Nouvelle-Calédonie: inquiétudes au palais de justice de Nouméa

©  DR

Nouvelle-Calédonie: inquiétudes au palais de justice de Nouméa

"Je ne me sens pas du tout en sécurité au palais de justice". Exprimée par un de ses acteurs, cette confidence illustre les difficultés du système judiciaire en Nouvelle-Calédonie, en première ligne depuis le début de la violente crise qui secoue l'archipel.

 

Comme le reste de la population du "Caillou", magistrats, greffiers et agents du tribunal de Nouméa ont subi de plein fouet les émeutes qui ont éclaté le 13 mai après le vote d'une réforme électorale contestée par le camp indépendantiste. Barrages bloquant la circulation, pénuries de produits de base, arrêt de services publics comme l'école ou les transports, rien ne leur a été épargné.

"Le palais de justice s'est transformé en crèche", témoigne une syndicaliste sous couvert d’anonymat. 

Deux jours après le début des violences, les autorités judiciaires ont en effet engagé un plan de continuité d'activité. "La sécurisation du site n'a pas pu être garantie pendant les deux premières semaines", se souvient Emmanuel Poinas, délégué du syndicat CFDT-Magistrats.

Confronté à un afflux d'interpellations, le système judiciaire a dû se remobiliser. "En un claquement de doigt, on nous a demandé de reprendre l'activité alors que nous avions deux baromètres sociaux organisés par les syndicats qui montraient la forte augmentation des risques psycho-sociaux et des personnels très angoissés", décrit le délégué.

 "Postures syndicales" 

Dans une réponse écrite à l'AFP, les chefs de juridiction parlent, eux, de "postures syndicales", rappelant qu'à la mise en place du plan de reprise, seuls quatre agents sur 200 étaient encore "bloqués à leur domicile". Ils assurent avoir pris toutes les dispositions nécessaires pour assurer la sécurité et offrir des consultations psychologiques gratuites au personnel et à leurs enfants.

"Nous sommes attentifs à la situation qui affecte tout le monde et pas uniquement sur un plan professionnel", souligne Gilles Rosati, premier président de la cour d'appel, précisant qu’une demande d’actualisation du rapport hygiène et sécurité du tribunal réalisé en 2017 a été demandée.

Mais le sentiment d'insécurité persiste. Un autre syndicaliste révèle que des dizaines de personnes se sont introduites le 14 juin dans les sections détachées de Koné et de Lifou pour déposer un courrier de doléances. "Ici c'est Kanaky" a été tagué sur le parking, une banderole contre "une justice coloniale" déployée sur les grilles de la section de Koné, ajoute-t-il en précisant cependant que les personnels ne se sont pas sentis menacés.

Les chefs de cour confirment qu’un courrier a bien été déposé à la section de Lifou, stipulant que cette dernière serait "cadenassée", à compter du 15 juillet, si les responsables de la CCAT (collectif indépendantiste) envoyés en détention provisoire dans l’Hexagone n’étaient pas ramenés en Nouvelle-Calédonie. Une menace qui n’a pas été mise à exécution jusqu’à présent.

Pour M. Rosati, la décision de ramener temporairement le personnel de Lifou à Nouméa est surtout une réponse à un besoin de renforts, tout en permettant la "protection des agents".

"Pression inacceptable" 

Les syndicats s'interrogent également sur le manque de communication des chefs de juridiction sur l'activité judiciaire et les moyens mis en œuvre pour y répondre. Le 20 juin, les magistrats de l’assemblée générale du siège ont demandé "la réactivation du plan de continuité d'activité".

Huit jours plus tard, des syndicats ont refusé de participer au comité social d'administration, jugeant les conditions du dialogue social "difficilement acceptables".

Les responsables de l'administration assurent, eux, que le dialogue avec les magistrats a été maintenu, le procureur général Bruno Dalles parlant même de "dialogue social élargi".

Certains magistrats et avocats s'interrogent néanmoins sur les positions du parquet dans les dossiers liés aux violences, notamment son attitude lors d'une manifestation illégale de non-indépendantistes anti-CCAT devant le palais de justice début juin.

Le procureur Yves Dupas avait alors reçu les manifestants, sans engager de poursuites. Les chefs de cour eux-mêmes s'en étaient offusqués le lendemain dans un rare communiqué où ils dénonçaient "une pression inacceptable" des loyalistes.

Sollicité par l'AFP, le procureur a précisé qu'il veillait "scrupuleusement au respect du principe de l’égalité de traitement entre les citoyens" et affirmé que "des interpellations ne pouvaient être ordonnées (...) en l'absence d'attroupement caractérisé".

Pas de quoi faire taire toutes les critiques. "L'indépendance de la justice, ce n'est pas parce qu'elle est imparfaite qu'il faut y renoncer", résume un magistrat. "Quoi que l'on pense de la légalité, elle permet d'éviter que les choses ne dégénèrent encore plus".


 

Avec AFP