Le décret fixant les dates des élections territoriales de 2023 en Polynésie est paru ce jeudi, et les électeurs de la Collectivité d’Outre-mer sont donc appelés aux urnes les 16 et 30 avril prochain. Pour l’occasion, Outremers360 fait un premier tour d’horizon des forces politiques officieusement en lice.
La mère des élections en Polynésie française. Scrutin proportionnel plurinominal de listes, à deux tours et avec prime majoritaire, les Territoriales vont déterminer la composition de l’Assemblée de la Polynésie, composée de 57 représentants. Une fois élus, ces derniers vont ensuite élire le président de la Collectivité, naturellement issu des rangs du parti -et donc du groupe- qui aura eu la majorité des sièges.
C’est donc les 16 et 30 avril 2023 que les Polynésiens vont renouveler leur assemblée. Le décret précise que la date limite d’inscription sur les listes électorales est fixée au mercredi 15 mars pour une inscription par internet et au vendredi 17 mars pour une inscription en mairie. En attendant, la course politique à la majorité à l’Assemblée de la Polynésie a déjà commencé. Et si les dernières élections nationales n’ont pas beaucoup mobilisé l’électorat local, elles donnent un aperçu des équilibres politiques en place et des thèmes de campagne qui pourraient être abordés.
D’abord du côté autonomiste, il y aura bien évidemment le Tapura Huira’atira (La liste du peuple) de l’actuel président Édouard Fritch. Ce dernier a déjà confirmé qu’il mènera la liste de son parti et un avis du Conseil d’État rendu en octobre a dissipé le doute sur sa capacité à se représenter à la tête du pays. En effet, la loi organique limite le chef de l’exécutif à deux mandats consécutifs de cinq ans. Or, Édouard Fritch, arrivé au pouvoir en 2014 et réélu en 2018, n’a pas fait un premier mandat complet, puisqu’il remplaçait son ex-mentor Gaston Flosse, condamné un an après sa réélection en 2013. Le Conseil d’État a tranché et estime qu’Édouard Fritch peut briguer un nouveau mandat.
S’il peut s’appuyer sur une large majorité à l’Assemblée locale, et le soutien de nombreux maire de la Collectivité, les crises successives, entre le Covid-19 et les répercussions de la guerre en Ukraine, le parti d’Édouard Fritch entre dans une période électorale compliquée. Épisode du mariage d’un des membres de son gouvernement en plein pic épidémique, élus qui refusent la vaccination obligatoire, contestations en interne, départs, revers électoraux : le Tapura Huira’atira a été secoué ces derniers mois dans un contexte particulier de crise sur crise, poussant certains élus à dénoncer une gouvernance trop verticale et à démissionner non sans fracas.
Ce fut d’abord le cas de l’ancienne députée Nicole Sanquer. Après avoir été élue au Palais Bourbon en 2017 puis à l’Assemblée de la Polynésie en 2018 sous les couleurs rouge et blanc du Tapura, l’élue quitte le parti en 2021 et prend dans son sillage l’ancien Vice-président d’Édouard Fritch et ancien sénateur Nuihau Laurey, ainsi que le jeune maire de l’atoll de Makemo Félix Tokoragi. Ensemble, ils fondent A Here ia Porinetia (Aimer la Polynésie), et se lancent chacun dans une des trois circonscriptions de la Collectivité pour les Législatives. Si aucun ne sera élu, le parti fait tout de même un score honorable, et arrive en 3ème position en nombre de voix sur l’ensemble de la Polynésie.
Autre défection, plus récente, celles de Teva Rohfritsch, sénateur et ancien ministre de l’Économie et des Finances d’Édouard Fritch, et Nicole Bouteau, ancienne ministre du Tourisme et du Travail, candidate malheureuse aux dernières législatives. Parmi les cofondateurs historiques du Tapura Huira’atira, Teva Rohfritsch et Nicole Bouteau ont vivement contesté la gouvernance de leur ancien parti, le fameux épisode en plein pic épidémique ou encore, les orientations économiques du président Édouard Fritch face à la crise. Autant de raisons qui, selon eux, a coûté la confiance des électeurs et les ont poussés à fonder un nouveau parti, Ia Ora te Nuna’a (Vive le Peuple), dernier né de l’échiquier politique, à tendance autonomiste.
Artisan de l’autonomie, Gaston Flosse et son Taho’eraa Huira’atira (l’Union du peuple), devenu Amuitahira'a o te Nuna'a Maohi (Rassemblement du peuple Ma'ohi) seront sans aucun doute présents pour ce rendez-vous électoral. Mais le parti du « Vieux Lion » connaît l’hémorragie depuis les années 2000. Pour faire simple, l’essentiel des noms cités auparavant faisaient partie de ses rangs : Édouard Fritch, son ancien vice-président et numéro 2 du parti, Teva Rohfritsch, qui fut son ministre au début des années 2000 tout comme Nicole Bouteau ou encore, Nuihau Laurey, dont la carrière politique a commencé en 2013 avec Gaston Flosse. Le parti défend aujourd’hui une ligne politique, entre autonomie et indépendance, qui semble avoir perdu les électeurs, et n’a plus connu de succès électoraux depuis 2013.
De l’autre côté, seuls sur le créneau de l’autodétermination, les indépendantistes semblent gonflés par leur victoire historique dans les trois circonscriptions de Polynésie, lors des dernières législatives. Un carton plein qui fait d’Oscar Temaru et son parti, le Tavini Huira’atira (Servir le peuple), un adversaire sérieux du président Édouard Fritch. Reste à savoir la composition de la liste indépendantiste, qui devrait tomber début 2023. Le Tavini pourrait vraisemblablement reprendre ce qui a fait son succès aux Législatives : miser sur la jeunesse et espérer ouvrir son électorat au-delà des sympathisants de l’indépendance. Mais il y a aussi, dans ce parti, des vétérans qui auront leur mot à dire.
La victoire des indépendantistes aux dernières législatives et la division du camp autonomiste poussent Édouard Fritch à recentrer le débat sur l’autonomie contre l’indépendance. Ce fut notamment le cas lors d’un discours prononcé en marge d’une audition des indépendantistes devant la Commission onusienne chargée de la décolonisation. Une façon de poser son parti comme seul rempart crédible et éviter que les électeurs autonomistes ne soient tentés par les partis plus jeunes et notamment, les partis des ex-Tapura : Teva Rohfritsch et Nicole Sanquer. Ces deux partis, au-delà de l’autonomie, veulent mettre en avant un autre mode de gouvernance pour se différencier et espérer, au minimum, peser dans l’échiquier politique qui se dessine.
Chez les indépendantistes, on entend défendre un projet de société avec en ligne de mire, l’accession de la Polynésie à la pleine souveraineté. Ces derniers ont notamment réussi, ces dernières années, à imposer des thèmes comme la protection de l’emploi local ou du foncier. Nul doute que ces deux thématiques feront débat pendant la campagne électorale.
Le mouvement d’évolution statutaire assez généralisé en Outre-mer, avec la Nouvelle-Calédonie en locomotive, trouve aussi écho en Polynésie. On parle notamment d’émancipation des archipels par rapport à Tahiti, qui concentre toutes les compétences et toute l’activité économique. Un sujet porté à la fois par les maires des Marquises, autonomistes, mais aussi par les indépendantistes, qui défendent un modèle institutionnel plus fédéral. On évoque aussi la création d’une citoyenneté polynésienne pour répondre aux problématiques de l’emploi et du foncier, ou encore de la protection des fonds marins et de la gestion de la ZEE, dont la position géographique est hautement stratégique pour l’État.
À cela s'ajoutent, naturellement, les problématiques du quotidien comme la vie chère et l’inflation à laquelle la Polynésie n’a pas échappé, le modèle de développement économique ou encore, les relations avec l’État.