La Nouvelle-Calédonie est dans l'incertitude vendredi, au lendemain d'une visite du président Emmanuel Macron, qui a promis que la réforme électorale contestée sur l'archipel ne passerait « pas en force », mais maintient le cap d'une sortie de crise d'ici à fin juin. D’après la représentation de l’État sur l’archipel, la nuit de jeudi à vendredi a été plus calme malgré l’annonce, il y a quelques heures, d’une 7ème victime.
Arrivé jeudi matin à Nouméa, le chef de l'État a tenu des consultations avec les non indépendantistes, dont une partie favorable à cette réforme et au maintien du congrès, et les indépendantistes, qui lui sont hostiles. Pour rappel, cette réforme dite du « dégel » prévoit d'élargir le corps électoral pour les élections provinciales. C'est ce texte qui a mis le feu aux poudres et déclenché une vague de violences que l'île n'avait plus connue depuis quatre décennies. Les émeutiers, dont elle a provoqué la colère dès le 13 mai, avant son adoption par l'Assemblée nationale le 15 mai, estiment inacceptable la manière dont elle a avancé, alors qu'elle va selon eux diluer le poids des autochtones dans la vie politique.
« Je me suis engagé à ce que cette réforme ne passe pas en force », a promis Emmanuel Macron. Mais il a demandé « la reprise du dialogue en vue d'un accord global » et institutionnel couvrant plusieurs sujets dont le corps électoral ou encore l’exercice du droit à l’autodétermination et la citoyenneté, d'ici à fin juin, pour qu'ensuite « cet accord puisse être soumis au vote des Calédoniens ». Avant cette échéance politique, l' « objectif est de rétablir l'ordre dans les jours à venir », a-t-il prévenu. « Nous allons donc reprendre pas à pas chaque quartier, chaque rond-point, chaque barrage », avec entre autres « 3 000 forces de sécurité intérieure » à partir de ce vendredi et ce, jusqu’au mois de septembre.
« Pas le Far West »
Dans un entretien télévisé avec des journalistes calédoniens diffusé vendredi, il a ainsi justifié les forces engagées : la Nouvelle-Calédonie, « c'est pas le Far West ». « Ce que je demande de manière immédiate, c'est la levée de tous les blocages, la levée des points de violence, et qu'il y ait un appel clair à ces levées. Par le FNLKS, la CCAT et tout responsable », a-t-il ajouté. Le FNLKS, principal mouvement indépendantiste comprenant quatre partis dont l’Union calédonienne et le Palika, signataire des accords de Matignon et Nouméa, était naturellement invité aux négociations. La CCAT, également invitée, est une organisation radicale indépendantiste née du FLNKS, accusée par les autorités d'attiser la violence.
Six morts, dont deux gendarmes, et des dégâts « colossaux » selon Emmanuel Macron sont à déplorer depuis le début des affrontements. Une septième victime est à déplorer ce matin : un homme de 48 ans par un policier qui avait été « pris à partie physiquement » par des manifestants. L'état d'urgence instauré le 16 mai continue de prévaloir, avec les mesures qui l'accompagnent : couvre-feu de 12 heures quotidiennes, interdiction de rassemblement, de transports d'armes et de vente d'alcool, bannissement de l'application TikTok. Cette dernière mesure, attaquée devant le Conseil d'État, a été confortée par la juridiction administrative jeudi.
Lire aussi : Nouvelle-Calédonie : Emmanuel Macron donne un mois pour reprendre les discussions et avancer sur un accord global
Pour l’heure, les barrages instaurés par les émeutiers restent eux aussi en place. Sur la côte est de la Grande Île, le carrefour entre la route qui en traverse le centre et celle qui longe l'océan est par exemple bloqué. Le passage n'est accordé qu'aux véhicules de secours. Dans le quartier de Montravel à Nouméa, les militants sont en attente vendredi d'une communication officielle du FLNKS sur « les directives concernant la suite du mouvement ». « On doit aussi se réunir avec les anciens pour discuter. De notre côté, on se tient prêt à poursuivre la mobilisation puisqu’apparemment le président de la République ne veut pas nous écouter », explique à l'AFP l'un des émeutiers, qui ne donne que son prénom, Yamel.
« Moyens phénoménaux »
« On attend tous la décision du FLNKS », a affirmé la cheffe de file des loyalistes, Sonia Backès, sur la radio RRB. « Un accord est possible si tout le monde est de bonne foi (...) Si tout le monde est de bonne volonté pour montrer qu'on est prêt à vivre ensemble sur cette terre, ça fonctionnera », a-t-elle estimé. Mais, a-t-elle prévenu, le retour au calme prendra du temps. « Les opérations qui sont menées quartier par quartier demandent des moyens phénoménaux (...) Les forces de l'ordre se font tirer dessus à balles réelles. Les barrages sont quand même très lourds à débarrasser », selon Sonia Backès.
Pour le président de la République, la balle est aussi dans le camp des indépendantistes : « soit ils ont décidé politiquement de tenir » leur engagement d’appel au calme, « soit peut-être ne pourront-ils pas les tenir. À ce moment-là, nous verrons si c’est un mouvement politique ou insurrectionnel » a-t-il expliqué aux chaînes locales CALEDONIA et Nouvelle-Calédonie La 1ère. Il a aussi assuré que le délai d’un mois laissé au dialogue n’est pas « une forme de recul de la République ». « Au moment où je vous parle, cette réforme pourrait être soumise au Congrès à un vote des 3/5ème, soit être soumise à la population française à nos concitoyens pour un référendum », a-t-il prévenu.
Pendant ce temps, la vie reprend doucement « malgré quelques incidents isolés ». La Banque de Nouvelle-Calédonie a par exemple annoncé la réouverture vendredi de cinq de ses 18 agences. Trois d'entre elles ont été incendiées. L'aéroport international de La Tontouta, en revanche, reste fermé depuis le 14 mai. Aucun vol commercial n'aura lieu jusqu'à mardi, a annoncé vendredi son exploitant, la Chambre de commerce et d'industrie. Les pays voisins s'activent pour trouver les moyens de faire évacuer leurs ressortissants. Le gouvernement du Vanuatu a indiqué qu'il organisait vendredi le rapatriement de quelque 160 étudiants dans la journée, avec trois vols. Selon les images de la chaîne de télévision VBTC, c'est un avion militaire français qui a assuré le premier.
Écoles fermées jusqu’au 17 juin
La Nouvelle-Zélande a affirmé que le rapatriement restait « une priorité urgente », après l'arrivée de 50 de ses ressortissants vendredi matin à Auckland. Et des appareils militaires australiens et néo-zélandais effectuent vendredi des rotations avec l'aérodrome de Nouméa, selon le site internet Flightradar24. Depuis la Polynésie française, le président Moetai Brotherson a aussi demandé à l’État une « autorisation exceptionnelle » pour mettre en place un vol de rapatriement pour les 145 polynésiens bloqués en Nouvelle-Calédonie.
Lors d’une conférence de presse ce vendredi à 14h (heure locale), la membre du gouvernement chargée de l’Éducation a annoncé la fermeture des établissements scolaires aux alentours du 17 juin, « selon des modalités différentes en fonction des zones géographiques ». « Des déplacements d’élèves devront être effectués », a-t-elle aussi déclaré, ajoutant que « les campus universitaires de Nouville et Baco resteront également fermés jusqu’à nouvel ordre ». « Une vingtaine d’écoles ont été partiellement pillées et dégradées et une dizaine de collèges et lycées partiellement ou totalement détruits. 4 000 élèves du secondaire et 1 000 du primaire sont concernés par ces destructions » a détaillé Isabelle Champmoreau.
Réactions politiques
Au lendemain des annonces d’Emmanuel Macron, les réactions politiques ont été nombreuses localement, et chacun interprète à sa manière les engagements politiques du chef de l’État. Pour le député Renaissance Nicolas Metzdorf, rapporteur et fervent défenseur du dégel, « le calendrier initial est respecté, puisqu’un point d’étape a été fixé avant le 1er Juillet, date de promulgation de la loi ». Il estime que ce n’est « ni (un) retrait ni (un) report » du texte et appelle à « travailler à un accord global. Nous avons un mois, nous pouvons le faire à condition que les tensions s’apaisent et que les barrages soient levés ».
Pour l’autre partie du camp non indépendantiste, Calédonie Ensemble, qui avait appelé au report du Congrès de Versailles, « le président a dit « diplomatiquement » que cette réforme « unilatérale et partielle » est abandonnée et qu'il demande aux Calédoniens de « lever les barrages » et de construire « en quelques semaines ou quelques petits mois » le consensus dont notre pays a besoin ». « Il n’y a pas le mot « report » ou le mot « retrait », mais pour autant, cela signifie que cette réforme est techniquement et politiquement abandonnée. Ce n’est pas en juillet, lors des Jeux Olympiques, ou en août lors des vacances que le Président va réunir le Parlement », insiste le parti.
L’Éveil océanien, parti représentant la communauté wallisienne et futunienne de l’archipel et qui siège avec les indépendantistes de l’Union calédonienne au Congrès de l’archipel, fait la même lecture : « le projet de loi constitutionnelle est mort », estimant que la demande de retrait du texte par le RN et LR rend l'objectif des 3/5e au congrès de Versailles inatteignable, tandis que la gauche NUPES y est déjà opposée. « Le Président n'a donc pas d'autres possibilités que celle qu'il a annoncée : ne pas convoquer le Congrès de Versailles, suspendre le projet de loi constitutionnelle, en incitant chacun à la responsabilité du dialogue ».
L’ancienne secrétaire d’État et présidente de la province Sud, cheffe de file de la coalition Les Loyalistes, n’y voit « pas de faiblesse du Président de la République mais une porte ouverte au dialogue ». « Il a annoncé qu’il n’y aurait ni retrait, ni report, ni pause de la réforme constitutionnelle, mais qu’il y aurait un dialogue nourri entre les forces politiques pendant un mois, pour éviter le passage en force dans un premier temps, sous l’égide des 3 hauts fonctionnaires missionnés pour ce faire à la recherche d’un accord global sur le dégel, la répartition du congrès et l’organisation des institutions ». Un point de vue qui rejoint naturellement celui du député Nicolas Metzdorf ou encore du Rassemblement-LR.
Pour l’heure, les indépendantistes du FLNKS n’ont pas réagi aux annonces du chef de l’État.