Député de la Polynésie de 2017 à 2023, Moetai Brotherson est élu président de la Polynésie le 12 mai dernier, au lendemain de la victoire du parti auquel il appartient, Tavini Huira’atira, aux élections territoriales. Dans le cadre de ses nouvelles fonctions, il a effectué un déplacement d’une semaine à Paris. Objectifs : donner le ton des nouvelles relations entre Papeete et Paris et faire le point avec le gouvernement sur les dossiers en cours. Dans ce numéro de Regard d’Actu, il revient avec nous sur cette semaine, sur les dossiers polynésiens en cours et aussi, sur l’éventuelle évolution institutionnelle de la Polynésie, que lui et son parti appellent de leurs vœux.
Jeudi soir, à la Délégation de la Polynésie française à Paris, Moetai Brotherson a « le sentiment du devoir accompli ». Vendredi matin, il a regagné la Polynésie après une intense semaine d’entretiens institutionnels, politiques, techniques mais aussi médiatiques. « On a enchaîné des rendez-vous aussi bien avec les Ministères qu'avec les services techniques, nos interlocuteurs locaux et nos associations basées dans l’Hexagone ».
Sur Public Sénat lundi matin, le nouveau président de la Polynésie confiait son souhait de « donner le ton des relations » entre son gouvernement, la nouvelle majorité indépendantiste aux affaires et l’État. « Je pense qu'on avait déjà, dès la formation du gouvernement avec le choix des ministres, avec l'ordre du lancement des portefeuilles, déjà un peu annoncé la couleur. Dès les premières rencontres avec le représentant à l'État chez nous, notamment avec le Haut-commissaire Éric Spitz, on a jeté les bases d'un partenariat basé sur le respect mutuel. C'est ce qu'on a voulu continuer ici ».
Emmanuel Macron « très à l’écoute »
Point d’orgue de cette semaine parisienne : son entretien à l’Élysée avec le Président de la République Emmanuel Macron. Un moment important, tant par le passé les anciens gouvernements indépendantistes, menés par le leader historique de la mouvance Oscar Temaru, n’ont pas eu la vie facile dans leurs relations avec l’État. Il faut dire que le Tavini aux affaires entre 2004 et 2013 n’a plus la même stratégie politique que le Tavini revenu au pouvoir en 2023. Et à Paris, l’État a aussi changé : l’épreuve calédonienne a fait évoluer le regard sur la mouvance indépendantiste. Un tout autre contexte donc, que Moetai Brotherson, considéré comme un représentant d’une aile plus « modérée » dans son parti, met à son avantage.
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« Je l'ai senti très à l'écoute » nous a confié le président le président polynésien qui a « pu balayer un certain nombre de sujets ». « Je pense que c'est peut-être aussi une caractéristique du président Macron, c'est quelqu'un qui écoute beaucoup. Après, il prend ce qu'il décide de prendre, mais il en tout cas, il écoute ». Transition énergétique, numérique, programme économique et social et naturellement, évolution institutionnelle et processus de décolonisation et d’autodétermination : tout y est passé.
« Je lui ai expliqué quelle était notre vision du développement de notre pays avec ce choix qu’on a fait des quatre secteurs prioritaires : le tourisme, le secteur primaire, les énergies renouvelables, le numérique et l’audiovisuel (…). Je lui ai expliqué comment les éléments structurants comme l’aéroport des Marquises venaient s’insérer dans tout cela, et je pense qu’il a bien compris, qu’il a adhéré et a trouvé cette stratégie pertinente, c’est un bon signe, et que l’État à nos côtés serait là pour nous accompagner en tant que de besoin », a assuré Moetai Brotherson.
Évolution institutionnelle : « Il n’y a pas de recettes universelle »
Sur l’évolution institutionnelle et le processus de décolonisation : « On a abordé deux lignes possibles. D’un côté, la fenêtre de révision constitutionnelle qui va s’ouvrir autour de la Nouvelle-Calédonie, et autour de laquelle l’ensemble des Outre-mer et de la Corse veulent revisiter leur relation à l’État. Nous avons annoncé quelques éléments pendant la campagne que l’on souhaite voir y figurer comme la citoyenneté polynésienne. Également pour moi, en tant que président, les relations internationales, qu’on nous donne plus de latitude et de champs d’action dans notre bassin régional, de manière à ce qu’on puisse tisser des liens et établir des accords directement, au moins sur le plan commercial et économique », a-t-il expliqué. « Sur ces sujets-là, on n’est pas opposés ».
Sur cette révision constitutionnelle, Moetai Brotherson rappelle qu’outre la Nouvelle-Calédonie, d’autres territoires souhaitent revoir leurs relations avec l’État. C’est le cas par exemple de la Guyane qui souhaite « avancer vers un statut d'autonomie ». « À l'époque où j'ai été président de la délégation aux Outre-mer à l’Assemblée nationale, j'ai toujours dit qu'il n'y avait pas de recettes universelles, que les contextes étaient spécifiques et que c'était aux Outre-mer individuellement de définir le type de relation qu'ils veulent avoir avec l'État », a-t-il expliqué, rappelant aussi la diversité des volontés de relation avec Mayotte qui, au contraire de la Guyane, « réclame plus de France ».
Retour sur la Polynésie. « La deuxième ligne, c’est évidemment le processus de décolonisation et d’autodétermination que le Tavini réclame depuis plus particulièrement notre réinscription sur la liste des territoires à décoloniser de l’ONU en 2013. Là j’ai pu exprimer au président la déception qui est la nôtre depuis 2013 : de voir cette forme de déni de notre réinscription de la part du représentant de l’État, qui à chaque fois que la question de la Polynésie est abordée, sort de la salle et revient ensuite pour la Nouvelle-Calédonie. Cette schizophrénie qui consiste à coopérer pour la Nouvelle-Calédonie et faire comme-ci la Polynésie n’est pas réinscrite, est intenable », a poursuivi le chef de l’exécutif polynésien.
« Je pense que la parole de l’État est incarnée au plus haut niveau par le président de la République, et je suis un homme qui croit beaucoup en la parole. Le président de la République m’a dit qu’il n’était pas au fait de cette dualité de traitement entre la Nouvelle-Calédonie, et qu’il allait se pencher sur la question, et certainement réviser la position française. On le verra prochainement en octobre lors de la 4ème commission à l’ONU, où je me rendrais cette fois-ci en tant que président de la Polynésie. On verra bien quelle sera l’attitude du représentant permanent de la France aux Nations Unies », ajoute le président de la Polynésie.
Jeux olympiques : « On avait de réelles interrogations »
En arrivant aux affaires en mai, le gouvernement Brotherson et la majorité indépendantiste à l’Assemblée territoriale de la Polynésie a récupéré de nombreux dossiers en cours. C’est le cas en premier lieu de la préparation et de l’organisation des épreuves de surf des Jeux olympiques de Paris 2024. Et à ce sujet, les retards, les inquiétudes voire les méfiances de la population du district « du bout du monde » ont été charriés à la surface par les intempéries et leurs dégâts causés sur les habitations du mois dernier. Quelques jours après sa nomination, la nouvelle ministre de la Jeunesse et des Sports Nahema Temarii, en visite auprès des sinistrés, avait mis les pieds dans le plat en assurant que la Polynésie pouvait encore renoncer à l’accueil des épreuves de surf, non sans conséquences financières. Une option qui, précisait-elle, n’était pas retenue par le gouvernement Brotherson.
« Quand la ministre des Sports, il y a quelque temps, a créé un peu l'émoi à Paris en disant : « Écoutez, si on n'a pas les bonnes réponses à nos questions, peut-être qu'on va renoncer à organiser les Jeux. » Elle ne l'a pas fait juste sur le ton de la boutade » a assuré le chef de l’exécutif. « On avait de réelles interrogations, évidemment. On héritait du dossier, on le découvrait. En même temps, au même moment, il y a eu ces incidents météorologiques ». Sur le front des intempéries, « je dirais qu'il y a eu forcément un amalgame qui a été fait sous l'émotion, entre ce qui s'est produit et les travaux qui étaient plus ou moins liés à la préparation des Jeux olympiques », estime Moetai Brotherson. En effet, la direction de l’Équipement avait très vite écarté les premiers travaux comme cause du débordement de la rivière longeant Teahupo’o. Il s’agissait plutôt d’une accumulation de phénomènes météo, pluie, forte houle et montée du niveau du lagon, et des déchets naturels en amont du cours d’eau qui n’avaient pas été ramassés.
« Maintenant, la réparation est en cours. Que ce soit l'OPH ou la DSFE, on fait des recensements, les mécanismes sont en train de se mettre en place. Il y a eu également un élan de solidarité de la part du comité des Jeux olympiques qui est conscient qu'il doit évidemment aider cette population qui est celle qui va accueillir les Jeux », a expliqué Moetai Brotherson. Sur les fameuses « interrogations », le président se dit « satisfait » : « on a pu les évacuer progressivement », tant avec la représentante du COJO basée à Tahiti qu’avec Tony Estanguet à Paris. « J'ai posé mes questions sur les garanties environnementales, sur la notion d'héritage, sur la notion d'inclusion des populations dans ces Jeux. Et sur ces trois questions principales, j'ai eu les réponses que j'attendais ».
« Par exemple, si on prend un cas bien concret, c'est celui de la tour des juges, qui est un gros investissement sur lequel d'ailleurs le ministre Jean-François Carenco est sur le point de faire des annonces puisqu'ils vont augmenter la participation au financement de la part de l'État sur cette infrastructure. L'idée, c'est de pouvoir la réutiliser pour les compétitions du circuit Pro, parce qu'il faut dire les choses également de manière franche : la tour qui était utilisée jusqu'à présent pour les épreuves de la WSL n'est pas aux normes. À vrai dire, on ne devrait pas autoriser l'utilisation de cette tour » développe le président. « Il y a eu un audit de fait au départ pour savoir si on pouvait réutiliser cette tour pour les JO. La conclusion a été non, elle n'est pas aux normes ».
Premier cas donc d’un « héritage » utile sur le long terme, auquel le Pays devra aussi s’adapter : « le premier « test event » qui va se dérouler en août va être la première occasion de tester le montage puis le démontage de cette tour. Ça va nous permettre d'avoir une meilleure idée de ce que ça coûte de la monter, de la démonter, des formations qui sont nécessaires parce que ce seront finalement les mêmes équipes qui aujourd'hui montent la tour artisanale en bois qui a été utilisée jusqu'à présent ». « Je pense qu'à terme, c'est un outil qui est positif » assure Moetai Brotherson qui soulève tout même encore la question de son « ancrage » : « On ne pourra pas faire ces ancrages sans casser quelques coraux, les déplacer. C'est là-dessus qu'il faut qu'on soit vraiment attentifs à faire le moins de dégâts possible, sachant que cet investissement, une fois qu'il est fait, le but, c'est justement de ne plus avoir d'impact sur les coraux, sur l'environnement, une fois que ces ancrages sont posés ».
Concernant l’hébergement, il avait un temps été envisagé de réhabiliter une petite structure hôtelière sur les hauteurs de la Presqu’île. Mais les retards administratifs font que celle-ci ne sera pas prête pour août 2024, voire même avant, comme cela avait été avancé. Mais depuis la campagne électorale, avant même les scrutins des 16 et 30 avril, la question est « évacuée ». « La solution pour l'hébergement des athlètes, ce sera le paquebot Aranui », assure Moetai Brotherson. Par paquebot, précisons-le, on parle davantage d’un cargo-mixte pouvant accueillir près de 300 passagers.
Reste maintenant la question des financements, qui incombe à la nouvelle majorité. « Là, on a un collectif budgétaire qu'on doit mettre en œuvre d'ici la mi-juillet, justement pour mettre les budgets en face des engagements, ce qui n'a pas été fait jusqu'à présent. Donc, on a quelques centaines de millions à inscrire dans ce collectif budgétaire pour l'ensemble des engagements auxquels le pays est tenu ».
Toujours sur les épreuves de surf des Jeux olympiques, Moetai Brotherson a, cette semaine, insisté sur la notion « d’acceptabilité sociale ». En d’autres termes, que la population locale soit investie et non éloignée de ces Jeux, éloignée d’un « spot » de surf qu’elle a l’habitude de fréquenter sans entrave. « C'est pour nous un élément important », a assuré le président. « Évidemment, ce sont les Jeux olympiques. Évidemment, il y a un cahier des charges, il y a des normes de sécurité à respecter, mais j'ai expliqué très clairement à Tony Estanguet et à la ministre des Sports que ce n'était juste pas envisageable qu'il n'y ait personne d'autre que les organisateurs et les compétiteurs sur le plan d'eau ».
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Reconnaissant volontiers la nécessité d’ « une distance minimum à respecter », « sur le principe, pense qu'on aura des Polynésiens sur le plan d'eau dans un périmètre qui reste à définir ». Le président polynésien évoque dans ce cas des « pirogues accréditées » par exemple. Mais il est certain que des habitudes prises au fil des dernières compétitions de surf à Teahupo’o ne pourront pas se répétées en août 2024 : « Que tout le monde vienne avec son jet ski, sa pirogue, son paddle, ça risque de ne pas être possible ». En revanche, sur les « embarcations accréditées », Moetai Brotherson a dit son souhait de prioriser les « enfants défavorisés » et les « personnes en situation de handicap ». « On ne va pas pouvoir mettre tout le monde, donc il va falloir établir des critères » a insisté le président.
« On va essayer de faire quelque chose qui permette aux Polynésiens d'être près de la vague. Évidemment, les autres pourront toujours suivre, surtout sur toutes les fan zones, parce qu'il y en a plusieurs sur ces fameux écrans géants. Ce n'est évidemment pas l'idéal, mais on ne peut pas faire non plus autrement ». Sur les prix des billets pour assister aux épreuves, prix exorbitants qui ont provoqué la colère dans l’Hexagone, Moetai Brotherson rappelle que « chez nous, il n'y aura pas de billetterie. Il n'y a pas de billet à acheter. C'est un élément qui, pour nous, était essentiel ».
Assemblée nationale et Délégation aux Outre-mer
La mission à Paris du président Moetai Brotherson a aussi été marquée par sa dernière question au gouvernement, durant laquelle le désormais ancien député a reçu les hommages de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, de la Première ministre, Élisabeth Borne et les applaudissements de l’ensemble des groupes politiques de l’hémicycle, le GDR en premier lieu. Depuis vendredi, c’est sa suppléante Mereana Reid Arbelot qui occupe le siège représentant la troisième circonscription de la Polynésie, englobant les communes des îles sous-le-vent, ainsi que les villes de Punaauia et Faa’a sur Tahiti.
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« Sur les dossiers que Mereana va porter, le tout premier va être celui de l'ITR (indemnité temporaire de retraite, ndlr), de la mise en place d'un mécanisme compensatoire qui avait été promis à l'époque par Yves Jégo et qui n'a jamais vu le jour ». En 2021, le gouvernement, sous l’impulsion des parlementaires des territoires concernés par l’ITR et sa suppression, avait accepté la création d’un comité d’évaluation qui, depuis, ne s’est réuni que deux fois. Moetai Brotherson a finalement eu la confirmation d’une nouvelle réunion le 7 juillet, à laquelle participera la nouvelle députée polynésienne. « C'est un dossier qu'elle connaît mieux que moi parce qu'elle est fonctionnaire d'État, donc directement concernée. Ça fait partie d'une chose sur lesquelles elle avait déjà réfléchi avec ses collègues », Steve Chailloux et Tematai Legayic.
Moetai Brotherson a également profité de sa visite pour annoncer la candidature de Mereana Reid Arbelot à la présidence de la Délégation aux Outre-mer de l’Assemblée nationale, poste qu’il occupait jusqu’ici. « Je pense que ce qui est important, c'est que cette présidence demeure au groupe GDR, parce que c'est le groupe qui compte le plus d'Ultramarins. Pour moi, c'est la logique des choses » a défendu le président polynésien. « Évidemment, au fond de moi, j'aimerais bien que ce soit Mereana pour que la présidence de la Délégation reste dans la zone Pacifique » poursuit Moetai Brotherson qui précise ne pas vouloir s’immiscer dans ce processus.
« Je forme le vœu, quel que soit le ou la présidente qui va me succéder, qu'il ou elle essaye de poursuivre ce que j'ai commencé, à savoir ne surtout pas faire de cette délégation un outil partisan, essayer de toujours embrasser les problématiques de l'ensemble des Outre-mer, ne pas en faire un entre-soi entre Ultramarins, parce qu'un des objectifs de cette délégation, c'est de sensibiliser toute la représentation nationale sur les problématiques Outre-mer ». « J'ai aussi beaucoup travaillé sur la coopération avec les autres délégations » poursuit-il, appelant à un rapprochement de toutes les délégations Outre-mer des différentes institutions, Assemblée nationale, Sénat, CESE ou encore Conférence des Bâtonniers. « J'estimais que c'était intéressant qu'on puisse collaborer parce qu'on se rend compte que quand on fait le bilan de nos actions, on a très souvent travaillé sur les mêmes dossiers, chacun dans son coin. Donc, plutôt que de faire ça, autant qu'on travaille ensemble et qu'on essaie de produire des choses plus efficaces et plus intéressantes », conclut Moetai Brotherson.