DOSSIER 1/5. Ports ultramarins : Poumons économiques des territoires d’Outre-mer

©Grand Port Maritime de La Réunion

DOSSIER 1/5. Ports ultramarins : Poumons économiques des territoires d’Outre-mer

Véritables piliers économiques, les ports ultramarins font vivre les territoires d’Outre-mer. Principales portes d’entrée des marchandises, des biens et des personnes, les ports sont aussi d’importants employeurs et participent activement à l’économie locale et internationale, en se positionnant comme des Hubs régionaux. Dans un dossier spécial, Outremers360 vous plonge cette semaine dans ces territoires qui vivent au rythme de leurs ports.

Par Marion Durand

Les ports ultramarins sont les poumons des territoires d’Outre-mer. Principal mode d’échange de marchandises dans le monde, le transport maritime constitue un support fondamental aux économies ultramarines. 90 % des biens de consommations sont transportés par la mer dans le monde, mais ce chiffre grimpe encore davantage lorsqu’on parle de nos Outre-mer. 

« Les ports sont les principales portes d’entrée et de sortie des territoires insulaires. Sur un continent, le transport de marchandises peut se faire par voie ferrée ou encore par barge, dans une île les possibilités sont plus limitées, résume l’historienne Marie-Annick Lamy-Giner, maître de conférences en géographie à l’Université de La Réunion. Ils agissent comme des cordons ombilicaux et les importations et exportations de marchandises, encore appelées fret, transitent majoritairement par le port et plus secondairement par les aéroports. »

Pour Paul Tourret, directeur de l’Institut supérieur d’économie maritime (ISEMAR), si les ports sont au cœur des économies ultramarines c’est aussi parce que ces territoires ont connu un fort développement par rapport à leurs voisins régionaux. « Dans les petites Antilles, la Martinique et la Guadeloupe sont des îles plus peuplées que les territoires alentour. Elles ont donc des besoins plus importants, liés au nombre d’habitants. L’intégration dans l’économie française et européenne joue un rôle très important. Ces départements français font partie de la zone euro et consomment des produits nationaux ».

« Dans une île, la fermeture du port met à l’arrêt l’économie »

La bonne santé de l’activité portuaire est donc essentielle, en cas de grève ou de fermeture du port pour cause d’intempérie, l’économie des territoires insulaires se retrouve alors à l’arrêt. « Sur un continent, ou la façade maritime d’un pays continental, plusieurs ports peuvent s’égrener. Un port « paralysé » peut ainsi être suppléé par un port voisin. Dans une île, la fermeture du port met à l’arrêt l’économie », confirme Marie-Annick Lamy-Giner. 

L’historienne se souvient d’un mouvement de grève qui avait alors paralysé La Réunion : « Tout blocage portuaire a ainsi des répercussions sur toute la chaîne logistique et d’approvisionnement. Les rayons des supermarchés ne pouvant plus être achalandés, les entreprises n’étant plus approvisionnées, l’économie peut être quasi frappée de paralysie. Une des grèves les plus longues (19 jours) au Port de La Réunion, en 2013, avait conduit à l’entassement à quai de plus de 1000 conteneurs. Dans cette situation, les navires doivent être déroutés vers Madagascar ou Maurice. »

Port de Longoni à Mayotte 

Cette dépendance aux importations peut aussi être synonyme de fragilité lorsque les territoires rencontrent des difficultés d’approvisionnement. Toutes crises ou conflits mondiaux impactent directement les territoires ultramarins. En décembre 2023, les leaders mondiaux du transport maritime, tels que Maersk, Hapag-Lloyd, CMA CGM, et MSC, ont suspendu leurs traversés en mer Rouge suite aux attaques répétées des rebelles Houthis yéménites. Certains navires ont dû faire un détour par le Cap de Bonne-Espérance, rallongeant considérablement les trajets, et faisant du port de Mayotte une victime collatérale de la piraterie.

« La crise actuelle sur le fret asiatique pénalise par exemple les importateurs. Des crises internationales peuvent avoir une influence sur les taxes, sur des retards de délai car il y a des surencombrements dans certains pays. On craint aussi des augmentations de taxes si Donald Trump est réélu », indique le Syndicat des importateurs de La Réunion (SICR). « Mais on ne peut pas supporter tous les maux du monde », ajoutent-ils. Pour ça, ils réclament davantage de foncier, pour créer des « mega-stocks ». « On a actuellement quelques semaines de stocks, mais on voudrait être plus résilient. On espère que dans le cadre de l’aménagement du port on aura des espaces dédiés. On essaye de mobiliser ceux qui détiennent du foncier pour pouvoir augmenter nos espaces de stockages et ainsi nos stocks. »

Des employeurs majeurs pour les territoires

Si les ports sont au cœur des économies ultramarines c’est aussi parce qu’ils se placent parmi les employeurs principaux des territoires. Avec des milliers de personnes travaillant directement ou indirectement pour les ports, l’activité portuaire demeure un important vecteur d’emplois. Selon les derniers chiffres publiés par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), 2 300 emplois directs ont été recensés dans le complexe industrialo-portuaire de Guadeloupe pour 132 entreprises.

Grand port maritime de Martinique

À La Réunion, 5 700 salariés, répartis entre 355 entreprises travaillent dans l’ensemble des activités liées à l’activité portuaires (arrivée, traitement, entreposage des marchandises). « Cela représente 2,1 % de l’emploi total de La Réunion et 3 % du PIB », précise Loup Wolff, directeur interrégional Insee La Réunion-Mayotte. « Si on prend l’économie bleue, c’est-à-dire l’ensemble des métiers liés au maritime, c’est 2,5 % de l’emploi réunionnais. »

En Polynésie, la zone portuaire de Papeete concentre plus de 192 entreprises issues des principaux secteurs d’activité de l’économie polynésienne, dont les services administratifs, les établissements publics, les sociétés du commerce, du transport terrestre et maritime, selon les informations livrées par le Port autonome. Environ 3 500 personnes travaillent quotidiennement dans cette zone.

« Outre la question du transit des marchandises, par des grandes lignes maritimes, les ports assurent aussi le trafic des passagers, que ce soit en inter-îles au cabotage (transport maritime de courte distance), ou encore la croisière », rappelle Alexandre Luczkiewicz, directeur du développement technologique et réglementaire ; responsable des relations et des actions Outre-mer, en charge de la coordination des Clusters Maritimes d’Outre-mer.

En Polynésie, le tourisme est porté par les croisières. Selon le Cluster maritime du territoire, 2023 a été une année record pour le tourisme. « Sur les 262 000 visiteurs accueillis au Fenua en 2023, 43 815 sont des croisiéristes venus embarquer sur les navires basés en tête de ligne en Polynésie », peut-on lire dans une note de synthèse du Cluster maritime de juin 2024. « Au total, la croisière représente plus de 20 % du revenu touristique soit environ 167 milliard d’euros de ressources propres pour le Pays et jusqu’à 20 % des réservations sur les lignes aériennes opérant sur Tahiti. Le secteur, qui a pratiquement triplé le nombre d’escales sur les 15 dernières années, devrait poursuivre sa croissance pour les années à venir, selon les projections établies à 2027. »

Des chiffres confirmés par le Port autonome de Papeete, qui observe aussi « une croissance de 20 % du nombre d'escales de navires de croisière en 2023 (194 escales contre 162 en 2022), avec des durées de séjour en progression de 1 %. »

Des ports au carrefour du commerce international

Le Grand Port Maritime de La Réunion est aujourd’hui le premier port d’Outre-mer français en termes de trafic de marchandises, suivi par celui de Nouméa en Nouvelle-Calédonie. Dans les Antilles, le trafic est également important, les ports bénéficiant d’une activité de transbordement en croissance, selon une note de l'Institut d'émission des départements d’Outre-mer. Les trafics maritimes des autres territoires « sont en revanche plus modestes, proportionnés à la taille de ces économies, mais demeurent essentiels à leur approvisionnement ».

Port autonome de Papeete

Certains territoires, de par leur positionnements géographiques stratégiques, sont devenus de véritables hubs régionaux, comme La Réunion ou le Hub Antilles, qui comprend les grands ports maritimes de Guadeloupe et de Martinique. Des leaders mondiaux du transport maritime choisissent d’y transiter comme la compagnie CMA-CGM. « La Réunion dispose d’un positionnement géographique exceptionnel, au cœur des routes commerciales de l’hémisphère Sud, entre Afrique et Asie », considère Alexandre Luczkiewicz, en charge de la coordination des Clusters Maritimes d’Outre-mer. 

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Il ajoute : « Classé au troisième rang des ports des RUP (régions ultrapériphériques de l’Union européenne) et au quatrième rang des ports à conteneurs français, le port de La Réunion affiche un trafic global avoisinant les 6 millions de tonnes et 375 000 conteneurs équivalent-vingt-pieds (EVP) manutentionnés. CMA-CGM a fait de Port Réunion son hub de transbordement, et les deux autres armateurs mondiaux, Maersk et MSC s’y installent. »

Dans une récente étude, PortEconomics a démontré que les ports des Caraïbes ont une double fonction : celle de point d’entrée des marchandises dans l’île mais aussi celle de port de transbordement. « Les ports des Caraïbes ont la double caractéristique d’être vital pour l’économie locale ainsi que d’être des nœuds logistiques entre l’Asie, l’Europe et l’Amérique du Nord », détaillent les auteurs de l’étude.

D’autres ports ultramarins n’ont pas la chance de se positionner au cœur du commerce mondial, faute d’infrastructures adaptées pouvant « accueillir les navires de nouvelles générations et offrir des services adaptés aux carburants alternatifs », selon Alexandre Luczkiewicz. « La connectivité avec les grands axes maritimes internationaux est limitée, et les formalités administratives ainsi que les délais de traitement peuvent être plus longs, dissuadant ainsi les opérateurs logistiques de les utiliser comme hubs de transbordement. »

Les ports ultramarins sont aujourd’hui confrontés à de nombreux défis économiques ou environnementaux auxquels ils tentent de répondre tout en se positionnant comme des points relais cruciaux sur la scène internationale.