La recherche joue un rôle primordial dans l’adaptation de l’agriculture face au changement climatique. Mais les chercheurs sont aussi d’une précieuse aide pour accompagner les chefs d’exploitation face à tous les problèmes qu’ils rencontrent au quotidien. En laboratoire comme sur le terrain, agriculteurs et agronomes travaillent main dans la main. Sixième et dernier épisode de notre dossier consacré à l’agriculture dans les Outre-mer.
Par Marion Durand
C’est un travail d’équipe que mènent ensemble les chercheurs et les agriculteurs. Au laboratoire, dans un jardin expérimental ou directement au sein des exploitations, les chercheurs agronomes accompagnent les professionnels du secteur à faire face à tout type de problèmes. En haut de la liste : le changement climatique. Les agriculteurs ultramarins sont d’ores et déjà confrontés aux conséquences des dérèglements du climat à l’échelle planétaire, ils n’ont d’autres choix que de trouver dès à présent des façons de rendre leur exploitation plus résiliente.
Pour cela, ils peuvent donc compter sur la recherche, afin de trouver les solutions innovantes et adéquates à leur situation géographique. Mais le changement climatique n’est pas le seul sujet qui préoccupe les acteurs locaux : la diminution des surfaces agricoles, la faible autonomie alimentaire et la nécessité de réduire l’usage de pesticides, sont autant d’autres sujets sur lesquels la science vient au secours des agriculteurs.
Dans le domaine agricole, la France dispose de trois instituts de recherche : le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) et l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Ces organismes ont tous les trois des antennes dans les territoires d’Outre-mer.
« En prenant en compte la fragilité des écosystèmes insulaires, le Cirad contribue à inventer une agriculture plus écologique, en mettant au point des systèmes de culture durables », décrit Magalie Jannoyer, directrice régionale du Cirad aux Antilles-Guyane. Pour elle, cette collaboration entre la recherche et les acteurs agricoles est essentielle : « Les chercheurs sont sans cesse sur le terrain, aux côtés des producteurs et des éleveurs. C’est une manière de collaborer qui s’avère être très efficace car si on travaille séparément, sans espace de dialogue, on perd du temps en réajustant ensuite les aspects techniques ».
Les expérimentations se font donc la plupart du temps directement dans l’exploitation agricole, avec les contraintes du terrain. « Je crois beaucoup à cette construction collective », confie-t-elle. « Lorsqu’on travaille sur une thématique, on rassemble différentes compétences scientifiques et divers profils d’agriculteurs pour couvrir un maximum de situations possibles. »
Des espèces plus adaptées à la chaleur
Les relations entre la recherche et la production ont bien évolué. La recherche, traditionnellement sollicitée pour répondre à une problématique (comme une maladie d’un bananier ou une pollution) prend désormais une place entière dans le processus de production pour éviter les problèmes en amont. « La recherche ne détient pas toute la vérité, mais une vérité technique bien dosée peut répondre à une demande de marché », selon les mots de Denis Loeillet, économiste au Cirad.
À l’Inrae comme au Cirad, les chercheurs travaillent par exemple sur la recherche de plantes et d’animaux plus résilients face à des conditions climatiques extrêmes. « Selon les variétés, les races, certaines peuvent résister à des contraintes climatiques car elles sont génétiquement adaptées pour supporter la chaleur, la sécheresse, le manque d’eau, etc. », précise Jean-Marc Blazy, directeur de l’unité Agrosystèmes tropicaux de l’Inrae qui a pour principale mission d’étudier la transition agroécologique des systèmes agricoles tropicaux. Par exemple, l’ananas ou la canne à sucre sont des espèces plus adaptées à la chaleur. C’est aussi le cas du sorgho ou du manioc. « Les cultures maraîchères seront quant à elles plus impactées car ce sont des espèces plus sensibles », précise le directeur de recherche.
Le chercheur Harry Archimède, président du centre Antilles-Guyane de l’Inrae, a lui aussi travaillé sur la question. Il observe que de façon générale, « la plupart des races locales sont des animaux plus résilient car ils ont grandi dans un environnement et ont développé des gènes d’adaptations ». C’est le cas des races créoles qui résistent aujourd’hui à un certain nombre de pathogènes alors que les races exotiques sont plus touchées par les maladies. Du côté des plantes, « lorsqu’elles sont sélectionnées sur leur seul critère de productivité, elles sont plus sensibles », poursuit-il. « Aujourd’hui, lorsqu’on conçoit une exploitation agricole, il faut un certain équilibre et il est primordial de faire des choix selon des critères d’adaptation et des critères de productivité. »
Les chercheurs travaillent aussi sur l’amélioration des pratiques agronomiques pour augmenter la résilience des exploitations agricoles. « L’utilisation de matière organique comme le fumier ou le compost peut être bénéfique et permet de remplacer les intrants », décrit Jean-Marc Blazy. L’introduction de l’arbre dans les agrosystèmes ou le paillage des cultures apparaissent aussi comme des solutions adéquates. L’Inrae expérimente toutes ces techniques en amont dans une micro-ferme appelée Karusmart. Situé à Petit Bourg, en Guadeloupe, ce site d’expérimentation comporte des blocs diversifiés orientés sur la canne à sucre, la banane, les tubercules, les cultures caribéennes (manioc, piments, goyave), les cultures maraîchères et vivrières ainsi qu’un petit élevage. « L’objectif est d’atteindre une agriculture climato-intelligente, c’est-à-dire résiliente face aux aléas climatiques, avec un bilan carbone négatif et contribuant à l’autonomie alimentaire du territoire », décrit l’Institut.
Les outils numériques peuvent aussi être d’une aide précieuse pour les agriculteurs. Ils permettent d’optimiser la production, il existe des capteurs intelligents qui déclenchent un système d’irrigation selon le taux d’humidité des sols ou des micro-stations météo à positionner sur les parcelles pour mieux corréler climat et production. « Tous ces dispositifs ont un coût, concède Jean-Marc Blazy. Mais l’inaction a aussi un prix lorsqu’on fait le bilan des pertes ».
La recherche pour lutter contre la chlordécone
Dans les Antilles, les chercheurs aident aussi les agriculteurs à faire face à une problématique majeure : la pollution par la chlordécone. Ce pesticide a été utilisé dans les bananeraies des Antilles jusqu'en 1993 pour lutter contre le charançon. Très persistant, il a contaminé durablement les sols et l'eau, et impacte encore aujourd'hui les cultures et les productions animales. Les instituts du territoire mènent des projets de recherche pour comprendre et gérer cette pollution chronique et durable. Au Cirad, des travaux pluridisciplinaires sur le sujet se déclinent en deux volets : l'identification de la source de pollution (évaluation des stocks de molécule dans le sol et de son relargage) et la maîtrise de la dispersion de la molécule dans l'environnement et les chaînes trophiques.
Entre 2008 et 2014, en lien avec le plan d’action chlordécone 1, Magalie Jannoyer a mené des travaux en Martinique pour comprendre comment s’effectuait le transfert de ce pesticide entre le sol pollué et les différentes cultures. « L’objectif était de mettre au point un outil permettant à l’agriculteur de savoir ce qu’il pouvait faire pousser sans risque de contamination selon le niveau de pollution de sa parcelle », décrit la chercheuse.
Magalie Jannoyer a montré que les plantes n’assimilaient pas de la même façon le pesticide. Les tubercules et les plantes racines qui poussent au contact du sol sont très sensibles et assimilent davantage la chlordécone. Les cucurbitacées ont des propriétés de transfert variables, les fruits peuvent être contaminés ou non selon le niveau de pollution de la parcelle. Enfin, « les arbres comme les goyaviers, les agrumes, les bananes ou encore les solanacées (tomate, aubergine, piment, etc.) ne sont jamais contaminés même lorsqu’ils poussent sur des sols très imprégnés par la chlordécone », affirme la directrice régionale.
Ces informations issues de la recherche agronomique ont été très précieuses pour les agriculteurs comme pour les territoires car elles ont permis de développer un outil de sécurisation. « On a fait le choix de travailler en direct avec les producteurs car on voulait utiliser le sol pollué tel qu’il était. Pour cela, on a travaillé avec les agriculteurs, les associations de producteurs, les organismes techniques et les services de l’État », se souvient Magalie Jannoyer.
Les chercheurs du Cirad et de l’Inrae aux côtés de quatre planteurs mènent actuellement des expérimentations pour explorer le rôle des moutons comme alternative pour contrôler l’enherbement dans les parcelles. Ainsi, les travaux ont montré que les animaux sont une bonne alternative à la débroussailleuse et aux herbicides. Malgré l’apparition de nouvelles tâches (rentrer les animaux le soir, les déplacer sur les différentes placettes), une diminution de la quantité de travail a été mesurée.
En revanche, les animaux se sont contaminés à la chlordécone présente dans les sols de certaines parcelles. « Avec ce projet, on s’est posé la question de la qualité sanitaire de la viande de mouton dans le cas où les bananeraies seraient contaminées, explique Magalie Jannoyer. Le Cirad travaille donc sur un dispositif de suivi de contamination des animaux. On sait à présent prédire la date à laquelle les animaux seront décontaminés, c’est essentiel pour que l’éleveur puisse mettre sur le marché des produits sains ».
« Les agriculteurs sont un vivier d’inspiration »
« Faire du lien entre les savoirs des chercheurs et les acteurs de territoire est une façon d’amener des changements durables pour des systèmes agricoles plus résilients », considère Nadine Andrieu, chercheuse à l’UMR Innovation du Cirad. Elle rappelle que ces homologues ne sont pas les seuls à détenir les savoirs : « Depuis toujours, les agriculteurs ont dû faire face à la variabilité interannuelle du climat, ils ont mis en œuvre des pratiques pour s’adapter, ce qui leur a permis de survivre. »
Le jardin créole, dont la diversité est un de ses traits caractéristiques, en est un exemple. Dans ce lopin de terre, un grand nombre d’espèces cohabite sur de multiples strates (herbacées, arbres...). Elles forment une « niche écologique » et constituent un modèle d’agriculture écologique durable.
« Nous devons valoriser les connaissances des agriculteurs car ils ont déjà expérimenté des pratiques adaptation au changement climatique, rappelle Nadine Andrieu. Il faut combiner les connaissances tirées de la recherche avec celles des agriculteurs car ils sont un vivier d’inspiration et leurs connaissances sont souvent très complémentaires de celles du chercheur. »
À lire dans le même dossier :
Agriculture ultramarine : L’inquiétant désintérêt des jeunes envers les filières agricoles
Agriculture ultramarine : Remettre l’agriculteur au centre de la société