées à l’esclavage, un sujet encore tabou dans son entourage familial à l’époque.

Son ouvrage, soutenu par une recherche documentaire rigoureuse, aborde l’esclavage colonial avec une volonté d’explorer sa complexité. Refusant une approche manichéenne, il met en lumière des aspects souvent méconnus, tels que la participation des chefs de tribus africaines au système esclavagiste ou les gestes de résistance des Blancs. Par une écriture incisive et sans compromis, Sébastien Mathouraparsad cherche à restituer toute l’ampleur de cette tragédie historique, s’opposant à une vision édulcorée qui, selon lui, atténue son impact et sa portée.

Loin de s’arrêter là, l’auteur travaille déjà sur un nouveau projet littéraire, entouré de mystère. S’il garde encore le silence sur sa nature, cette discrétion ne fait qu’attiser la curiosité et l’attente de ses lecteurs, impatients de découvrir la prochaine œuvre d’un écrivain prometteur.

Pour aller plus loin :

Expertise. Le biocarburant en Outre-mer, une alternative au tout pétrole ? par Sébastien Mathouraparsad : https://outremers360.com/bassin-atlantique-appli/expertise-le-biocarburant-en-outre-mer-une-alternative-au-tout-petrole-par-sebastien-mathouraparsad

Journées d'Études des Outre-mer : Une seconde édition inclusive et collaborative pour repenser l’avenir économique des territoires ultramarins : https://outremers360.com/bassin-atlantique-appli/journees-detudes-des-outre-mer-une-seconde-edition-inclusive-et-collaborative-pour-repenser-lavenir-economique-des-territoires-ultramarins

« Le chant du fromager » de l’auteur guadeloupéen Sébastien Mathouraparsad : une plongée sans concession dans l’époque esclavagiste : https://outremers360.com/bassin-atlantique-appli/le-chant-du-fromager-de-lauteur-guadeloupeen-sebastien-mathouraparsad-une-plongee-sans-concession-dans-lepoque-esclavagiste

EG