L’auteur guadeloupéen Sébastien Mathouraparsad nous retrace dans son premier roman « Le chant du fromager » paru aux éditions l’Harmattan de grands moments de l’histoire de la Guadeloupe et de France, deux histoires intimement liées. Une plongée sans concession dans l’époque esclavagiste pour faire entendre ce passé commun qui affecte le développement actuel des « vieilles colonies » françaises et trouble leur devenir.
« Le chant du fromager », premier roman de Sébastien Mathouraparsad, est une curiosité littéraire. Une littérature au carrefour du roman historique et du roman politique. Alors que l’on s’attendait de la part de ce maître de conférence en économie à l’université des Antilles, spécialiste des questions de développement économique des territoires d’outre-mer, à un traité rigoureux sur l’économie de la Guadeloupe en période esclavagiste, l’universitaire guadeloupéen a choisi le genre romanesque pour nous faire vivre les grands moments de l’histoire de la Guadeloupe et de France, deux histoires intimement liées.
Avec son personnage de fiction, Djabi, un jeune africain arraché à sa terre natale puis réduit en esclavage en Guadeloupe où il est vendu, l’auteur guadeloupéen nous emmène dans une folle épopée au cours de la période esclavagiste. Le jeune homme battu, humilié, passera par toutes les phases du damné de la terre. Il connaîtra même l’amour et l’espoir dans le désespoir avant de tout perdre. Une vie qui ressemble à un véritable champ de ruines. A travers ce drame humain, l’auteur s’empare du marqueur historique pour retracer la période esclavagiste et nous emmener à la rencontre d’illustres personnages qui ont marqué, parfois au prix de leur sang versé, l’histoire de la Guadeloupe et par là même celle de France.
Le fromager, un arbre dont l’histoire est liée à l’esclavage
« Le chant du fromager » est une œuvre à la fois intime – avec le drame humain que vit Djabi – et aux confins du grand roman historique avec un jeu de miroir habile entre allégorie et réalité empreint d’une bonne part de mysticisme qu’incarne le titre. Le fromager étant un arbre dont l’histoire est liée à l’esclavage. Un arbre solide, dont les esclaves se servaient pour se pendre et échapper ainsi à leur sort, persuadés que s’ils se pendaient à ses branches, leur âme pourrait voyager au- dessus des mers et retrouver celle de leurs ancêtres. La légende dit d’ailleurs que ce sont des arbres à zombis ou à soucougnan qui accueillent l’esprit des morts. Un arbre considéré comme une sorte d’intermédiaire entre le monde des humains et le monde des esprits.
Dans cet ouvrage, Sébastien Mathouraparsad, partisan et artisan d’une mémoire qui veut rassembler, avec une écriture saisissante et un sens du romanesque, nous invite à une plongée sans concession dans l’époque esclavagiste pour nous faire entendre ce passé douloureux commun qui hante encore et toujours ces territoires et leurs peuples, affectant durablement le développement de ces « vieilles colonies » françaises et troublant leur devenir. Un trouble en forme de fascination – rejet à l’instar du sentiment qu’exerce le fromager, un arbre à la fois craint et respecté. A lire absolument en cette période de commémorations et ces temps consacrés aux mémoires.
E.B.
« Le chant du fromager »
De Sébastien Mathouraparsad
Editions l’Harmatan
254 pages