Toute la semaine, Outremers360 vous propose un dossier sur l’usage des plantes médicinales dans les territoires ultramarins. Le deuxième article de cette série dévoile, en exclusivité, les résultats d’une vaste étude sur les pratiques médicinales traditionnelles dans le Pacifique Sud. Depuis un an, le chercheur François Chassagne enquête sur les plantes utilisées en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française pour soigner les enfants.Une série réalisée par Marion Durand.
Pour les populations ultramarines, faire appel aux plantes médicinales et aux remèdes traditionnels pour se soigner est courant. Mais quelles plantes sont les plus plébiscitées et pour quels maux ? Quelles sont les techniques utilisées pour bénéficier des vertus de ces végétaux ? C’est pour répondre à ces questions que les chercheurs de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), de l’Université nationale de Vanuatu, de la Maison des sciences de l’Homme du Pacifique et du New York Botanical Garden, ont lancé une vaste enquête sur la médecine traditionnelle.
Menées par l’éthnopharmacologue François Chassagne, des équipes ont sillonné la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie et le Vanuatu à la rencontre des populations locales pour recenser les pratiques et les savoir-faire des habitants. « Cette médecine traditionnelle est très utilisée mais elle reste un peu à la marge du système de santé parce qu’on ne connaît pas bien les bénéfices, ni même les risques », estime le chercheur à l’IRD de Toulouse. Même si certains usages sont similaires, l’étude, financée par le Fonds Pacifique, met en lumière des spécificités liées à l’histoire, à la géographie, à la biodiversité ou aux maladies présentes dans chacun de ces territoires océaniens.
Îles de la société : coco, tiare et corossolier
Dans l’archipel de la Société, en Polynésie française, François Chassagne a rencontré 86 personnes réparties entre Bora Bora, Huahine, Moorea, Raiatea et l’île principale de Tahiti. Plus de 347 remèdes ont été cités pour soigner les enfants de 0 à 12 ans. 90 % d’entre eux sont composés de plantes mais certains contiennent d’autres ingrédients comme des oursins, du miel, du venin d’abeille, des crabes, de l’eau de mer ou du vinaigre.
La noix de coco est la plante la plus utilisée par les Polynésiens interrogés, âgés de 20 à 77 ans. Son eau, contenant du glucose et des électrolytes, est une solution réhydratante. Elle est aussi utilisée pour faciliter la diurèse (production d’urine) et traiter la fièvre. Son huile est employée pour soigner la sinusite et le lait de coco (en bain) est privilégié pour soulager les problèmes cutanés.
Après ce fruit, le tiare Tahiti monte sur le podium, devant le corossolier (arbre fruitier d’origine tropicale) et l’hibiscus rose de Chine. « Le citron et la canne à sucre sont plutôt considérés comme des excipients. Ils ont un rôle mineur mais ont un effet édulcorant et aromatisant permettant d’améliorer le goût ou l’odeur du remède », indique François Chassagne.
Les habitants font appel aux plantes locales pour soigner des problèmes liés au système digestif ou respiratoire, des infections (cutanées ou autres), des empoisonnements. Le ira, un trouble nerveux qui se traduit par des sursauts, des convulsions ou un caractère irascible, est le syndrome le plus cité par les utilisateurs de la pharmacopée locale. Pour calmer ces symptômes, les parents utilisent des feuilles de corossolier ou de l’huile de monoï en massage.
Pour concocter les remèdes, la préparation la plus courante consiste à écraser et presser les plantes à l’aide d’un tissu pour en extraire le liquide
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Dans les Tuamotu, une plante toxique inquiète
Comme dans les îles de la Société, l’enquête de l’IRD dans les Tuamotu révèle l’utilisation d’une plante toxique dans la médecine traditionnelle : le metuapua’a. Les feuilles et les racines de cette fougère sont utilisées en application locale ou pour des bains. « C’est une plante clairement dangereuse, nous la déconseillons fortement, s’inquiète François Chassagne. Cette fougère a beaucoup d’influence et figure parmi les plantes les plus utilisées ». Même si les familles sont, la plupart du temps, conscientes des dangers encourus, le metuapua’a reste utilisé par 28 % des personnes interrogées dans les îles de la Société et par 34 % des participants à l’enquête dans les Tuamotu. Cette fougère, aux composés anabolisants, a un effet anti-inflammatoire et son efficacité pousse les Polynésiens à l’utiliser malgré un fort risque de toxicité.
Dans l’archipel des Tuamotu, les habitants interrogés par Hainarii Tuua, étudiante à l’Université de Polynésie française, font appel au Ra’au Tahiti (nom donné à la médecine locale) pour soigner la varicelle, notamment grâce à des feuilles de Tamanu ou de corossolier. Dans les deux cas, la décoction permet d’en extraire les principes actifs, l’eau imprégnée sert pour les bains des enfants. Les kystes salivaires (grenouillette) sont traités grâce aux bourgeons ou aux feuilles de Tahinu, de petits arbustes poussant en bord de mer. Le mélange est écrasé, pressé et appliqué localement sur les kystes. « D’un point de vue épidémiologique, la grenouillette touche davantage les populations polynésiennes. C’est un phénomène décrit dans la littérature et sur le terrain nous confirmons que cette pathologie est largement citée ».
À Anaa, Fakarava, Makemo, Rangiroa et Tikehau, les 81 personnes interrogées ont cité 291 remèdes différents, 40 % d’entre eux sont composés d’un seul ingrédient mais des mélanges peuvent en compter jusqu’à 13. En Polynésie, l’aspect spirituel est très important selon le chercheur. « Les habitants nous disent qu’ils font des prières avant de ramasser les plantes ou qu’il faut être positif lors de la collecte. Un contexte religieux entoure ces pratiques traditionnelles ».
Nouvelle-Calédonie, le mitje ou l’arnica kanak
Sur le Caillou, l’enquête a été réalisée par Édouard Hnawia, chimiste ethnopharmacologue calédonien et l’étudiante Alice Couëtil. Ils se sont rendus dans les communes de Thio, Yaté, Nouméa et dans l’île de Lifou, et ils ont interrogé 64 personnes, principalement des femmes issues de la communauté kanak. « En Nouvelle-Calédonie, il existe deux types de médecine traditionnelle. La petite médecine est souvent réservée aux femmes qui gèrent le foyer, elle comprend le traitement des petits problèmes de santé et des maladies bénignes. La grande médecine traite quant à elle les pathologies plus graves et comprend souvent une composante spirituelle. Cette médecine, faite par les hommes, est plus secrète, il est difficile d’obtenir des informations. » L’étude de l’IRD est consacrée à la « petite médecine ».
203 remèdes différents ont été énumérés pour guérir 74 problèmes de santé, principalement d’ordres digestifs, respiratoires et cutanés. Le corossolier figure en tête des végétaux les plus utilisés, ses feuilles calment les démangeaisons causées par la varicelle. Le Mitje, ou « arnica kanak », est apprécié pour ses effets anti-inflammatoires. Écrasées ou bouillies, les feuilles de cette plante endémique sont utilisées en bain, en inhalation ou en application locale et permettent de soigner les symptômes grippaux et les hématomes.
François Chassagne alerte sur l’utilisation du niaouli, troisième plante énoncée par les participants et dont les feuilles contiennent de l’eucalyptol. « C’est, par exemple, une contre-indication que nous faisons figurer dans notre rapport. L’idée n’est pas de l’interdire mais d’alerter sur son potentiel toxique et de déconseiller son utilisation pour les enfants de moins de trois ans ». À l’inverse, le goyavier, utilisé par les femmes kanak pour traiter la diarrhée infantile, fait partie de la Pharmacopée française et des essais cliniques confirment son efficacité.
En Nouvelle-Calédonie, il existe aussi des remèdes spécifiques pour traiter les mauvais esprits ou « le mauvais œil ».
Préserver le savoir-faire traditionnel
C’est la première fois qu’une enquête simultanée dans plusieurs territoires recense les remèdes employés dans le Pacifique. Pour François Chassagne, l’intérêt est de documenter et de quantifier les plantes utilisées pour construire une pharmacopée locale. « Ces techniques sont transmises oralement, de génération en génération. Le fait de les recenser permet de préserver cette richesse ancestrale ». Le chercheur tient à préciser que l’objectif n’est pas de s’emparer des savoir-faire mais d’évaluer les bénéfices et les risques liés aux plantes utilisées.
En 2021, sept membres d’une même famille et deux guérisseurs ont été condamnés à des peines de prison pour défaut de soin après la mort d’un enfant de seize mois, soigné avec des plantes sur l’île de Bora Bora. C’est pour éviter ce genre de drame que l’ethnopharmacologue mène cette étude ciblée sur les enfants. « Il y a encore beaucoup de choses que l’on ne sait pas sur les plantes, les familles les utilisent mais ne savent pas toujours comment elles fonctionnement ou ce qu’elles contiennent. Nous voulons leur apporter plus de précisions scientifiques sur leurs remèdes pour minimiser les risques. »
Des rapports scientifiques sont en cours de rédaction pour chacun des territoires. L’enquête au Vanuatu est en cours. Des « fiches de plantes » décrivant les usages thérapeutiques de chacune d’entre elles seront bientôt rédigées et distribuées aux familles polynésiennes et calédoniennes.
Ces données inédites serviront aussi à compléter la littérature scientifique existante sur l’usage des plantes médicinales dans les Outre-mer pour « une meilleure reconnaissance de cette médecine traditionnelle au niveau institutionnel ».