La Réunionnaise Stéphanie Parassouramanaïk a soutenu sa thèse intitulée « La faculté d’adaptation de l’article 73 de la Constitution. Contribution à l’étude de la notion d’autonomie normative des collectivités territoriales au sein de l’État unitaire français » à l’Université La Réunion le 31 octobre 2024. Cette thèse lui a valu le prix de thèse du Sénat 2025 remis par le président Gérard Larcher le 15 mai 2025. Outremers 360 vous propose le résumé de cette thèse.
L’article 73 de la Constitution organise la relation de certaines collectivités territoriales de la République (Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion et Mayotte) avec l’État. Cette relation est fondée sur le principe d’identité législative. En vertu de ce principe, les lois et règlements applicables au niveau national le sont directement sur le territoire de ces collectivités sans mention expresse nécessaire au sein de la norme. Pourtant, l’article 73 prévoit une dérogation à ce principe. Les collectivités territoriales de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique, de La Réunion et de Mayotte disposent d’une faculté d’adaptation. Autrement dit, il est possible au niveau d’une collectivité territoriale d’avoir des normes différentes de celles qui existent sur le territoire hexagonal, mais surtout que ces normes aient été produites par la collectivité territoriale elle-même. C’est tout le sens de l’autonomie normative définie comme la capacité à faire soi-même ses propres normes. Cette faculté d’adaptation leur permet au niveau local d’adapter les lois et règlements au regard de leurs caractéristiques et contraintes particulières. La jurisprudence a montré que ces spécificités territoriales pouvaient être l’insularité, l’éloignement, la situation économique particulière, mais également la position géostratégique ou la biodiversité. L’esprit de l’article est bel et bien de permettre aux collectivités de rendre les politiques publiques au niveau local plus efficaces, en ce sens qu’elles tiennent compte des particularismes qui pourraient faire obstacle à l’application d’une norme nationale. Cette prise de conscience ne se fait pas au niveau national, mais par la collectivité qui en constatant l’inefficacité d’une norme à cause des spécificités locales prend l’initiative de l’adaptation. Ainsi, les politiques en matière environnementale pourraient être adaptée à la biodiversité locale par la collectivité elle-même. Il s’agit donc au sein de l’État unitaire français d’octroyer une autonomie normative aux collectivités territoriales pour permettre le développement économique, social et territorial des collectivités territoriales. Cette faculté d’adaptation ne remet donc pas en cause le caractère unitaire de l’État français auquel ces collectivités appartiennent. La faculté d’adaptation s’inscrit dans le cadre des grands principes républicains qu’est le principe d’indivisibilité de la République et cherche à mettre en œuvre le principe d’égalité.
Cette faculté d’adaptation est matérialisée par deux mécanismes que les collectivités peuvent elles-mêmes mettre en œuvre : un mécanisme d’adaptation des normes et un mécanisme d’adaptation des compétences. Le premier permet d’adapter une ou des normes identifiées que la collectivité aura préalablement choisies. Le second mécanisme permet à la collectivité d’acquérir la capacité d’intervenir dans des champs de compétences qui ne sont pas les siens pour adapter un objectif de politique publique aux spécificités du territoire. Le second mécanisme octroie donc une plus grande autonomie normative aux collectivités territoriales puisque penser une politique publique adaptée dans son ensemble laisse une marge de manœuvre plus grande aux collectivités que la décision d’adapter quelques normes. Ces mécanismes d’adaptation sont organisés autour d’une procédure spécifique qui leur garantit leur inscription au sein de l’État unitaire français. Ainsi, des limites et des contrôles sont prévus par les textes. Tout d’abord, la Constitution limite les domaines dans lesquels la collectivité peut intervenir. Tous les domaines régaliens que sont la nationalité, les droits civiques, les garanties des libertés publiques, l’état et la capacité des personnes, l’organisation de la justice, le droit pénal, la procédure pénale, la politique étrangère, la défense, la sécurité et l’ordre publics, la monnaie, le crédit et les charges ainsi que le droit électoral sont exclus de l’adaptation par les collectivités territoriales car il s’agit de domaines qui sont considérés comme réservé à l’État. Ensuite, le préfet exerce un contrôle de la légalité sur la demande d’adaptation et les autorités centrales exercent un contrôle d’opportunité sur l’adaptation puisque la collectivité doit demander une habilitation au Gouvernement ou au Parlement en fonction de la nature de l’adaptation. Enfin, les juridictions peuvent être saisies de l’habilitation et des délibérations que la collectivité va prendre pour adapter.
Le mécanisme, même s’il est complexe, a été utilisé à plusieurs reprises en Guadeloupe et en Martinique en matière environnementale, en matière de transport et en matière de formation professionnelle. Ainsi en Guadeloupe, par délibération de la collectivité, l’assemblée dispose d’une compétence pour légiférer en matière de maîtrise de la demande d’énergie, notamment sur la règlementation thermique pour la construction de bâtiments, le développement des énergies renouvelables et la planification énergétique. Il est certain que les mécanismes n’ont pas été utilisés au maximum de leur potentialité, dans le sens où une variété de champs de compétences aurait pu faire l’objet d’adaptation comme l’économie, l’urbanisme commercial, etc. Plusieurs raisons peuvent justifier cet état de fait : la volonté politique au niveau local, la volonté politique au niveau national et la technicité du mécanisme. Si les volontés politiques sont souvent empreintes de la relation de décentralisation qui existe en France et qui tend à ce que la décision d’adaptation soit prise davantage par les autorités centrales, la technicité du mécanisme pourrait être atténuée pour permettre de faire de la faculté d’adaptation un moyen usuel d’action de politique publique.
Pourtant, l’analyse de ces mécanismes d’adaptation prend tout son sens dans un contexte où les collectivités territoriales d’outre-mer demandent plus de pouvoir normatif local, c’est-à-dire une autonomie normative plus grande. La thèse a donc vocation à présenter les mécanismes et à y présenter des pistes d’évolutions juridiques dans ce sens.
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Stéphanie Parassouramanaïk