Toute la semaine, Outremers360 vous propose un dossier sur l’usage des plantes médicinales dans les territoires ultramarins. Le troisième volet de cette série s’intéresse aux prémices de l’utilisation des remèdes traditionnelles par les Hommes. La dénomination des plantes témoigne des mouvements de populations au sein des Outre-mer. Une série réalisée par Marion Durand.
Marie Fleury, maîtresse de conférences en ethnobotanique au Muséum national d’Histoire naturelle est l’auteure de « Pharmacopées traditionnelles des Outre-mer : de la recherche à la valorisation ». Elle étudie les relations entre les Hommes et les plantes. L’anthropologue a rédigé quatre ouvrages sur les remèdes locaux de Guyane et leurs usages selon les différentes communautés.
Les populations d’Outre-mer ont toujours utilisé des plantes traditionnelles pour se soigner. A quand remontent ces traditions ?
En Guyane, les populations déportées d’Afrique ont eu naturellement recours aux végétaux lorsqu’elles sont arrivées sur le continent américain. Elles ont parfois retrouvé des plantes communes à leur pays d’origine, mais c’est assez rare. Elles ont plutôt transposé les connaissances qu’elles avaient sur des plantes de leur pays à celles qui poussaient en Guyane et qui avaient une apparence similaire. Le processus est identique avec l’arrivée des premiers colons dans les Antilles ou en Guyane. Lorsqu’ils sont arrivés sur les territoires, ils ont utilisé et renommé des plantes trouvées sur place.
C’est pour cette raison que les plantes médicinales sont nommées de plusieurs façons ?
L’homme a toujours eu besoin de se repérer, il fait un parallèle avec ce qu’il connaît et transpose ainsi les noms qu’il a l’habitude d’employer. C’est pour cela qu’on parle d’abricot péi ou de coquelicot péi. Ce sont des mots d’origine française transposés à des plantes qui poussent dans les Outre-mer. Deux plantes peuvent avoir un nom similaire, un usage médicinal proche sans avoir aucun lien au niveau botanique. La nomenclature des végétaux témoigne donc du déplacement des populations. Dans les noms donnés, on voit un mélange, une sorte de synthétisme qui reflète les migrations plus anciennes, liées à la colonisation, et les mouvements de population plus actuels, de Haïti ou d’Amérique du Sud.
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L’usage des plantes médicinales est-il le reflet des mouvements de population ?
Tout à fait, ces usages sont liés aux mouvements des populations dans l’histoire. En Guyane il y a une flore locale très riche, avec plus de 5 500 espèces végétales mais il y a quand même des plantes importées des Antilles ou d’Asie. Les populations chinoises sont présentes de longue date en Guyane et diverses populations asiatiques sont arrivées dans les années soixante-dix.
Les populations continuent-elles de transporter des plantes en se déplaçant ?
Oui, encore aujourd’hui, car les plantes font partie de l’arsenal thérapeutique ou alimentaire. C’est ce qui explique qu’il y a, dans les territoires, des plantes endémiques mais aussi asiatiques, africaines, antillaises. En Guyane, il y a un flux constant de population entre le département français et les pays d’Amérique latine. On a de nouvelles plantes qui apparaissent encore du Brésil ou du Suriname par exemple. Les plantes voyagent avec les hommes au gré des migrations.
Que disent ces usages du passé esclavagiste ou colonialiste dans les Outre-mer ?
Les situations sont différentes partout, elles sont liées à des processus historiques. L’usage et la culture des plantes sont évidemment liés aux hommes et donc, à leur histoire. Mais on ne sait pas toujours si les pratiques actuelles proviennent d’une influence coloniale ou si elles existaient avant. Par exemple, la théorie du chaud et du froid, qui consiste à catégoriser les plantes entre celles qui activent la chaleur et celles qui sont plus rafraîchissantes, est très répandue en Guyane. Selon cette idée, l’être humain doit trouver un équilibre entre le chaud et le froid, lorsqu’on a de la fièvre on prend une plante plutôt rafraîchissante. On ne sait pas réellement si ces croyances correspondent à une théorie occidentale, on la retrouve ailleurs en Amérique du Sud.
Durant la colonisation, l’utilisation de certains végétaux a été interdite par les colons. Est-ce que ça a laissé des traces ?
Effectivement, il y a toujours eu une peur de l’empoisonnement. Les colons craignaient leurs esclaves car ils maîtrisaient l’art des poisons et qu’ils avaient accès aux cuisines. Pendant une période, il y a eu une vraie paranoïa par rapport à ça. C'est dans cette dynamique qu’ils ont interdit aux noirs de pratiquer la médecine. Ils avaient peur de la vengeance.
Je pense aussi que le mouvement d’inscription des plantes locales dans la pharmacopée française a été, pour certains, perçu comme une sorte de revanche, qui disait ‘nous aussi nous avons le droit d’utiliser nos propres plantes’.