La Polynésie française, comme l’ensemble des territoires ultramarins, dépend de ses importations, dont 99% sont acheminées par voie maritime, pour subvenir aux besoins de la population. Vieillissant et inadapté, le Port autonome de Papeete s’est lancé depuis plusieurs années dans des travaux de modernisation pour répondre aux défis des années à venir. Stéphane Renard, coordinateur du Cluster maritime en Polynésie, revient sur ce chantier titanesque pour le quatrième article de notre dossier consacré aux ports d’Outre-mer.
Par Marion Durand
Interview de Stéphane Renard, coordinateur du Cluster maritime en Polynésie et coordinateur de Tahiti Cruise Club.
M.D : Le port autonome de Papeete va subir d’importants travaux. Les infrastructures actuelles du port ne sont-elles pas adaptées au trafic projeté dans la prochaine décennie ?
Stéphane Renard : Il y a plusieurs aspects. D’une part, les différents trafics vont continuer de croître, les modes d’acheminement et les impératifs internationaux évoluent — les règles et les attentes locales également —, et les infrastructures en elles-mêmes doivent se moderniser et être optimisées. Faire évoluer de telles infrastructures, ce n’est pas uniquement pour la décennie à venir, mais pour les trois ou quatre suivantes, voire davantage. Ce sont des enjeux et des investissements dont la raison d’être, l’amortissement, comme les projections, engagent la collectivité et l’établissement pour plusieurs décennies.
Le transport maritime est, sur le plan international, dans une phase de transition majeure. La taille des navires, leurs capacités, leurs modes de propulsion évoluent et vont continuer d’évoluer sans doute jusqu’à l’horizon 2050. Il en va de même pour les trafics interinsulaires, avec de nouvelles carènes, de nouvelles propulsions, et des équilibres économiques sensiblement différents à ceux des cinq dernières décennies.
Par ailleurs, l’évolution de la filière Pêche, qui s’est remarquablement structurée ces dix dernières années, doit poursuivre sa mutation et des ambitions nouvelles, qui là encore imposent des infrastructures adaptées.
Une récente note de synthèse du Cluster maritime indique que l’escale à Papeete n’est pas stratégique pour les grandes compagnies maritimes. Pourquoi ?
Pour faire simple, c’est comme une ligne ferroviaire. On construit le réseau pour desservir d’abord les gares importantes, générant un flux important, avec des infrastructures importantes, et ensuite, on examine la situation des gares secondaires, voire carrément optionnelles. C’est la situation de la Polynésie, isolée et éloignée, avec un flux en propre à la fois unidirectionnel et très limité. S’insérer dans le trajet des grandes compagnies de fret, qui relient les continents et les places de production et de consommation importantes, quand on est loin, petit, que l’on décharge un peu (importations) et que l’on ne charge quasiment rien (exportations), est un coût net bien plus qu’une recette. Cela rajoute des délais sur les lignes principales, pour un rendement négatif. En termes d’exploitation, faire une escale à Tahiti entre les USA et l’Australie ou la Nouvelle-Zélande, ce n’est pas vraiment un choix dicté par des résultats économiques.
Selon ce rapport, avec l’augmentation de la taille des navires liée aux règles d’efficience de l’Organisation maritime internationale (OMI) et aux objectifs de rentabilité, on peut s’attendre à une augmentation du coût de la vie. Pourquoi ?
Pour émettre encore moins de CO2 à la tonne transportée (objectif de l’OMI de réduire de 40% le bilan carbone du fret mondial d’ici 2030), et dans une logique d’optimisation des charges et des recettes, les transporteurs sont encouragés à accélérer la transition énergétique des navires et ont intérêt à disposer de navires plus grands, avec une capacité de charge plus importante.
Du coup, ce sont des armateurs plus petits, plus spécialisés, qui vont réacheminer ces mêmes marchandises, dans un second temps, depuis l’Australie et la Nouvelle-Zélande, sur des navires plus petits, faisant escale dans les États et territoires insulaires du Pacifique Sud. Outre des délais d’acheminement globaux plus longs, des ruptures de charges et des lignes maritimes secondaires devant facturer davantage pour chaque conteneur, ces « transbordements » ou « réacheminements » conduisent à une augmentation sensible des coûts de transport des produits importés avec en conséquence une augmentation du coût de la vie majeure pour les Polynésiens.
Parmi les travaux, il est prévu d’agrandir la passe pour permettre à des navires plus gros d’entrer dans le port. Quels types de cargos devraient accoster sur le nouveau quai ?
Plusieurs lignes maritimes aujourd’hui maintiennent à la fois l’acheminement des marchandises et énergies en Polynésie, en provenance d’Europe et des USA, via le Panama, et d’Asie. On parle donc autant des cargos que des tankers, même si ceux-ci sont plus petits sur ces lignes. Pour les cargos, il y a deux travaux majeurs en cours et programmés. D’abord, il s’agit de la rénovation et reconstruction partielle du quai au long cours, destiné au commerce international. L’actuel affiche déjà 60 années de bons et loyaux services. Il est fragilisé, il ne peut supporter de nouveaux équipements, la profondeur y est limitée à 13 mètres de tirant d’eau, il n’est plus adapté. Les travaux vont permettre à la fois de le reconstruire et le consolider, le rallonger un peu, l’élargir sensiblement, et permettre un tirant d’eau à 14,5 mètres. C’est un investissement important de plus de 35 millions d’euros.
Ensuite, c’est la profondeur de la passe et du chenal jusqu’au quai, à garantir entre 14,5 et 15 m de tirant d’eau, pour permettre le passage de navire dit « post Panamax » avec une capacité de 5500 EVP (Équivalent Vingt Pieds) contre 3500 aujourd’hui pour les navires qui desservent la collectivité. Ce sont des travaux importants, nécessitant de déplacer plus de 55 000 m3 de matériaux sous-marins. Par ailleurs, toutes les infrastructures actuelles face à la passe vont devoir être consolidées puisque les effets de houle seront plus importants.
Permettre l’arrivée de ces navires, toujours plus gros, ce n’est pas participer à la « course au gigantisme » selon vous ?
La Polynésie subit cette tendance internationale qui touche toutes les catégories du transport maritime sans exception dans le monde entier. Comme tous les ports du monde, soit nous nous y adaptons, soit nous renforçons notre mise à l’écart, notre marginalisation. Les ports des façades hexagonales, ou de tous les Outre-Mer, sont dans les mêmes questionnements. Pour une région hexagonale, ce qui ne pourra être directement desservi par la mer, le sera par la route ou le train. Pour la Polynésie, ce n’est pas possible. Et l’alternative de l’aérien, ce sont des coûts et des impacts environnementaux non supportables. Nous devons donc, au mieux, définir nos capacités portuaires en fonction des besoins de la collectivité. Sans cela, nous étouffons.
Il est aussi prévu d’agrandir l’ensemble du terminal de commerce international. Pourquoi ?
L’objectif est de passer de 13 à 16 ha. Ce terminal permet l’entreposage des conteneurs (EVP). Lors de sa conception, il y a 50 ans, la population polynésienne était plus de 2 fois inférieure à ce qu’elle est aujourd’hui. L’extension et l’optimisation de ces espaces doivent permettre de répondre à la croissance estimée des flux des 10 à 20 prochaines années et doubler la capacité d’accueil de 93 000 à environ 200 000 EVP.
Combien coûteront ses travaux et quelles seront les retombées économiques ?
L’ensemble des travaux en cours ou programmés pour le Port d’ici à 2030 représentent environ 220 millions d’euros d’investissements. Le PIB de la Polynésie est au-dessus des 5 milliards d'euros, dont un tiers dépend des services non marchands, la quasi-totalité du reste de l’économie polynésienne dépend donc de l’efficience du Port et de l’Aéroport, qui sont les portes d’entrée de la collectivité et de la destination. Donc investir 200 millions sur 10 ans, pour que 3 à 4 milliards puissent continuer à être produits chaque année, le calcul est assez rapide. Ce pourquoi d’ailleurs, tant l’AFD (Agence française de Développement) que la Banque des territoires sont favorables à accompagner ces investissements.
L’agrandissement de la passe va-t-il vraiment dans le sens du verdissement du port ou ce choix risque d’avoir des conséquences sur la faune et la flore marine à proximité du port ?
C’est une préoccupation. Il est certain que la rade de Papeete, à l’inverse de la quasi-totalité des lagons et zones récifales de Polynésie, est déjà particulièrement impactée, depuis 1960 et face à la densification urbaine de ces dernières décennies. « La faune et la flore marine à proximité du port » sont loin d’être les plus riches et préservés de Polynésie, ou même de Tahiti.
Néanmoins, il convient d’y prendre garde et de restaurer peu à peu, au gré également des transitions techniques et technologiques des navires, des mouvements et flux incessants. La houle générée par l’approfondissement et l’excavation de 55 000 m3 de matériaux issus du fond de la rade vont forcément avoir des impacts supplémentaires
Il faut les anticiper autant que possible, ce que le Port s’efforce déjà de prévoir, et tenter non seulement de la compenser mais de restaurer les milieux, toutes proportions gardées, et en fonction de ce qui est réaliste et possible dans un tel contexte.
L’avenir du port de Papeete dépend-il de ces travaux et de la modernisation du port ?
À peine plus d’un an après la création du Cluster maritime de Polynésie française, en juin 2014, la question de la stratégie de la modernisation portuaire était au centre de rencontres sectorielles que nous avons organisé, collégialement, entre décideurs publics et privés, en octobre 2015. C’est dire que ce sujet est crucial à nos yeux.
L’avenir du Port de Papeete et l’économie maritime, et par extension l’ensemble de l’économie polynésienne, dépendent de ces transitions et modernisations, de ces investissements en infrastructures notamment, mais aussi de la digitalisation des modes de gestion, par exemple.
Il y en a d’autres, notamment la modernisation et le renouvellement des moyens de mises à sec des navires de transports de passagers ou de fret interinsulaire, par exemple ou bien la gestion des infrastructures nautiques et portuaires en dehors de la circonscription du Port Autonome de Papeete. Mais le Port fait sa part, c’est une dynamique que l’on ne peut que saluer.