Les 14 et 15 novembre 2024, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) accueille la deuxième édition des Journées d’Études des Outre-mer. Soutenu par l’AFD, ainsi que par les Régions de La Réunion et de la Guadeloupe, cet événement qui réunit près d'une centaine de participants s'annonce comme un temps fort de dialogue entre chercheurs, acteurs publics et privés autour des défis économiques des territoires ultramarins.
Alors que les modèles économiques traditionnels s’essoufflent, l’enjeu est désormais de consolider les forces locales pour mieux répondre aux besoins en emploi et développement. Plutôt que d’inventer de nouveaux modèles, il s'agit d’optimiser ceux existants en « densifiant et diversifiant nos économies tout en intégrant une dimension sociale », comme l'a souligné Yannick L’Horty, directeur de TEPP-CNRS. Jean-Pierre Chabriat, conseiller régional à La Réunion, a également insisté sur l’importance d’allier progrès social et réflexion stratégique pour apporter des solutions aux défis complexes de ces territoires.
Ces journées ont été organisées sous l’impulsion d'Isabelle Lebon, économiste et professeure à l'Université de Caen, Amélie Chung, Docteure en Sciences Économiques à l’Université de la Nouvelle-Calédonie, Sébastien Mathouraparsad, Professeur à l’Université des Antilles, Yannick L’Horty, Frédéric Chantreuil, Maître de Conférences à l’Université de la Nouvelle-Calédonie, et Jean-François Hoareau, économiste à l’Université de La Réunion. Cette édition se distingue par trois axes majeurs : d’abord, son caractère inclusif grâce à un appel à contributions diffusé largement auprès des universités et laboratoires intéressés par l’économie des Outre-mer, toutes disciplines confondues ; ensuite, la promotion d’un dialogue entre chercheurs et acteurs socio-économiques, réunissant des partenaires publics et privés autour des défis ultramarins ; enfin, l’ambition de laisser un héritage durable, aussi bien académique -avec des publications dans des revues spécialisées- que relationnel, en stimulant de nouvelles collaborations scientifiques.
Le programme (https://arum2024.sciencesconf.org/data/pages/Prog_ARUM_2024_141125.pdf) propose un cadre d’échanges approfondis autour de thématiques essentielles telles que le tourisme, les transports, le droit des Outre-mer, la transition énergétique, l’emploi, l’insertion professionnelle et l’évolution des statuts institutionnels.
Le moment fort de la première journée a été la table ronde sur la problématique de la vie chère, réunissant des experts tels que François Hermet, maître de conférences à l’Université de La Réunion, Teddy Bernadotte, directeur territorial et ancien directeur de cabinet en Guadeloupe, l’économiste Jean Crusol, Johnny Hajjar, ancien député de Martinique, et Éric Leung, président de la délégation Outre-Mer au CESE. Les échanges ont mis en évidence l'importance de concilier une fiscalité optimisée avec un modèle économique durable, adapté aux particularités des territoires ultramarins. Bien que complexe et souvent critiqué pour son opacité, l'octroi de mer demeure un outil fiscal essentiel pour soutenir ces économies insulaires. Parmi les priorités dégagées figurent également le renforcement des infrastructures publiques, un soutien accru aux petites entreprises locales, ainsi que la mise en place de politiques visant à développer des filières locales résilientes et autonomes, tout en renforçant la souveraineté alimentaire grâce notamment à des dispositifs comme le POSEI.
Après des sessions concises sur des thèmes clés, la journée s'est conclue par une deuxième table ronde, intitulée « Environnement, transition énergétique et développement durable ». Cette session a été animée par Bernard Decaluwé, professeur à l'Université Laval, avec la participation d'Alain André (Groupe FO, CESE), Valérie Angeon (INRAE), Jean-Pierre Chabriat, Benjamin Coudert (AFD), et Félix Lurel (Président du Conseil de la Culture, de l’Éducation et de l’Environnement, Région Guadeloupe).
Les discussions ont abordé les enjeux de la transition énergétique dans les territoires insulaires, mettant en avant la diversification des sources d'énergie, notamment la géothermie et l’hydrogène vert, tout en tenant compte de leur production. Les défis liés à l’économie circulaire et à la gestion des déchets ont également été abordés, soulignant l'importance de développer des stratégies d’accompagnement et de renforcer les incitations fiscales et les dispositifs d'accompagnement.
La dépendance des systèmes alimentaires insulaires vis-à-vis de l’extérieur a été discutée dans le cadre de la transition agricole. Celle-ci, englobant l’énergie, le transport, l’agriculture et d’autres secteurs, doit être gérée à différentes échelles pour un développement durable. L'exemple du SWAC pour Sea Water Air Conditioning en Polynésie a été mis en avant comme une solution écologique de climatisation utilisant l'eau de mer profonde pour refroidir un réseau d'eau douce, réduisant ainsi la consommation d'énergie et l'empreinte carbone, tout en préservant l'environnement.
Enfin, compte tenu de leur vulnérabilité face aux risques climatiques, les territoires insulaires doivent renforcer leur résilience, notamment par l'adaptation des infrastructures aux effets du changement climatique, tels que l'élévation du niveau de la mer. L'usage de solutions fondées sur la nature (SFN) et la mobilisation du secteur privé ont été mis en avant comme des leviers d'adaptation. Dans ce cadre, l'AFD a lancé le Prix des jeunes chercheurs outre-mer pour encourager l'innovation dans ces domaines https://www.afd.fr/fr/prix-jeunes-chercheurs-outre-mer-2025 . L'aménagement du territoire doit intégrer ces défis en favorisant des constructions bioclimatiques et des solutions pratiques, notamment pour la rénovation des bâtiments existants, afin de réduire la consommation d'énergie et la dépendance à la climatisation.
3 questions à Isabelle Lebon
Isabelle Lebon, économiste et professeure à l’Université de Caen, est également spécialiste des États-Unis. Elle a récemment coécrit son dernier ouvrage, Les États-Unis au XXIe siècle en faits et en chiffres - Fonctionnement du pouvoir, Économie, Société, Politiques internationales, publié aux éditions Ellipses.
Quelles sont les principales évolutions de cette 2ème édition, qui rencontre un véritable succès ?
Après une première édition déjà marquée par une forte affluence, cette deuxième édition a attiré encore plus de participants, au point que nous avons dû ouvrir une troisième session parallèle pour les présentations académiques. L’intérêt du public, incluant élus et représentants des administrations liées aux outre-mer, a été particulièrement marqué cette année. Sur le plan académique et sociétal, nous avons poursuivi la dynamique de la première édition, en nous concentrant sur les problématiques les plus actuelles des sociétés ultramarines, comme la question de la vie chère, particulièrement pressante en Martinique. Nous avons également abordé les grands défis environnementaux – biodiversité, montée des eaux et événements climatiques majeurs – qui affectent en priorité ces territoires. Bien sûr, la question de la vie chère a occupé une place centrale dans les discussions, comme évoqué ce matin. Ces enjeux demeurent au cœur des préoccupations des sociétés ultramarines aujourd’hui. Enfin, les questions institutionnelles, notamment celles soulevées par la situation en Nouvelle-Calédonie, ont été traitées, car elles représentent des défis majeurs.
Comment, selon vous, ces journées contribuent-elles à mieux comprendre les enjeux spécifiques des outre-mer dans le contexte actuel ?
Je pense que notre approche académique, qui n'est pas politiquement marquée, est un véritable atout. Elle nous permet de présenter de manière directe les questions, sans les encadrer par des considérations idéologiques qui peuvent parfois compliquer le débat politique. Nous pouvons ainsi exposer clairement les problématiques les plus actuelles, tout en mettant en lumière les premières solutions, grâce à l'expertise présente dans les outre-mer. C'est précisément ce qui est souvent négligé : il existe réellement des chercheurs en outre-mer qui travaillent sur ces enjeux et qui cherchent des solutions pratiques aux problèmes locaux. L'idée du colloque à Rome est de montrer non seulement la réalité des problématiques, souvent mal connues en métropole, à moins d'être abordées dans des contextes de crise, mais aussi de mettre en avant la recherche menée sur ces questions. Ce travail, qui se fait en économie, en droit, en géographie, nous permet de présenter à la fois des solutions académiques et des solutions concrètes.
Avez-vous des attentes à l'issue de ces journées, notamment en termes de collaboration interdisciplinaire, de partage de connaissances ?
Oui, nous avons bien sûr des attentes interdisciplinaires, mais je dirais surtout inter-territoriales dans les mêmes disciplines. En effet, de nombreux chercheurs d'outre-mer ne se connaissent que de nom. Ici, pour la première fois, ils se rencontrent physiquement, découvrent qu’ils partagent des intérêts communs et peuvent collaborer sur des sujets similaires. L’objectif est de fédérer les chercheurs ultramarins, qu’ils soient dans la même discipline ou dans des disciplines connexes, afin qu’ils puissent travailler ensemble et nouer des collaborations. Cela va conduire à des retombées académiques significatives, mais aussi accessibles, car nous voulons que ces recherches soient compréhensibles et utiles à un large public.
Je vous encourage à consulter les flyers des numéros spéciaux issus du colloque de 2022, disponibles ici, dont un numéro de la revue économique et un autre d'études caribéennes. Cette fois-ci, nous devrions publier deux, voire trois numéros spéciaux, notamment avec la revue Revue d’Économie Régionale et Urbaine. Cela permettra de partager des contributions provenant de chercheurs juristes, économistes, gestionnaires et géographes, intéressés par ces publications.
Au-delà de cela, nous aimerions, cette année, aller plus loin qu’en 2022, où la logistique ne nous avait pas permis de le faire, en mettant en ligne certaines interventions, comme les conférences invitées ou des tables rondes. Bien sûr, cela se fera avec l’accord des intervenants, mais cela offrirait une ressource précieuse pour les chercheurs, les étudiants et les décideurs publics qui, à distance, ont parfois du mal à saisir les enjeux et les solutions locales aux problématiques soulevées.
EG