État d'urgence levé, couvre-feu maintenu et un calme relatif qui se confirme nuit après nuit : la Nouvelle-Calédonie poursuit mardi son fragile retour à la normale dans la foulée d'une crise aiguë, marquée par sept décès, des barrages et des dégradations.
Jusqu'à 3 500 effectifs de forces de l'ordre, au total, vont être déployés dans l’archipel engagé depuis 1988 puis 1998 dans un processus d'émancipation. Un projet de loi constitutionnelle a déclenché des émeutes et aucune sortie de crise politique ne se dessine pour l'heure, faute d'accord entre non indépendantistes et indépendantistes.
La nuit de lundi à mardi a été « relativement calme », a écrit le Haut-Commissariat de la République dans un communiqué. Dans le quartier populaire de Montravel à Nouméa, majoritairement peuplé par les communautés kanak et océanienne et qui a été à la pointe de la révolte, aucune barricade n'était dressée mardi. A Apogoti, comme à Païta et Dumbéa-sur-Mer, sur chaque barrage, le mot d'ordre semble être le même : laisser passer, même si des détours sont encore nécessaires du fait des débris barrant la route, entraînant de nombreux embouteillages.
« Inquiétude »
A l'arrêt depuis le 14 mai, les taxis de Nouméa reprennent du service, a annoncé mardi l'association des radio taxis, au lendemain de la reprise du trafic routier dans l'agglomération, ce qui a aussi généré de longs embouteillages. Le réseau de bus qui dessert Nouméa et le Grand Nouméa reste en revanche paralysé. Autre service public encore affecté par les barrages, la collecte des ordures ménagères. Mais signe, là aussi, d'un timide retour à la normale, la mairie de Nouméa a organisé lundi sa toute première tournée de ramassage depuis le déclenchement de la crise, pour « trois quartiers seulement », selon la municipalité.
Mardi, le Haut-Commissariat de la République, qui a signalé « près de 500 » interpellations, a assuré que le déblaiement avançait à Nouméa dans « les secteurs de Magenta, Tuband et du foyer wallisien », et que « la progression du nettoyage et de la sécurisation des axes principaux permet l'accès à des rues adjacentes jusqu'alors bloquées ».
L'accès à l'hôpital de l'agglomération a été libéré lundi et sécurisé, mais étant « concentrée sur la gestion des urgences et la reprise des soins vitaux », la direction de l'établissement a appelé mardi les Calédoniens à « ne pas se déplacer au Médipôle en dehors de cas d'urgences ». L'aéroport international de Nouméa-La Tontouta, fermé aux vols commerciaux depuis le 14 mai, va le rester au moins jusqu'au 2 juin. Les écoles, elles, ne rouvriront pas avant mi-juin.
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L'odeur de cendres froides est partout à Païta, « l'inquiétude » aussi, selon Franck Goubaïrate, opérateur logistique de 50 ans, qui déplore la perte de milliers d'emplois. « On espère reprendre une vie normale mais on sait très bien que ça va prendre un peu de temps », avance de son côté Martin Hmaen, le même âge, qui travaille dans un cabinet de géomètre à Païta, dont le centre-ville a été ravagé par les émeutes. Les deux hommes sont au chômage technique depuis 15 jours.
Macron et le référendum
Les touristes et voyageurs bloqués sur place -hexagonaux, australiens, néo-zélandais, polynésiens, wallisiens et futuniens, vanuatais- coincés sur l'archipel doivent continuer à être évacués. Depuis le début de la crise, 1 200 personnes ont été évacuées par avion et 270 résidents calédoniens ont pu rentrer, selon le Haut-Commissariat. Dimanche soir, 84 Polynésiens ont pu rejoindre Tahiti, tandis que des Calédoniens bloqués à Papeete pourront rejoindre la Nouvelle-Calédonie ce mardi. D’autres vols de rapatriement entre la Nouvelle-Calédonie et les États et territoires de la région sont prévus cette semaine.
L'état d'urgence, instauré le 15 mai, a été levé mardi à 05h du matin (20h lundi à Paris). Le couvre-feu reste en vigueur et la vente d'alcool demeure interdite, tout comme le transport et port d'armes -estimées à environ 100 000 dans l'archipel peuplé de quelque 270 000 habitants. Le détonateur des troubles a été le vote à Paris d'une réforme constitutionnelle prévoyant d'élargir le corps électoral local à environ 25 000 natifs et personnes établies depuis au moins dix ans en Nouvelle-Calédonie.
Les indépendantistes réclament le retrait de la réforme, qui a provoqué les pires violences sur l'archipel en 40 ans et réveillé le spectre des « Événements » qui, de 1984 à 1988, avaient fait près de 80 morts et craindre la plongée de la Nouvelle-Calédonie dans la guerre civile. Jeudi, le président Emmanuel Macron a annoncé lors d'une visite sur place qu'il n'y aurait « pas de passage en force » mais « pas de retour en arrière ». Il avait conditionné la fin de l'état d'urgence à une levée des barrages sur les routes, ce qui n'est pas le cas partout.
En déplacement à Berlin dimanche, le chef de l'État a été amené à nuancer ses propos au quotidien Le Parisien publiés la veille sur la possibilité d'organiser un référendum national sur le dégel du corps électoral, qui ont suscité de nouvelles crispations dans l'île. Cette possibilité relève d'une simple « lecture de la Constitution » et n'est « pas une intention », a-t-il assuré.
Emmanuel Macron veut donner priorité à un « accord global », incluant notamment l'avenir de la filière nickel, essentielle à l'économie de l'archipel, le corps électoral, la citoyenneté calédonienne ou encore l’exercice du droit à l’autodétermination. Il a laissé jusqu'à fin juin aux indépendantistes et non indépendantistes pour reprendre les discussions autour de cet accord global, qui devra être soumis au vote des Calédoniens.
Avec AFP