DOSSIER 5/5. Ports ultramarins : Une transition écologique nécessaire

Différents projets de cargo à voile, à propulsion vélique, ou à basses émissions prévus en Outre-mer, de Saint-Pierre et Miquelon à la Polynésie, en passant par les Antilles

DOSSIER 5/5. Ports ultramarins : Une transition écologique nécessaire

Face aux différents enjeux environnementaux, les ports ultramarins sont confrontés à la nécessité de réduire leur empreinte carbone. Poussé par la législation internationale et européenne, le transport maritime tente de se décarboner pour protéger l’environnement et les habitants des villes portuaires. Cinquième et dernier article de notre dossier sur les ports d’Outre-mer.

Par Marion Durand

Le transport maritime représente 3% des émissions de gaz à effet de serre, soit l’équivalent du rejet de CO2 d’une dizaine de pays. Face aux différents enjeux environnementaux, la décarbonation des activités maritimes apparaît comme essentielle. Dans les Outre-mer, où la grande majorité des importations se fait par voie maritime les ports réfléchissent eux aussi à décarboner leurs activités. Mais la transition reste lente et difficile dans un secteur où des navires toujours plus gros sont mis sur le marché pour sillonner les mers. 

« Depuis l’émergence de la conteneurisation dans les années 60, la courbe de taille des bateaux n’a fait que grandir. On observe à l’heure actuelle une accélération de la course au gigantisme. Les compagnies maritimes fusionnent entre elles et deviennent de plus en plus grosses, elles créent des alliances et construisent des bateaux toujours plus gros », observe César Ducruet, géographe et directeur de recherche au CNRS. « La rentabilité économique reste aujourd’hui l’élément le plus important pour les armateurs et on peut attendre encore longtemps avant que les pratiques ne changent. »

Les impacts environnementaux des ports et du transport maritime suscitent une attention croissante ces dernières décennies dans le monde. « On observe un réel tournant au niveau mondial, souligne le chercheur au laboratoire EconomiX. L’Europe et l’Amérique du Nord sont en tête des mutations et la Commission européenne fait de gros efforts pour améliorer l’environnement dans les zones portuaires. » L’Organisation maritime internationale (OMI) renforce elle aussi ses mesures obligatoires visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre provenant des transports maritimes internationaux, dans le cadre du traité pour la prévention de la pollution par les navires.

L’Europe impose aussi des règles pour réduire la pollution dans les ports et améliorer la qualité de vie et la santé dans les villes portuaires. L’Union européenne a adopté le Green Deal, un plan d’action visant à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, avec un objectif intermédiaire de -55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030.

Les initiatives des ports ultramarins

Le groupe CGA-CGM, troisième armateur mondial et très présent dans les Outre-mer, assure être engagé depuis plusieurs années dans un « parcours de décarbonation », « avec les décisions pionnières d'utiliser des biocarburants, de commander les premiers porte-conteneurs propulsés au GNL, biométhane et e-méthane ready et d'optimiser les opérations, ce qui a conduit à une réduction des émissions de CO2 par conteneur et milles nautiques de 50 % entre 2008 et 2022. »

Pour répondre aux enjeux environnementaux, les ports, de leurs côtés, s’engagent aussi sur la voie de la transition énergétique et mènent des actions pour réduire leur empreinte carbone.

Le Grand port maritime de Martinique (GPMLM) ambitionne de créer un terminal bas carbone qui prévoit, entre autres, le branchement électrique à quai des navires ou une installation photovoltaïque avec stockage. « Ce terminal conteneur bas carbone ambitionne une réduction significative, jusqu'à 50 %, des émissions de CO2. L'objectif est ambitieux : accueillir des navires de grande capacité tout en doublant l'activité du terminal », indique le port.

À La Réunion, le Grand port Maritime a mis en place un plan d’aménagement et de développement durable (PA2D) et des suivis du milieu marin et terrestre lors des chantiers. « Une des mesures innovantes a consisté à mettre en place un ESI (Index Environnemental de navire), lequel est en vigueur, au Port de La Réunion, depuis 2018. Il s’agit pour les ports, qui émargent à ce type de démarche, de récompenser les compagnies maritimes les plus « vertueuses » parce qu’agissant en faveur de la réduction des émissions atmosphériques », décrit l’historienne Marie-Annick Lamy-Giner, maître de conférences à l’Université de La Réunion.

En Polynésie, le Port autonome de Papeete (PAP) dit avoir « pris la pleine mesure » d’une nécessaire transition énergétique et met en place depuis plusieurs années des mesures dans ce sens : « En 2015, le PAP a investi dans la rénovation de sa toiture, responsable d’une déperdition conséquente d’énergie. Depuis 2016, le PAP remplace progressivement ses appareils d’éclairage anciens et peu performants par des lampes LED. » 

Un générateur photovoltaïque a été installé ce qui a permis de réduire de 33 tonnes les émissions de CO2 du bâtiment administratif du PAP, selon les chiffres communiqués par le port. D’autres projets sont en cours de réflexion : « Aujourd’hui la totalité de ces navires utilisent des groupes électrogènes pour leur besoin en électricité et en grutage. Ces groupes fonctionnent au fuel et sont - par conséquent - des sources de pollution. Une piste pour réduire de 25% les émissions de gaz à effet de serre issues de l’activité portuaire est de travailler sur les escales aux quais de cabotage des navires assurant les navettes interinsulaires. »

« Les ports sont conscients qu’un verdissement est nécessaire. Il y a un travail dans le sens des réductions des émissions et les contraintes environnementales imposées aux acteurs portuaires seront de plus en plus importantes », estime Paul Tourret, directeur de l’Institut supérieur d’économie maritime.

Le développement des énergies renouvelables est un de levier, selon ce spécialiste, mais il s’inscrit nécessairement dans une ambition nationale. « Les acteurs portuaires vont devoir s’adapter mais il faut un élan général, la question se pose sur la manière dont on décarbone l’énergie de l’ensemble du territoire. Le défi énergétique concerne les territoires insulaires, pas seulement le port ! »

Les régions portuaires plus polluantes

Une des difficultés que relève le chercheur César Ducruet est le manque de données pour quantifier l’impact du transport maritime sur la pollution atmosphérique et sur la santé des habitants des villes portuaires.

À la demande de l’OMI, le chercheur a donc mené une vaste étude pour l’évaluer. Il a décrypté statistiquement les données sur les flux mondiaux de transport maritime dans près de 5 000 ports de 35 pays de l'OCDE entre 2001 et 2018. Les différents types de trafic, des conteneurs au vrac en passant par les passagers, ont été analysés conjointement avec des données sur les conditions naturelles, la pollution de l'air, les indicateurs socio-économiques et la santé publique. 

« Les principaux résultats montrent que les régions portuaires polluent en moyenne plus que les régions non portuaires, elles émettent plus de gaz à effet de serre que les villes qui n’ont pas de ports », dévoile le directeur de recherches. L’étude montre aussi que les impacts sont différenciés selon les types de trafic et varient en fonction de la taille et de la spécialisation de la région portuaire. 

En Nouvelle-Calédonie, une association de surveillance de la qualité de l’air s’intéresse, elle aussi, à l’impact du port sur la qualité de l’air à Nouméa. Le port autonome vient de confier à l’association Scal’air, une campagne sur le terrain pour mesurer les gaz polluants émis par l’activité portuaire. Plusieurs capteurs vont mesurer le dioxyde de soufre, le dioxyde d’azote, les poussières fines, les métaux lourds (dont le nickel) et les composés organiques volatils BTEX (dont le benzène). Un laboratoire mobile assurera un suivi continu et les premiers résultats devraient être livrés fin 2024.

Électrifier les ports ou développer les axes ferroviaires

Mais comment décarboner un port ? « La ville portuaire idéale a trois piliers : la transition énergétique, la fluidification de la chaîne logistique et un aménagement intégré du port dans la ville en réfléchissant en termes d’aménagement à l’échelle du territoire », répond César Ducruet. Pour le premier point, les ports peuvent privilégier les énergies renouvelables, proposer du carburant plus vert ou l’électrification des quais afin que les navires puissent se brancher à l’électricité lorsqu’ils sont à quais plutôt que de consommer du fioul.

France Nature environnement rappelle que « les navires brûlent du carburant alors même qu’ils sont en stationnement, polluant alors l’air des riverains du port. Les systèmes d’alimentation électrique à quai permettraient d’éteindre leurs moteurs auxiliaires et ainsi d’utiliser le réseau électrique auquel le port est raccordé. Seuls les navires adaptés peuvent utiliser un tel système, qui est actuellement très peu répandu dans le monde. »

« Quand des containers réfrigérés, qui nécessitent des branchements électriques, sont stockés sur le port, ils peuvent par exemple être entreposés à proximité pour créer de l’ombre entre les rangées », avance le chercheur. « On peut aussi développer des axes routiers, ferroviaires à proximité des ports pour éviter la congestion de véhicules aux heures de pointe. » Pour César Ducruet, l’élan écologique viendra des organismes de contrôle, des ports mais aussi acteurs du cluster portuaire : « la ville, les résidents, les associations de défense de l’environnement se battent pour avoir des meilleures conditions de vie. »

Cap sur les Outre-mer grâce à la voile

Si le transport à la voile apparaît comme une autre solution pour réduire l’empreinte carbone du transport maritime, il est encore très peu utilisé. Mais les navires propulsés à la force vélique se font tout de même une place dans le transport de marchandises. Plusieurs villes ultramarines sont des points stratégiques d’escales pour se rendre aux États-Unis ou au Canada depuis l’Hexagone. L’armateur Twot privilégie depuis 2011 ce mode de transport propre et ramène dans ses cales du rhum marie-galantais qui ravit les clients bretons. De son côté, l’entreprise Grain de sail relie New-York à Saint-Malo, en passant par Pointe-à-Pitre en Guadeloupe avec son voilier cargo chargé de matières premières pour fabriquer du chocolat et du café.

Eco Trans Océan, créé en 2021, a lui aussi pour ambition d’utiliser le vent, énergie gratuite et renouvelable, pour rejoindre les territoires maritimes français. Dès 2026, ils prévoient de relier la Bretagne à la Polynésie en passant par les Antilles pour le transport de marchandises. « L’urgence écologique est un défi pour l’industrie du transport maritime. Elle a pris un virage technologique. Les objectifs de température de l’accord de Paris impliquent la décarbonation complète de tous les secteurs, y compris le transport maritime international, d’ici 2050. La propulsion vélique, qui fait avancer les navires depuis 4 000 ans, est un choix résolument moderne », considère Ambroise Seiffert, fondateur et président d’Eco Trans Océan.

L’engouement pour ce mode de propulsion écologique et la multiplication des nouvelles initiatives laissent présager un développement du transport à la voile dans les prochaines années.

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