À Mayotte où l’eau manque, à Saint-Pierre-et-Miquelon où les exploitations sont déjà submergées par la montée des eaux et dans les Antilles, où les terres agricoles sont dévastées par les cyclones ou les tempêtes, le changement climatique est une réalité. Les agriculteurs ultramarins subissent déjà les conséquences des dérèglements du climat à l’échelle planétaire. Comment font-ils face ? Réponse dans ce quatrième épisode de notre dossier consacré à l’agriculture dans les Outre-mer.
Par Marion Durand.
Si le changement climatique apparaît encore pour certains comme une situation lointaine et abstraite, les agriculteurs ultramarins le connaissent bien car ils en subissent déjà les conséquences. Le niveau des océans est en hausse, certaines régions sont confrontées à des précipitations et des phénomènes météorologiques extrêmes plus fréquents, tandis que d’autres doivent faire face à des vagues de chaleur et à des sécheresses de plus en plus intenses. Selon l’endroit où l’on se trouve sur la planète les répercussions liées au dérèglement du climat ne sont pas les mêmes mais partout l’agriculture en subit les conséquences.
Les territoires d’Outre-mer, isolés, vulnérables et entourés par la mer pour la plupart, sont en première ligne. Pour le président du centre Antilles-Guyane de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), Harry Archimède, les DOM seront affectés à deux niveaux par le changement climatique. « À l’échelle planétaire, les sources d’approvisionnement seront moins stables, la disponibilité alimentaire pour nos territoires sera impactée. Fatalement, les pays devront davantage compter sur eux-mêmes et développer leur agriculture. » À l’échelle régionale, les territoires seront confrontés à des événements climatiques majeurs, ce qui entraînera des destructions régulières dans les exploitations. « Les productions à cycles longs, comme les arbres fruitiers seront très touchés », prévient le chercheur.
Des récoltes dévastées et la floraison perturbée
Selon diverses prévisions de Météo France concernant les départements d’Outre-mer, les vagues de chaleur et des épisodes de sécheresse seront plus nombreux, plus intenses et plus longs. Les ouragans et tempêtes seront plus forts, causant des pluies diluviennes. « C’est ce que nous avons observé en Guadeloupe avec la tempête Fiona, dont les inondations ont entraîné d’importantes destructions de routes, ponts et maisons », se souvient Jean-Marc Blazy, directeur de l’unité Agrosystèmes tropicaux de l’Institut national de la recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l’environnement (INRAE). « Les phénomènes climatiques intenses, comme les inondations ou les bourrasques, peuvent détruire les récoltes ou dans certains cas tuer les animaux », poursuit le chercheur. Ils peuvent aussi entraîner une baisse de la productivité. « Par exemple, en cas de sécheresse, la chaleur peut modifier la croissance des plantes car ces dernières ne sont plus capables de faire la photosynthèse, processus nécessaire à leur croissance. Au-delà d’une certaine température, elles vont donc moins produire. »
Le réchauffement modifie aussi les dates de germination, floraison, éclosion et hibernation des végétaux. Les intersaisons sont elles aussi perturbées. À Mayotte, la saison « des pluies des mangues » entre octobre et novembre sépare la saison sèche et la saison des pluies, ces précipitations permettent à la fleur de se transformer en fruit et aux mangues d’être plus belles. À l’inverse, la saison des « pluies d’ambrevades », entre la saison des pluies et la saison sèche, contribue à l'abondance de ces légumes. « Si ces intersaisons sont raccourcies ou modifiées, on verra des conséquences pour les arbres fruitiers et les plantations », décrit Floriane Ben Hassen, responsable du centre météorologique de Mayotte.
Perturbées, soumises à un stress hydrique ou à des excès de chaleur, les plantes pourraient aussi être plus vulnérables aux maladies. D’autant que le cortège parasitaire des plantes et des animaux risques d’être lui aussi modifier, « on s’attend à ce que de nouvelles maladies apparaissent », précise le chercheur.
« On observe déjà tous ces phénomènes mais ils vont s’accentuer à partir de 2055 selon nos prévisions, alerte Jean-Marc Blazy. La situation risque de devenir catastrophique d’ici 20 ou 30 ans ! »
Saint-Pierre-et-Miquelon sous l’eau
Les Outre-mer, pour la plupart des territoires insulaires, sont aussi particulièrement exposés à l’érosion côtière et la hausse du niveau de la mer. Si les exploitations situées dans les terres ne sont pas concernées par ces aléas, celles situées sur les littoraux pourraient être submergées. C’est le cas à Saint-Pierre-et-Miquelon où les exploitations agricoles de Miquelon seront bientôt sous les eaux. « Une chèvrerie, une exploitation de volailles, une autre de légumes et de fleurs et un élevage de canard sont en danger et devront être déplacées rapidement », s’inquiète le maire de Miquelon, Franck Detcheverry. Cet ancien propriétaire agricole observe, impuissant, les terres agricoles prendre l’eau à chaque événement climatique extrême. « J’espère que ces exploitations seront déplacées d’ici 5 ou 10 ans, avant qu’elles ne soient inexploitables ou qu’il arrive quelque chose aux animaux », confie le maire. « Mais ce n’est pas facile, c’est aux chefs d’exploitation de décider s’ils acceptent de bouger même si l’État nous incite fortement à le faire. Les agriculteurs attendent de savoir ce qu’ils pourront tirer financièrement de leur exploitation avant de se déplacer pour ne pas tout perdre, on le saura dans les prochains mois. »
Le village de 600 habitants, bâti sur un isthme à peine à deux mètres au-dessus du niveau de la mer, est en voie d’être déplacé dans une zone plus sûre. Dès 2025, les premières familles seront relogées. « La relocalisation du village à faire renaître l’espoir. Jusqu’ici on avait condamné Miquelon », souffle le maire.
Si une partie de Saint-Pierre-et-Miquelon est sous les eaux, à Mayotte on en manque. L’accès à cette ressource est une des principales problématiques pour l’île de l’océan indien. « La ressource se raréfie et cela va entraîner des conflits dans la répartition de son utilisation. L’eau pour la consommation des habitants va entraîner en compétition avec celle pour l’agriculture », s’inquiète la responsable du centre météorologique de Mayotte. Alors l’agriculture mahoraise doit s’adapter à tout prix car les sécheresses à venir et l’augmentation des températures ne feront qu’aggraver le problème. Pour faire face au manque d’eau, les agriculteurs devront privilégier des espèces moins consommatrices. « Le songe, le cresson, la patate douce ou l’ensemble du maraîchage (tomate, poivron, aubergine) sont des cultures qui demandent beaucoup d’eau », cite la spécialiste. Pour Floriane Ben Hassen, les agriculteurs devront aussi s’organiser pour mettre en place des dispositifs de récupération d’eau pluviale.
Les agriculteurs trouvent des solutions
Les chefs d’exploitation, confrontés aux aléas du changement climatique depuis plusieurs années, n’ont pas attendu que les pouvoirs publics se saisissent du problème ou que le grand public s’intéresse à la question. Les acteurs agricoles mettent déjà en place des solutions pour s’adapter et innover face aux nombreux aléas climatiques.
La diversification des systèmes agricoles est une des solutions pour rendre une exploitation plus résiliente. « On ne mise pas sur une seule culture mais on diversifie les types de plantations ou les espèces animales. Ainsi, si une culture est plus vulnérable, on peut toujours compter sur les autres », explique Nadine Andrieu, agronome au Centre international de recherche agronomique pour le développement (CIRAD). Les agriculteurs font le choix d’allier une production végétale, animale et ornementale. On parle d’agroforesterie. L’association d’arbres, de cultures ou d’animaux sur une même parcelle permet non seulement un meilleur rendement mais aussi une meilleure santé des sols.
Les agriculteurs peuvent aussi faire appel à des plantes de service, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas là seulement pour des questions alimentaires mais pour protéger ou apporter des fertilisants. L’arbre, dans les agrosystèmes, permet de créer de l’ombre pour limiter la température au sein des cultures mais aussi de faire un effet brise-vent face aux bourrasques. « C’est le principe du jardin créole, on revient à des techniques ancestrales. On a la chance que les pratiques traditionnelles aux Antilles apparaissent comme des solutions adaptées », rappelle Harry Archimède.
À l’image des plantes moins gourmandes en eau à Mayotte, les agriculteurs misent aussi sur des cultures plus adaptées aux conditions climatiques extrêmes. La sélection de végétaux ou d’animaux plus résistants à des stress environnementaux est un des leviers d’adaptation au changement climatique. Le paillage des sols permet aussi de maintenir un certain niveau d’humidité dans les sols pour limiter le stress hydrique pour les plantes.
Mieux accompagner les agriculteurs
« Tous les agriculteurs ont une perception aiguë du changement climatique et de ses conséquences négatives sur leur activité », observe Nadine Andrieu. Dans ses travaux menés en Guadeloupe, l'agronome a étudié comment les politiques permettaient aux agriculteurs de faire face aux enjeux climatiques. « On s’est rendu compte que le sujet du changement climatique passait au second plan pour les collectivités. Les instruments de politique publique d’accompagnement sont plutôt orientés sur la réduction de pesticides et il n’y a pas suffisamment d’appui de ces institutions pour faire face au changement climatique ».
Les solutions pour lutter contre le changement climatique existent et les exploitations agricoles peuvent être repensées pour faire face aux prochaines décennies. « Les solutions on les a, on a prouvé qu’elles fonctionnent. À présent il faut aider davantage les agriculteurs et les former aux nouvelles pratiques agricoles», ajoute Jean-Marc Blazy. L’accompagnement et la formation sont des enjeux majeurs pour l’avenir de l’agriculture car des mauvaises pratiques agricoles pourraient participer à l’érosion ou à la détérioration des sols et ainsi accentuer les effets néfastes du changement climatique.
L’agronome Nadine Andrieu rappelle que la résilience d’une exploitation ne dépend pas seulement des pratiques de l’agriculteur. « Être plus résilient c’est aussi avoir des instruments adaptés, des aides de la part des assurances, plus d’informations ciblées pour anticiper les risques, des aides publiques pour investir différemment dans son exploitation ». L’environnement institutionnel permet d’augmenter la résilience des exploitations au changement climatique et offre aux agriculteurs les moyens de faire face aux chamboulements à venir.
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