ACTU 360. Cette chronique est une nouvelle fenêtre ouverte sur les Outre-mer, une invitation à saisir en un clin d’œil l’essentiel de quelques faits marquants qui rythment la vie des territoires. Chaque édition propose un décryptage d'évènements choisis, éclairant autant l’actualité immédiate que les mouvements de fonds susceptibles d’enrichir nos grilles de lecture. Retrouvez le point de vue de Joël Destom, Conseiller économique et social européen.
Océan Indien - Mayotte sous tension : après Chido, Dikeledi
Moins d’un mois après le passage dévastateur de Chido, Mayotte subit les effets de Dikeledi, un nouveau phénomène cyclonique menaçant l’archipel de pluies diluviennes et de vents. La situation, déjà critique, pourrait s’aggraver et cette succession d’événements extrêmes continue à mettre en lumière une double vulnérabilité chronique qui ne cesse de s’amplifier. Elle est sociale d’une part, et environnementale d’autre part.
L’urgence immédiate, prise en compte avec la présentation accélérée d’un projet de loi en faveur des Mahorais, souligne la difficulté d’un territoire à faire face aux aléas climatiques dans un contexte de précarité économique et d’insuffisance des infrastructures.
Prolongation des droits sociaux, suspension des cotisations, renforcement de l’indemnisation de l’activité partielle : autant de réponses nécessaires mais conjoncturelles. Une question centrale demeure : comment doter durablement Mayotte des moyens indispensables pour affronter des événements climatiques qui, sous l’effet du réchauffement des eaux de l’océan Indien, s’intensifient d’année en année ? Avec une population parmi les plus jeunes de France et un taux de pauvreté frôlant les 80%, l’île peine à mobiliser les ressources suffisantes pour construire une résilience pérenne. Or, l’accélération des cyclones est une tendance désormais bien documentée, liée au réchauffement climatique global. Elle appelle une réponse qui ne saurait être purement conjoncturelle. Les constats lucides sont faits. Une fois la caravane médiatique passée, quel suivi des plans d'actions engagés sera proposé à la société civile organisée, aux populations ?
Alors que les Mahorais s’organisent pour affronter Dikeledi, cette crise interpelle. L’État peut-il se satisfaire de lois d'urgence ou doit-il, dès aujourd’hui, concevoir une refonte ambitieuse de ses politiques publiques ultramarines ainsi qu'une rénovation des relations avec les acteurs territoriaux ? Mayotte, et au-delà l’ensemble des îles de l’océan Indien, peuvent-elles prendre part à un modèle de résilience climatique pour le XXIe siècle ? Une chose est certaine : face aux eaux qui se réchauffent et aux vents qui s’intensifient, l’urgence d’hier devient la normalité de demain.
Océan Atlantique - Entre hommage national et questions de sécurité
Deux actualités, d'inégales importances, viennent rappeler à la fois le devoir de mémoire et celui de l'engagement pour la sécurité. À Montrouge, un hommage national a été rendu à Clarissa Jean-Philippe, policière municipale martiniquaise tuée il y a dix ans lors des attentats de janvier 2015. En Guyane, le lancement du dispositif « Police Connected » pour sécuriser les professionnels de santé reflète une réponse concrète à une violence d'une autre forme.
D’un côté, Clarissa Jean-Philippe incarne une relation particulière entre l’Hexagone et les outre-mer. Originaire de Sainte-Marie en Martinique, elle symbolise cette jeunesse ultramarine qui traverse l’Atlantique, portée par la recherche d'un avenir puis par l’ambition d’agir et de servir. Dix ans après, son assassinat reste un rappel cruel des dangers auxquels s’exposent les serviteurs de la citoyenneté. La décision de nommer le poste de police de Montrouge en son honneur n’est pas qu’un geste symbolique : c’est une manière d’ancrer son histoire dans la mémoire collective et de rappeler que, face à la violence, il ne faut jamais être faible.
En Guyane, la violence est d’une autre nature, mais elle pèse tout autant sur le tissu social. L’assassinat d’Hélène Tarcy-Cétout en 2024 a laissé un traumatisme profond dans les esprits, et les professionnels de santé continuent d’exercer sous une menace constante. Le déploiement de « Police Connected » traduit la volonté des autorités de répondre rapidement et efficacement aux agressions. Au-delà de l’innovation technologique, cette initiative pose la question de l’attractivité des territoires ultramarins, où l’insécurité devient un frein à l’installation durable de professionnels indispensables à la population.
Ces deux actualités n’ont aucun lien. Simplement, la mémoire des héros d’hier trouve écho dans la nécessité de soutenir ceux d’aujourd’hui. Reste à savoir si de telles actions ponctuelles sauront s’inscrire dans une politique de long terme, garante de la sécurité et de la dignité de tous les citoyens.
Et puis, les questions de sécurité auront également été sanitaires avec la publication par le gouvernement du bilan à mi-parcours du Plan Chlordécone IV (2021-2027). C'est la réponse à l’une des plus graves pollutions environnementales et sanitaires des Antilles françaises. Contamination durable des sols, des eaux et de la chaîne alimentaire par ce pesticide, utilisé massivement entre 1972 et 1993 : une seule question se pose et reviendra inéluctablement. Comment réparer un désastre qui affecte des milliers d’habitants de la Guadeloupe et de la Martinique.
Si le bilan actualisé avec un budget réévalué à 130 millions d’euros souligne une volonté d’agir, notamment via le Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides, il faudra d’avantage qu’une enveloppe budgétaire pour répondre à un enjeu bien plus large : celui de l'acceptabilité d'une catastrophe invisible mais omniprésente. La pollution à la chlordécone ne saurait être abordée uniquement sous l’angle économique ou technique. Elle touche à la mémoire collective, au sentiment d’abandon et à la confiance envers les institutions.
En investissant dans la recherche, notamment sur la dépollution des sols et l’impact sanitaire, le plan ouvre une porte vers l’innovation et une potentielle sortie de crise. Mais la véritable réussite résidera dans la capacité à déployer d’autres étapes visant à concilier réparation, protection et prévention.
Au-delà des chiffres, ce bilan autorise l’engagement d’une réflexion : À l’heure où les crises écologiques se multiplient, le modèle d’accompagnement et de réparation déployé aux Antilles peut-il s’inscrire dans un référentiel mondial pour les territoires confrontés à des pollutions durables ?
Océan Pacifique - En quête de stabilité
En Nouvelle-Calédonie, l’instabilité politique a franchi un nouveau cap avec le renversement, le 24 décembre dernier, du gouvernement collégial de Louis Mapou, premier président kanak indépendantiste élu en 2021. Quelques jours plus tard, un nouveau gouvernement a été formé, désormais présidé par Alcide Ponga, figure non-indépendantiste. Cet événement intervient dans un contexte économique et social tendu, alors que l’archipel peine à se relever des émeutes de mai dernier et fait face à une profonde crise économique, exacerbée par les difficultés du secteur minier.
Ce nouvel épisode résulte des fragilités structurelles de la gouvernance calédonienne. Le départ de Calédonie ensemble, moteur de la chute du précédent gouvernement, souligne les fractures persistantes entre indépendantistes et non-indépendantistes. À travers son « contrat de gouvernance », ce parti a appelé à une refonte des relations entre l’exécutif et le Congrès, mais aussi à une renégociation des termes de l’aide apportée par l’État. Un enjeu fondamental se dessine : comment rétablir une gouvernance stable tout en conciliant des intérêts politiques divergents et des attentes socio-économiques urgentes ? Le défi est d’autant plus grand que nul ne peut s'engager sur la durée du mandat de ce nouveau gouvernement.
Ici, la politique locale ne peut échapper à un contexte de dépendance économique vis-à-vis de l’État. Si l’appel à des interventions exceptionnelles du gouvernement peut sembler légitime, ce type d'initiative interroge sur la capacité réelle à construire des modèles économiques et institutionnels en adéquation avec certaines déclarations politiques. Avec ce nouveau gouvernement, l’archipel trouvera-t-il l’élan nécessaire pour entamer un nouveau chapitre ? Ne s'agit-il que d'une transition supplémentaire vers d’autres incertitudes ?