[DOSSIER] Dans les Outre-mer, des plantes remèdes à tous les maux (1/5)

Dans les territoires ultramarins, les populations utilisent des centaines de plantes médicinales pour se soigner ©François Chassagne - IRD

[DOSSIER] Dans les Outre-mer, des plantes remèdes à tous les maux (1/5)

Cette semaine, Outremers360 vous propose un dossier sur l’usage des plantes médicinales dans les territoires ultramarins. En tisanes, en applications cutanées ou combinées avec d’autres ingrédients, les plantes médicinales sont au cœur de la médecine traditionnelle. Ces végétaux aux vertus thérapeutiques sont des alliés à tous les maux du quotidien. Soucieux de préserver ces traditions ancestrales, des habitants s’engagent dans la transmission de ces savoir-faire. Une série réalisée par Marion Durand.

Dans les territoires d’Outre-mer, la biomédecine cohabite depuis des siècles avec une médecine plus traditionnelle, construite autour de pratiques thérapeutiques non conventionnelles et des remèdes transmis de génération en génération. Au quotidien, les populations ont recours à des gestes et des rituels propres à leur île ou à leur culture. Les plantes en sont indissociables. On nomme « médicinales » celles dont les feuilles, l’écorce, les fleurs ou les racines possèdent des vertus curatives. Elles peuvent être comestibles ou non, sauvages, endémiques, cultivées en pot, séchées, etc. Certaines sont reconnues dans les pharmacopées officielles, au titre d’emplois en phytothérapie et en aromathérapie.

Chaque territoire compte plusieurs centaines de plantes médicinales. Dans les Antilles, on ne présente plus l’A-tous-maux ou Atoumo, une plante ornementale qui, comme son nom l’indique, est un remède à de nombreux symptômes. Elle est particulièrement efficace contre les états grippaux. On peut aussi citer le guérit-tout (aussi nommé valériane officinalis), une plante aux petites fleurs blanches indiquée pour soigner les rhumatismes, la grippe et les coliques. À la Réunion, la star des pharmacies locales est l’ayapana. En infusion, ses feuilles soignent les maux d’estomac, de gorges ou les troubles digestifs. En Polynésie, les adeptes des plantes médicinales utilisent fréquemment la noix de coco, la fleur de tiare Tahiti ou les feuilles de corossol, un arbre fruitier d’origine tropicale.

À Wallis-et-Futuna, le kava, une boisson traditionnelle issue de l’arbuste Piper methysticum, est fréquemment consommé pour lutter contre l’anxiété et le stress.

La liste est longue. L’anthropologue Laurence Pourchez, rappelle que « les médecines traditionnelles diffèrent selon la culture des populations, le rapport aux sources et aux origines mais aussi selon le climat et l’environnement des territoires ». Les Outre-mer abritent 80 % de la biodiversité française et 10 % de la biodiversité mondiale, les plantes médicinales en font partie.

Des Hommes et des plantes

Derrière ces plantes, il y a surtout des hommes et des femmes qui cultivent et préparent ces mélanges salvateurs. En Martinique, Rémi Asensio, ingénieur agronome et sa femme Séverine, chimiste, cultivent une trentaine d’espèces de plantes médicinales et aromatiques. Sur leur 1,6 hectare de terres agricoles pousse de la citronnelle, de la cannelle, de l’orthosiphon, également connu sous le nom de thé de Java. « Le jardin créole est le résultat de la quête des explorateurs qui, à l’époque, ramenaient des plantes des différentes contrées qu’ils visitaient ». Depuis dix ans, le couple commercialise divers produits dans leur Herboristerie créole. « À partir des récoltes, nous fabriquons dans notre atelier des tisanes, sirops, compléments alimentaires et nous revendons quelques plantes en vrac pour des professionnels de la cosmétique ou du parfum ».

L’herboristerie créole de Rémi et Séverine Asensio a été créé en 2012 ©Dan Beal

En Guyane, Marc-Alexandre Tareau est lui aussi un ardent défenseur de ces végétaux aux vertus thérapeutiques. « À Cayenne, beaucoup de familles cultivent un petit potager avec de la citronnelle, de la mélisse, du patchouli ou de la marie-crabe. Les Guyanais qui n’ont pas de jardin les font pousser dans des pots ». Postdoctorant à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), Marc-Alexandre ne déroge pas à la règle, une trentaine d’espèces poussent près de sa maison. L’ethnobotaniste a créé l’association Mélisse, qui œuvre pour la promotion et la valorisation des pharmacopées locales de Guyane. « C’est capital de partager ces connaissances, dont la transmission se fait à l’oral depuis des générations. Aujourd’hui les savoirs se perdent ». Il organise des ateliers autour des plantes, des visites de jardins ou des balades animées en forêt. « Chaque communauté a un usage différent des plantes. Les enfants voient ce qui se passe chez eux mais n’ont pas accès à ce qui se fait dans les autres familles créoles, amérindiennes, haïtiennes, bushinengués alors que notre pays est multiculturel. S’ouvrir aux autres cultures passe aussi par le partage des connaissances autour des médecines traditionnelles. »

De nombreux acteurs s’engagent pour transmettre ces pratiques. À La Réunion, le pharmacien Claude Cheung Lung mise sur son fils pour pérenniser les savoir-faire qu’il a acquis depuis des dizaines d’années. « Je vais partir en semi-retraite, je viendrais une heure ou deux par jour pour m’occuper des plantes », confie le tisaneur de Bellepierre. « Je passe beaucoup de temps à comprendre, je me documente beaucoup, malgré ma formation et mes 50 ans d’expérience. » Claude Cheung Lung consacre le troisième étage de son officine de 1000 m2 à la confection de tisanes. Avec plus de 300 références de plantes et de fleurs séchées, le spécialiste propose une cinquantaine de compositions maisons pour soigner diverses pathologies bénignes. « Ce n’est pas facile d’être tisaneur, il faut comprendre la composition et l’action des plantes. Ce sont des connaissances si pointues, techniques et scientifiques qu’une formation sur les bancs de l’école ne suffit pas. La meilleure façon d’apprendre c’est d’écouter les malades. »

Le chercheur ethnobotaniste Marc-Alexandre Tareau s’est donné pour mission de valoriser les plantes guyanaises ©Marc-Alexandre Tareau

Une économie ultramarine

Producteurs, cueilleurs, négociants, artisans, industriels, herboristes, professionnels de santé, chercheurs, formateurs… De nombreux acteurs sont impliqués dans la valorisation et le commerce des plantes médicinales. L’herboristerie est un « marché porteur », comme le décrit le sénateur Joël Labbé, dans un rapport rédigé en septembre 2018 sur le sujet. « Les plantes médicinales se déclinent dans une large gamme de produits : aux côtés des tisanes – cœur de l’herboristerie traditionnelle — et des médicaments de phytothérapie, des secteurs connaissent un fort développement, comme les compléments alimentaires ou les huiles essentielles. Le marché de la santé et de la beauté naturelle représenterait en France plus de 3 milliards d’euros », peut-on lire dans le texte.

La recherche scientifique sur les plantes médicinales permet à l’herboristerie de se développer. « Lorsque l’on étudie et analyse les vertus thérapeutiques d’une plante, l’aboutissement de la recherche ne se situe pas forcément dans l’inscription à la Pharmacopée française. La recherche permet d’avoir des retombées économiques dans de nombreux secteurs comme la cosmétique, la parfumerie ou la mode », estime Claude Marodon, président de l’Association pour les plantes aromatiques et médicinales de La Réunion (Aplamedom).

On peut utiliser une plante pour confectionner des produits d’entretien bio, de la nourriture pour animaux ou même du colorant pour les vêtements. « La recherche ne sert pas uniquement à la création de phytomédicament, il y a un vrai intérêt économique au développement de l’herboristerie. Je compare cela à la recherche scientifique dans le but de conquérir la lune : les résultats de cette même recherche et les retombées économiques sont aussi utiles pour nos besoins simples du quotidien ».