Quatre mois après le début des émeutes, la Nouvelle-Calédonie est toujours paralysée par la crise. Comme une partie des chercheurs du territoire, Edouard Hnawia, ethnobotaniste à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et enseignant à l’Université de Nouvelle-Calédonie ne peut plus se rendre sur le terrain depuis le début des émeutes, en mai dernier. Le chercheur kanak, spécialiste des plantes médicinales, témoigne pour Outremers360 des difficultés qu’il rencontre pour poursuivre ses travaux de recherche.
Par Marion Durand
Edouard Hnawia est né et a grandi sur le Caillou, il enseigne à l’Université de Nouvelle-Calédonie (UNC) depuis 1990. En 2017, il est nommé directeur de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) en Nouvelle-Calédonie et assure ce poste de représentation jusqu’en 2021. Le chercheur kanak fait aujourd’hui partie de l’Unité pharmadev de l’IRD et travaille en parallèle comme enseignant-chercheur à l’UNC.
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Chimiste de formation, Edouard Hnawia est ethno-botaniste et s’intéresse particulièrement aux usages des plantes médicinales, aux substances naturelles présentes sur terre dans et le milieu marin. En 2023, il a reçu la médaille d’honneur de l'engagement ultramarin, échelon bronze.
M.D : Comment ça se passe en Nouvelle-Calédonie depuis la mi-mai ? La crise actuelle a-t-elle un impact sur le milieu de la recherche ?
Edouard Hnawia : Certainement oui, la situation actuelle ne nous permet pas d’aller sur le terrain car les conditions de sécurité ne sont pas réunies. Il y a des endroits où l’on peut se rendre sur autorisation préalable des autorités mais dans le Sud par exemple, certains sites restent inaccessibles car il faut traverser des barrages et des zones non sécurisées comme les communes du Mont-Dore et de Yaté.
Pour les chercheurs qui doivent mener des actions de collectes de données in situ, c’est mon cas, se pose le problème de contact entre le chercheur et les populations. En temps normal, c’est-à-dire hors temps de crise, nous associons les populations de A à Z dans les projets mais aujourd’hui il est plus difficile d’aller à leur rencontre.
En tant que chercheur kanak, est-ce que la situation est plus facile pour vous ?
C’est vrai qu’en tant que kanak, la relation est différente car les populations me connaissent, si un chercheur européen était à ma place, il aurait peut-être plus de mal à aller sur le terrain. Mais la situation est identique pour eux et pour moi aujourd’hui car nous préférons ne pas faire de terrain tant que les choses ne sont pas revenues à la normale.
Dans notre travail, c’est très important d’établir un climat de confiance entre nous, les chercheurs, et la population locale avant de mener notre travail d’enquête. Je rappelle que la Nouvelle-Calédonie est soumise au protocole de Nagoya, sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation. Ainsi, on est tenu d’informer les populations et de les associer à nos travaux. On partage aussi les résultats de nos recherches, par exemple s’il y a une valorisation sur une plante, on est tenu de partager les bénéfices avec les détenteurs du savoir.
Comment vivez-vous la situation actuelle en tant que chercheur ?
C’est évidemment compliqué. En tant que chercheur on est soumis à des évaluations et ça passe par des publications scientifiques… Si on n’arrive pas à travailler, on ne peut pas publier d’articles. C’est toute une chaîne, quand un maillon s’affaiblit, tout le reste est impacté.
Comment faites-vous pour continuer de travailler malgré l’impossibilité d’aller sur le terrain ?
Ça fait des années que je travaille sur la collecte d’informations sur les usages des plantes traditionnelles et de leur transcription donc j’ai accumulé un certain nombre de données mais j’ai tout de même besoin d’aller sur le terrain pour les restituer aux populations, pour leur dire où j’en suis dans les projets ou pour collecter des échantillons pour des études chimiques et biologiques. Il y a vraiment un processus à suivre : d’abord j’informe et j’échange avec la population, ensuite, si j’ai leur aval, je récolte du matériel végétal puis je mène tout un travail en laboratoire, pour extraire, tester, identifier les molécules. Tout cela me permet ensuite de rédiger un article scientifique. Depuis mai, tout ce processus est perturbé donc j’essaye de travailler sur autre chose.
Comment vivez-vous la situation en tant que citoyen ?
Edouard Hnawia : J’essaye d’être positif, je me dis que les choses vont durer un certain temps et qu’après on avancera. On retrouvera le train de vie et les habitudes de travail qu’on avait avant le 13 mai. Je préfère être dans cette optique positive parce que je comprends la situation.
J’enseigne aussi à l’Université de Nouvelle-Calédonie. C’est très important pour moi de jouer un rôle dans la formation des jeunes de ce Pays. Je vois l’impact que ces affrontements ont causé sur les étudiants, qui ont eu du mal à retrouver le chemin de l’université. Ça, ça m’embête encore plus car la formation des jeunes est une des motivations qui me pousse à exercer ce métier.
Combien de jeunes ne sont pas revenus en cours depuis mi-mai ?
Dans mes enseignements, la plupart des jeunes sont revenus en présentiel mais il y a encore quelques étudiants en distanciel car ils sont bloqués et ne peuvent pas se rendre à l’université. On met en place des visioconférences, on propose des cours enregistrés qu’on dépose sur des plateformes… Heureusement, peu de jeunes sont concernés, je dirais qu’en ce moment, le distanciel concerne seulement 15% des élèves.
Est-ce que vous discutez de la situation politique avec vos étudiants ?
On a fait qu’un seul cours depuis la rentrée, nous en avons peu discuté car les jeunes avaient déjà échangé avec les autres enseignants et les équipes universitaires qui ont mis en place des espaces d’échanges et d’écoute avant de reprendre les cours. Mais si on me pose des questions, on abordera les sujets.
Est-ce un sujet qui revient dans les discussions entre collègues ?
Edouard Hnawia : Forcément, on en discute et on partage nos ressentis. C’est une situation qui touche tout le monde, quel que soit le travail qu’on exerce. J’ai aussi l’occasion d’échanger avec des chercheurs issus des autres instituts de recherche, on travaille ensemble et la crise n’a pas rendu les choses plus compliquées, au contraire, plus on est soudé plus c’est facile. Je collabore aussi avec des collègues basés en métropole, heureusement aucun déplacement n’était prévu depuis mi-mai mais la situation aurait pu les empêcher de venir.
Êtes-vous inquiet quant à l’avenir de la recherche en Nouvelle-Calédonie ?
Tout le monde doit travailler pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, on est là pour collaborer avec et pour les populations locales, c’est la politique du CRESICA (Consortium de recherche, de l’enseignement supérieur et de l’innovation en Nouvelle-Calédonie), dont fait partie l’IRD.
En 2023, j’ai reçu la médaille d’honneur de l’engagement ultramarin, cette distinction était une reconnaissance de mon implication en faveur de la recherche ultramarine et dans la formation des jeunes de ce pays. Je vais continuer dans ce sens et poursuivre mon engagement pas seulement en Nouvelle-Calédonie, mais aussi dans les régions et territoires d’Outre-mer. Je veux continuer, quoiqu’il arrive, à accompagner les jeunes, les inciter et les pousser à venir travailler avec nous sur le territoire. Ces futurs chercheurs sont l’avenir, la relève de notre île.
L’issue politique de cette crise changera-t-elle la manière de faire de la recherche en Nouvelle-Calédonie ?
Je ne sais pas, mais c’est sûr que la recherche est une volonté politique. Si la Nouvelle-Calédonie veut continuer à accueillir des instituts de recherche comme l’IRD, elle continuera. L’IRD a toujours travaillé avec de nombreux pays indépendants, c’est même un de ces objectifs. Personne ne peut prévoir dans quelle direction ira le milieu de la recherche en Nouvelle-Calédonie. Quel que soit l’avenir politique de ce territoire, si les décideurs disent aux instituts de rester, ils resteront.
Le milieu de la recherche constitue-t-il un espace de dialogue ?
Évidemment, l’objectif du CRESICA et donc de l’IRD est de co-construire des projets de recherche avec les populations. C’est exactement ce que je fais au quotidien, quand on travaille sur des questions de savoirs traditionnels, il faut discuter avec les populations car ce sont eux qui détiennent les connaissances. J’ai toujours essayé d’être le plus transparent possible, de les informer de l’état d’avancement de mes projets, de leur expliquer en quoi la recherche scientifique peut contribuer à valoriser le pays.
L’approche est différente selon les chercheurs et ça dépend beaucoup des spécialités, certaines n’ont pas besoin de tout ce cheminement. Pour ma part c’est aussi un choix, dès le départ j’ai voulu travailler sur les connaissances traditionnelles de mon pays et sur mon peuple pour les valoriser dans mes travaux de recherche.
Crédit photos : Edouard Hnawia / Pharmadev / IRD