Le président de la Polynésie Moetai Brotherson a fait le bilan des 100 premiers jours de son gouvernement. Durant une heure, il a déroulé une liste de mesures, certaines symboliques, d’autres significatives, d’autres encore -certains diront trop- à portée limitée. Un exercice expressionniste, par petites touches, qu’il a complété jeudi soir par d’autres annonces, lors du face-à-face avec les Polynésiens. Détails avec nos partenaires de Radio 1 Tahiti.
C’est bien calé dans son fauteuil que Moetai Brotherson a fait face aux téléspectateurs ce mercredi soir ; une présentation peu dynamique, dans le décor chargé et un peu désuet de la présidence, qui semblait contredire la volonté affichée de démontrer l’activité du gouvernement.
L’exercice consistait à dérouler une partie des « 497 mesures » dénombrées par ses services, une rétrospective sans prospective, puisque c’est jeudi soir, lors du face-à-face avec 80 Polynésiens, que le président du Pays a abordé l’avenir. Une méthode qui a visiblement frustré les commentateurs invités sur les plateaux de télévision, tout en leur permettant de critiquer à l’envi, en pointant notamment plusieurs actions initiées par le gouvernement précédent.
Pour ceux qui en doutent, le président a réaffirmé que la feuille de route du gouvernement est le programme du Tavini Huira’atira (parti indépendantiste, ndlr) présenté pendant la campagne électorale. Les premières innovations rappelées sont plutôt d’ordre symbolique : une femme au poste de vice-présidente, Éliane Tevahitua, le plus jeune ministre de l’histoire, Jordy Chan, la commémoration de la guerre franco-tahitienne au lieu de la fête de l’autonomie. S’en est suivie une liste, par chapitres, mais qui a parfois semblé décousue.
Sur la question de la vie chère, c’est bien sûr la suppression de la contribution pour la solidarité, ou « TVA sociale », qui a été rappelée, la baisse de 5 Fcfp par litre des hydrocarbures et la « stabilisation » du prix de l’électricité, ou encore petits déjeuners gratuits dans les écoles, appelés à se généraliser.
Côté logement, Moetai Brotherson a rappelé la création de Arana, le programme de logement intermédiaire de l’OPH qui doit permettre de bénéficier de meilleures conditions de financement que les 8 opérateurs privés de logements sociaux dont le bilan est effectivement décevant. Enfin, les dossiers de demande sont désormais, assure-t-il, anonymes.
Côté santé, la convention médicale avec le Paul Gauguin, le mammographe aux Marquises Sud, l’ouverture le weekend de la promenade de Motu Uta, l’accès à une salle de sport pour les plus précaires, le nouveau kiosque info santé à Papeete, et les Fare ora qui, outre leur fonction de guichet des services du Pays dans les communes, ont également un rôle à jouer dans le sport et la santé. Plus en rupture avec le passé, la modification de la réglementation existante sur le cannabis, une « usine à gaz », avec une annonce : la légalisation de l’usage du CBD « dans les jours qui viennent ».
Les transports : rond-point du Méridien et « tourne-à-droite » de l’avenue Pouvanaa a Oopa, début du programme de rénovation des abribus, glissières en béton sur les dangereuses routes marquisiennes, retrait des épaves dans les zones de mouillage.
Dans le domaine de l’éducation, Moetai Brotherson a rappelé le « pacte » dans les collèges et lycées pour remplacer plus efficacement les professeurs absents, les 36 stagiaires natifs de Polynésie affectés sur le territoire plutôt que dans l’Hexagone, l’effort de formation des accompagnants scolaires.
L’emploi : réforme des CAE, désormais limités aux 4 secteurs prioritaires (tourisme, secteur primaire, transition énergétique, numérique), et d’autres dispositifs d’insertion ; relèvement à 10 millions de Fcfp du seuil de l’impôt sur les transactions pour les très petites entreprises, dématérialisation des arrêts de travail, portail Ihitai pour les professionnels de la mer.
Le social : apurement de 1 461 dossiers Cotorep grâce à l’embauche d’un médecin, aménagements pour PMR dans les administrations. Le président a aussi vanté la carte Fa’atupu, remplaçant la carte Auti’a, et qui doit permettre à 3 000 personnes modestes de se procurer des produits de première nécessité à moindre coût. Il a également cité le programme « Gener’action » qui fédère par le sport les jeunes inactifs, testé à Moorea et qui va voyager de commune en commune.
Tourisme et transports aériens : structuration des comités du tourisme, rétablissement de la défiscalisation pour les ATR pour favoriser la concurrence, participation à l’élaboration du cahier des charges de la concession aéroportuaire de Tahiti-Faa’a.
Langues polynésiennes : version reo tahiti du site Lexpol, traduction prochaine du statut de la Polynésie, élaboration d’une langue des signes polynésienne, introduction systématique des chants polyphoniques traditionnels à l’école.
Nucléaire : guichet spécifique à la CPS pour aider les victimes du nucléaire à constituer leur dossier, prélude à la création d’un véritable statut polynésien de victime des essais, et renforcement de l’enseignement du fait nucléaire à l’école.
Secteur primaire : Moetai Brotherson annonce la réforme de l’octroi des licences de pêche côtière, pour que les pêcheurs du dimanche n’aient plus accès au carburant détaxé.
Vie publique : réforme de la composition du Cesec, avec un 5e collège « des archipels », des représentants des associations LGBTQ+, des étudiants et des défenseurs de la cause animale, le tout en faisant passer la proportion de femmes de 29 à 40%. Les conseillers perdent 10% de leurs émoluments. Moetai Brotherson affirme que l’ensemble des dépenses de cabinets ministériels a baissé de 10% par rapport à la mandature précédente. Le recrutement dans l’administration des personnels de catégorie D est « dépolitisé » : il ne dépend plus du « bon vouloir » du président du Pays. Toujours sur le volet financier, il a rappelé la réduction de la dette du Pays par le retour à l’envoyeur de 3 milliards sur les PGE.
Nos partenaires de Radio 1 auront l’occasion de revenir sur chacun de ces sujets : du 29 août au 28 septembre, le mardi à 11h30 et le jeudi à 8 heures : les journalistes de la rédaction recevront chacun des 10 membres du gouvernement.
Moetai Brotherson veut ouvrir des Ambassade, et parie sur le retour de la France à l’ONU
Les questions internationales avaient été déjà largement évoquées avec Gérald Darmanin lors de sa visite de la semaine dernière. Et il est vrai que les réponses du ministre de l’Intérieur et des Outre-mer avaient été plutôt encourageantes : « Je pense qu’il est normal que les représentants de la Polynésie française puissent, dans leur environnement régional, le Pacifique, avoir des relations avec leurs états frères sans avoir à demander l’avis à la diplomatie française », avait expliqué le responsable, qui devait plaider cette semaine, auprès d’Emmanuel Macron, une extension des compétences régionales du Pays, notamment en matières culturelle et commerciale. Mais avant même que Paris approuve, Papeete passe à l’action. Dans son discours des 100 jours, ce mercredi soir, Moetai Brotherson a annoncé la mise à l’étude de trois représentations de la Polynésie dans la zone Pacifique.
Suva, Nouméa… Et un autre pays du Pacifique
Et c’est d’abord à Fidji que le Pays veut ouvrir une de ces « délégations permanentes » : « De nombreuses institutions régionales y ont leur siège, et il est important pour la Polynésie d’avoir une représentation permanente à Fidji », appuie le président. « Nous mettons également à l’étude une représentation permanente en Nouvelle-Calédonie, où une communauté polynésienne vit depuis très longtemps et où également nos entreprises ont tout intérêt à pouvoir faire plus d’échanges et de commerce avec cette communauté voisine et cousine qui se situe à cinq heures d’avion ».
La délégation de Nouméa serait abritée dans des locaux appartenant déjà à la Polynésie, et le gouvernement est en discussion avec un « prestataire » pour une ouverture rapide. En plus de cette petite « ambassade », la présidence doit signer une convention de partenariat « avant la fin de l’année » avec le président du gouvernement calédonien Louis Mapou. Une convention « préparée sous le gouvernement précédent, je n’ai pas honte de le dire », précise Moetai Brotherson, « et que nous avons modifiée pour qu’elle colle un peu plus à notre vision des choses ». Quant à la troisième représentation à l’étude, le responsable attendra son discours en tahitien pour la localiser : le Canada, où étudient de nombreux jeunes Polynésiens.
« Rendez-vous à l’ONU »
Mais le président du Pays a évoqué des projets bien au-delà du Pacifique dans ce discours fleuve. D’abord du côté de l’Hexagone, avec la réorganisation de la délégation de la Polynésie française à Paris. Pour Moetai Brotherson, qui a, dès sa prise de fonction, remplacé la cheffe de service de la délégation Caroline Tang par Sarah Teriitaumihau, il s’agit notamment « d’optimiser l’obtention de fonds européens » au travers de la structure parisienne.
Des projets aussi du côté des États-Unis, avec le programme Capstone, au travers duquel des étudiants des universités de Columbia et Stanford pourront plancher sur certains chantiers polynésiens, au travers de stages dans l’administration – c’est déjà le cas, depuis deux mois – et d’une mission groupée prévue en mars 2024. Le président a aussi, bien sûr, évoqué la gestion du dossier polynésien à l’ONU. « Je me rendrai à la quatrième commission des Nations-unis la première semaine du mois d’octobre en tant que président de la Polynésie », confirme-t-il. « Et j’ai obtenu l’accord de principe du président de la République pour un changement de posture de l’État français lors de cette Quatrième commission. J’ai toute confiance dans la parole du Président et donc je vous donne rendez-vous à l’ONU ».
Le « changement de posture » attendu du côté du Tavini, c’est bien sûr la participation de l’État aux discussions de cette commission, spécialisée sur les questions de décolonisation. Paris pratique la politique de la chaise vide sur le dossier polynésien depuis la réinscription du pays sur la liste des territoires non-autonomes, en 2013. La semaine dernière, Gérald Darmanin avait dit ne « pas avoir peur » d’aller défendre la position de la France à New York, comme il l’a déjà fait sur le dossier calédonien, tout en précisant que la Polynésie n’avait « pas à être décolonisée ».
Un tournant, tout de même, dans les relations entre Paris et Tahiti, et qui ne pourrait toutefois être décidé que par l’Élysée, qui a déjà consulté sa diplomatie sur le sujet. Il y a un mois, le haut-commissaire Éric Spitz expliquait sur le plateau de Radio 1 que le Quai d'Orsay était plutôt « balancé », et demandait notamment, au préalable, une clarification des compétences internationales du Pays. Clarification qui semble être en bonne voie.
Dans son discours, Moetai Brotherson a pris soin de rappeler que les relations avec l’État, contrairement à ce que présageaient ses rivaux autonomistes pendant la campagne, étaient « au beau fixe ». « Pour la première fois de l’histoire j’ai pu, en tant que représentant de la Polynésie, être invité à des réunions bilatérales entre la France et des pays indépendants », a-t-il rappelé, citant sa participation à la visite officielle d’Emmanuel Macron au Vanuatu et en Papouasie-Nouvelle-Guinée en compagnie du président calédonien Louis Mapou. « C’est une évolution notable dans la confiance qu’il existe entre l’État français et le gouvernement de Polynésie française ».
Caroline Perdrix et Charlie René pour Radio 1 Tahiti