Face au vieillissement des chefs d’exploitation, le renouvellement des générations est un enjeu majeur dans les Outre-mer. Dans les centres de formations, les professeurs tentent de convaincre leurs élèves de se lancer dans l’aventure agricole. Sans minimiser les difficultés inhérentes à la profession, les enseignants veulent prouver aux étudiants que l’avenir de leur territoire est entre les mains des agriculteurs. Deuxième épisode de notre dossier consacré à l’agriculture dans les Outre-mer.
Par Marion Durand.
Convaincre et sensibiliser. Si Marylène Manicom devait avoir un mantra, ce serait sans doute celui-là. Cette ancienne technicienne agricole enseigne depuis dix ans aux élèves de Guadeloupe Agro-Campus, un établissement qui regroupe un lycée polyvalent agricole, une exploitation, un CFA (Centre de formation d’apprentis) et deux centres de formations pour adultes (CFPPA).
Tous les jours, elles côtoient des jeunes lycéens ayant fait le choix d’une formation agricole. Pourtant, tous les élèves qui se tiennent devant elle n’envisagent pas de prendre la tête d’une exploitation. Ils sont même assez peu nombreux à rêver de l’aventure agricole. Sur une classe de 23 élèves en bac professionnel, moins de la moitié souhaite s’installer. « De nombreux jeunes sont en filière agricole car ils s’intéressent à la nature et aux animaux. Beaucoup veulent devenir assistant vétérinaire mais le nombre d’élèves qui a envie de produire et de contribuer au développement agricole est assez faible », regrette la professeure. D’autres jeunes sont là un peu « par défaut », parce que leur premier choix n’a pas été accepté.
Mais face au vieillissement des chefs d’exploitation, le renouvellement des générations est un enjeu majeur pour la Guadeloupe comme pour l’ensemble des territoires d’Outre-mer. Dans les centres de formations, le sujet est mis au premier plan. « On remarque que les jeunes sont attirés par le contact avec les animaux, ils aiment visiter des élevages. À nous, en tant que professeurs, de les conduire vers des filières de production », poursuit Marylène Manicom. « On leur montre que l’élevage est essentiel pour notre territoire, que les filières agricoles participent énormément à notre économie. On essaye de créer cette prise de conscience ». Selon cette professeure, il est primordial de mobiliser les jeunes sur « cette notion de service » : « On leur fait comprendre qu’ils sont dans un lycée agricole certes, mais que c’est beaucoup plus qu’une formation, qu’il y a de véritables enjeux car nous avons besoin de nos agriculteurs ! »
« Veux-tu toi aussi être un acteur essentiel pour la société ? »
Mais ce n’est pas facile car le métier d’agriculteur n’attire pas les étudiants, conscients de la pénibilité et des sacrifices à venir. Tous les jeunes guadeloupéens ont dans leur entourage un père, une tante, un cousin, un voisin ou une amie qui travaillent la terre.
Si le métier ne fait pas rêver, c’est aussi parce que la profession n’a pas toujours été valorisée. « On disait aux enfants ‘si tu ne travailles pas à l’école, tu iras au lycée agricole et tu finiras agriculteur’. Ce n’était pas un métier noble, les familles ne voulaient pas ça pour leur enfant », se souvient Marylène Manicom. « Pour que ces discours disparaissent, on doit changer l’image négative des agriculteurs et montrer aux enfants que nous avons besoin de médecins, d’avocats, de vétérinaires mais aussi des gens qui produisent pour nous nourrir. On a besoin de remettre l’agriculteur au centre de la société. »
C’est un point sur lequel travaille l’enseignante guadeloupéenne, elle veut prouver à ces étudiants que sans les agriculteurs, nous n’aurions rien à mettre dans nos assiettes : « J’essaye de leur expliquer de façon concrète en leur disant que le matin, ils boivent du lait, mangent des céréales ou du beurre et tout ça grâce à un gars ou une femme qui s’est levé tôt pour produire. Alors je les interroge : veux-tu toi aussi être un acteur essentiel pour la société ? »
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Au cours de leur cursus, les élèves découvrent le milieu agricole grâce à des stages, de 14 à 16 semaines au sein des exploitations. « Parfois, ces expériences les dégoûtent », remarque Marylène Manicom. Mais pas question de minimiser les difficultés inhérentes à ce métier. « On leur dit que c’est un métier difficile, on ne devient pas agriculteur par défaut, c’est un métier de vocation. Cela implique de travailler tous les jours, dans des conditions climatiques difficiles. Ce métier, on l’aime ou on ne l’aime pas ! » Mais face aux difficultés, la professeure rappelle toujours le caractère essentiel de la profession : « c’est un métier pénible mais le territoire dans lequel on vit a beaucoup à gagner à maintenir cette activité. »
Des jeunes attirés par l’élevage
La professeure remarque que les jeunes sont attirés davantage par l’élevage bovin ou le maraîchage que par les plantations de banane ou de canne à sucre. Ils se disent intéressés par le petit ruminant, notamment le caprin, une sous-famille de bovidés qui comprend notamment les chèvres, les moutons et les chamois. C’est le cas de Romain*, qui souhaite allier élevage et production fruitière de pastèque, d’ananas et de banane. Le jeune guadeloupéen a grandi dans une famille d’agriculteurs, pour lui, devenir chef d’exploitation est une manière de préserver « la tradition de (son) île ». S’il est pour le moment en BTS (Brevet de technicien supérieur), il est déjà inquiet face aux problématiques liées à l’accès à la terre et au foncier disponible.
Eduards, lui aussi en BTS, veut devenir agriculteur pour « nourrir la population de demain avec des aliments plus sains ». Inspiré par sa mère et sa grand-mère, toutes deux agricultrices, le jeune garçon envisage de cultiver du manioc et quelques légumes, « sans avoir recours à des produits chimiques », écrit-il. Parmi ses principales interrogations, Eduards se demande comment faire face aux événements climatiques à venir. Luc s’inquiète quant à lui des disponibilités en eaux, surtout dans la commune de Marie-Galante, où il réside. Le jeune homme souhaite s’orienter vers la polyculture et l’élevage, tout en continuant sa production d’abeilles.
Pour sauver l’agriculture guadeloupéenne, il faut convaincre les étudiants et leur prouver qu’ils ont une place dans le monde agricole. « L’enjeu aujourd’hui c’est de montrer aux jeunes les bons côtés du métier d’agriculteur, mais surtout de leur prouver l’utilité de ce métier », conclut Marylène Manicom.
*Le prénom a été modifié