DOSSIER 2/5. Ports ultramarins : Des territoires dépendants des importations

© Grand Port autonome de Guadeloupe

DOSSIER 2/5. Ports ultramarins : Des territoires dépendants des importations

L’ensemble des territoires ultramarins dépendent des importations maritimes pour subvenir aux besoins de leur population. Produits alimentaires, marchandises, automobiles, hydrocarbures, énergies… tout débarque par les ports de commerce. Mais pourquoi les Outre-mer sont-ils si dépendants des importations, majoritairement françaises et européennes ? Réponse dans le deuxième article de notre dossier consacré aux ports ultramarins.

 

Par Marion Durand

Denrées fraiches ou congelées, carburant, automobiles, mobiliers, matériaux de construction, électroménagers, voitures, hydrocarbures, matières premières… Dans les territoires d’Outre-mer, tout (ou presque) est importé. Les territoires ont massivement recours aux importations de produits en tout genre pour nourrir et faire vivre leur population que ce soit dans le Pacifique, dans les Antilles ou dans l’océan indien.

L’essentiel de ces importations arrive par la mer. À La Réunion, 98 % des marchandises sont acheminées via le port. À Wallis-et-Futuna, et en Polynésie, c’est même 99 %. Cette dépendance s’explique par l’isolement des territoires au milieu des océans, qui ne peuvent être ravitaillés par des axes routiers ou ferroviaires. Pour Stéphane Renard, coordinateur du Cluster maritime de Polynésie, le Port autonome de Papeete fait figure de « lien avec le reste du monde ». « Nous ne pourrions réellement nous nourrir, nous vêtir, nous équiper, construire des habitats modernes, sans lui. Il est essentiel. »

Outre la situation géographique des territoires, les habitudes alimentaires des Ultramarins expliquent aussi cette dépendance aux importations. Dans les supermarchés, les rayons sont remplis de produits provenant de France et d’Europe. « Notre éloignement et nos modes de consommation nous rendent totalement dépendants des importations extérieures (pour les matières premières, pour l’énergie, pour la consommation des entreprises et des ménages). Sans le port, tout cela serait impossible. Sans le port, notre quotidien serait totalement différent », poursuit Stéphane Renard.

 © Port de Papeete 

Des Terres autrefois fertiles

Malgré une petite production locale dans certains territoires, elle ne suffit pas à nourrir la population. La place centrale qu’occupe les ports dans les économies ultramarines s’explique aussi, selon Paul Tourret, directeur de l’Institut supérieur d’économie maritime (ISEMAR), par « des marchés intérieurs faibles ou inexistants ». « Même lorsqu’on veut construire une maison, poursuit ce Docteur en géographie, tous les matériaux viennent d’Europe. Les Outre-mer sont, en quelque sorte, des départements déportés, des territoires qu’on aurait repoussés au loin mais qui vivent avec les mêmes besoins et habitudes de consommation que la France hexagonale c’est pourquoi le transport maritime est essentiel. »

Un rapport parlementaire sur l’autonomie alimentaire des Outre-mer publié le 4 juillet 2023 rappelle que les Outre-mer, « Terres incontestablement fertiles pour la plupart, nourrissaient jadis la « métropole » à l’époque coloniale ont basculé dans une fâcheuse dépendance aux importations à la fin du vingtième siècle, lorsque les habitudes alimentaires ont évolué vers une uniformisation, du fait de la mondialisation. »

Depuis, le déficit commercial entre les importations et les exportations des régions ultra-périphériques ne cesse de se creuser. Le rapport indique qu’entre 1995 et 2011, la dépendance des Outre-mer aux importations est passée de 54 % à 71 %. En 2022, Mayotte et la Guyane ne produisent plus que le tiers de leur consommation et les autres territoires dépendent des importations à hauteur de 76 % à 98 %.

Mais pourquoi les territoires ultramarins importent-ils autant ? Les parlementaires pointent la « mondialisation des modes de consommation qui ont détourné les populations des régimes alimentaires traditionnels de leurs territoires d’origine. » Un rapport de l’Ademe (Agence de la transition écologique) relève que les habitants des Outre-mer consomment peu de poisson, sauf en Polynésie, alors que leur zone de pêche est infiniment riche. Sur ce point, le rapport parlementaire indique que la France, qui dispose pourtant de la deuxième zone économique exclusive (ZEE) mondiale derrière les États-Unis, importe 70 % des poissons et fruits de mer qu’elle consomme. Et certains territoires d’Outre-mer importent eux-aussi une grande partie des produits de la mer consommés sur place : 88 % pour La Réunion et 73 % pour la Guadeloupe.

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Des produits en provenance de France et d’Europe

Mais la perte d’autonomie alimentaire des territoires vers les années 1970 ne s’explique pas seulement pas les changements de consommation. Selon le rapport parlementaire, « les territoires ultramarins sont marqués par des contraintes géophysiques qui pèsent sur leurs économies : éloignement des principaux pôles économiques mondiaux couplé à un faible niveau d’insertion dans leurs espaces économiques de proximité, difficultés d’accès liées à leur insularité (ou à leur isolement, pour la Guyane), exposition aux aléas climatiques ou encore étroitesse des territoires qui ne permet que difficilement l’extension des surfaces agricoles. »

La majoritaire des biens et marchandises importés dans les Outre-mer provient de France et d’Europe. Plutôt que de créer des liens commerciaux avec les pays voisins, hors de l’Union européenne, les départements français privilégient les échanges avec l’Hexagone, malgré les 15 000 kilomètres (ou plus) qui les séparent. Plusieurs raisons expliquent ce positionnement. L’héritage historique en est une : « Les Outre-mer ont longtemps été soumis au système de l’exclusif colonial (obligation de commerce exclusif avec la métropole). En héritage de ce système, les infrastructures logistiques et les réseaux commerciaux sont largement orientés vers la France et l’Europe », observe Alexandre Luczkiewicz, directeur du développement technologique et réglementaire, responsable des relations et des actions Outre-mer, en charge de la coordination des Clusters Maritimes d’Outre-mer.

Mais les normes imposées par l’Europe sont une autre explication. Les Outre-mer faisant partis de l’Union européenne, les produits importés dans ces territoires sont soumis à une réglementation stricte, particulièrement en matière sanitaire et phytosanitaire. Ces normes limitent ainsi le commerce avec des pays voisins plus proches géographiquement mais qui ne respectent pas les mêmes standards. « Adapter les produits aux normes européennes entraîne des coûts supplémentaires pour les exportateurs des pays voisins, dissuadant ainsi les importations. De plus, les contrôles rigoureux aux frontières pour vérifier la conformité compliquent davantage ces importations », détaille Alexandre Luczkiewicz.

© Grand Port maritime de Guyane

Des importations qui augmentent le coût de la vie

Le directeur de l’Institut supérieur d’économie maritime (ISEMAR), Paul Tourret, avance une autre piste : « Si on observe une très faible consommation régionale, par exemple, les Antilles ne vendent que très peu de produits américains ou la Guyane des produits brésiliens, ça tient dans le fait que la grande distribution est tenue par des grands groupes. » De part la petite taille des marchés ultramarins, il est parfois plus rentable de négocier des grandes quantités avec des centrales d’achat nationales que de négocier directement avec les pays voisins.

Aujourd’hui, la tendance n’est pas à la baisse des importations. Au contraire, selon Loup Wollf, directeur interrégional Insee La Réunion-Mayotte, « depuis plus de 10 ans, on n’observe pas une augmentation de la consommation de produits locaux, plutôt une croissance des importations ». « À La Réunion, il y a des initiatives réelles pour développer les filières locales et les maintenir en vie mais la consommation reste très orientée vers les produits d’importation. » Cette problématique de dépendance aux importations en amène une autre : celle de la vie chère. Selon l’Autorité de la concurrence, « l’importance des intermédiaires dans le processus d’importation et de distribution, la surreprésentation des marques nationales au détriment des marques distributeurs et les frais d’approche (transport, taxes, etc.) sont les facteurs principaux expliquant le différentiel de prix avec l’Hexagone ».