Les troubles en Nouvelle-Calédonie peuvent-ils contrarier les ambitions de Paris dans l'Indopacifique ?

Emmanuel Macron lors de son discours à Nouméa, en juillet dernier. Il avait ensuite poursuivi sa visite présidentielle dans plusieurs pays de la région, dont le Vanuatu et la Papouasie-Nouvelle-Guinée ©province Sud de la Nouvelle-Calédonie

Les troubles en Nouvelle-Calédonie peuvent-ils contrarier les ambitions de Paris dans l'Indopacifique ?

Les troubles en Nouvelle-Calédonie fragilisent la stratégie de la France, et particulièrement d'Emmanuel Macron, dans l'Indopacifique et sèment le doute sur la réalité de l'influence que Paris entend exercer dans cette zone d'intense rivalité sino-américaine, estiment les analystes. Ses ambitions dans la région sont-elles pour autant contrariées sur le moyen, voire long-terme ?

La visite, jeudi dernier, du président Emmanuel Macron à Nouméa visant à accélérer le retour à l'ordre dans l'archipel après une semaine de violences témoigne de l'importance des enjeux domestiques et diplomatiques de ce dossier alors que les pays voisins et alliés, en particulier l'Australie, suivent de près l'évolution des événements.

« Le discours français ne cesse de dire que la France est une puissance de l'Indopacifique, légitime de par ses territoires d'Outre-mer », souligne Isabelle Saint-Mézard, chercheuse au Centre Asie de l'Institut français des relations internationales (Ifri). Ce « fondement essentiel » du postulat français est « à tout le moins terni » avec ces violences, constate-t-elle.

Les scènes d'émeutes la semaine dernière, qui ont fait sept morts, font douter des capacités de la France à être à la hauteur de son discours, Paris disant vouloir participer à la stabilité régionale. Face aux troubles, ses partenaires australiens et néo-zélandais ont rapatrié leurs ressortissants depuis mardi dernier, et les rapatriements se poursuivent encore.

L'an passé, des sénateurs avaient publié un rapport dans lequel ils dénonçaient « une réelle inadéquation des moyens aux ambitions » françaises dans cette région. Quelques milliers de soldats dispersés de Djibouti, une ancienne colonie française, à la Polynésie semblent ne pas faire le poids face à la puissance des armées chinoises et américaines, les deux principaux acteurs d'une zone s'étendant de l'Inde et de l'océan indien au sud du Pacifique.

Dans l’espace indopacifique, les territoires d'Outre-mer vont des côtes orientales de l'Afrique aux côtes occidentales des Amériques avec notamment Mayotte, La Réunion, la Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna, la Polynésie française ou encore des territoires antarctiques et subantarctiques. Au total, ils représentent 90% de la zone économique exclusive française, la deuxième au monde.

Cette région à fort potentiel économique est aussi exposée à de multiples menaces dont la prolifération nucléaire -avec la multiplication des tirs de missiles de la Corée du Nord-. La rivalité sino-américaine génère également des risques d'embrasement, notamment dans le Pacifique ouest. Dans ce contexte, Paris se présente comme une « alternative » à Pékin ou Washington, une « puissance d’équilibre » avec la Nouvelle-Calédonie, située en plein cœur du Pacifique océanien, comme pierre angulaire de sa stratégie.

« État néocolonial »

Mais les troubles ont mis en lumière la singularité de cette ancienne colonie devenue territoire d'Outre-mer puis Collectivité « sui generis », quand la plupart des Nations insulaires du Pacifique sont, elles, indépendantes. Le Comité spécial de la décolonisation de l'ONU considère encore la Nouvelle-Calédonie comme l'un des 17 « territoires non autonomes dans le monde », avec la Polynésie française, où « les populations ne s'administrent pas encore complètement par elles-mêmes ».

« Ce qui éclate à l'instant T est l'émotion que crée au Vanuatu, à Fidji, dans les territoires voisins, ce déferlement de violences. Vu de nos voisins mélanésiens, la faute est entièrement celle d'un État français néocolonial qui n'écoute pas sa population première », analyse Marianne Péron-Doise, chercheuse à l'Institut de relations internationales et stratégiques.

Le Forum des îles du Pacifique, organisation régionale regroupant États et territoires insulaires dont la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, s’est dit aussi « profondément préoccupé » de la situation calédonienne. « Le dialogue collégial qui existait autrefois entre les parties de l’Accord de Nouméa n’a pas été efficace ces dernières années, notamment depuis le référendum sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie de 2021 », a écrit le Premier ministre des îles Cook, Mark Brown, président du Forum.

Le Vanuatu voisin, de son côté, a publiquement affiché son soutien à la cause indépendantiste kanak. Membre du groupe Fer de Lance Mélanésien -avec la Papouasie-Nouvelle-Guinée, les îles Salomon et Fidji-, créé pour soutenir le FLNKS, le Vanuatu a publiquement appelé à retirer le texte constitutionnel visant à dégeler le corps électoral provincial calédonien, à la source de l’embrasement de l’archipel.

Dans les territoires français, les populations ont aussi cette « impression d'être instrumentalisées par une stratégie mise en œuvre depuis Paris, dont ils voient bien que c'est la France métropole, avec ses ambitions de grande puissance qui se met en scène alors que la réalité locale n'est pas mise en valeur », poursuit Marianne Péron-Doise.

« Sécurité environnementale »

Comme d'autres alliés de Paris, l'Australie, puissance régionale alliée à Washington et voisin immédiat de la Nouvelle-Calédonie, est favorable à la présence de la France dans le Pacifique, pour faire le contrepoids à l'influence chinoise. La crainte désormais est que la situation en Nouvelle-Calédonie nuise aux efforts des partenaires français pour contrer l'attraction exercée par la Chine.

« Cette crise affaiblit les ambitions françaises et rend plus difficile des perspectives de coopération qui se mettaient en place avec l'Australie, la Nouvelle-Zélande, avec le Japon, des puissances extérieures à la zone », sans toutefois remettre en cause cette stratégie, observe Marianne Péron-Doise. Et la chercheuse de souligner le rôle grandissant de la France dans l'aide apportée aux populations du Pacifique Sud pour gérer les conséquences du changement climatique.

 « L'un des piliers majeurs (de Paris, NDLR), c'est la sécurité environnementale », rappelle-t-elle. Au crédit d'Emmanuel Macron, dont nombre de voix accusent son gouvernement d'avoir attisé les braises en Nouvelle-Calédonie, Marianne Péron-Doise note « une volonté d'écouter les problématiques régionales sans se cantonner à un point de vue métropolitain ». En juillet dernier, Emmanuel Macron avait notamment signé avec le Premier ministre de Papouasie-Nouvelle-Guinée un partenariat visant à protéger les forêts du pays.

Quelques jours auparavant, alors qu’il était en tournée dans le Pacifique accompagné des chefs d’exécutifs calédonien et polynésien, il annonçait l’ouverture d’une agence de l’AFD au Vanuatu et d’un Erasmus du Pacifique, assurant que la stratégie indopacifique de la France « consiste d'abord et avant tout à défendre par ses partenariats l'indépendance et la souveraineté de tous les États de la région qui sont prêts à travailler avec nous ».

Reste à constater si, sur un moyen terme, les troubles en Nouvelle-Calédonie et le traitement de la cause indépendantiste Kanak par Paris -cause soutenue par plusieurs Nations insulaires de la région- vont compromettre les ambitions indopacifiques de l’État, et les relations avec ses alliés de la région. Relations qui s’étaient réchauffées ces dernières années, en comparaison avec la période des essais nucléaires en Polynésie (1966-1996) et pendant les « Événements » des années 80 en Nouvelle-Calédonie.

Avec AFP