Regards d’Actu-Thani Mohamed Soihili, sénateur de Mayotte:«Il en va du développement de Mayotte, de faire en sorte que les compétences départementales et régionales soient enfin pleinement exercées»

Outremers 360 vous propose «Regards d’actu avec …». Une série dans laquelle nos invités livrent leurs regards, leurs analyses sur des faits d’actualités ou des thématiques qui marquent leur territoire. Ce dimanche, nous donnons la parole au sénateur Thani Mohamed Soihili. Dans cet épisode, le sénateur évoque l'opération Wuambushu actuellement en cours, la mission sur le foncier, la nécessité de clarifier les compétences régionales de Mayotte et ses perspectives pour les élections sénatoriales en 2024.

Opération Wuambushu

«L'opération Wuambushu a l'ambition de lutter activement, intensément contre l'insécurité, contre cette violence inouïe, de donner un coup d'accélérateur sur la destruction des bidonvilles et de donner aussi un coup d'accélérateur sur les reconduites à la frontière. Les reconduites à la frontière sont des records à chaque fois battus à Mayotte chaque année. L'année dernière, 60 % des reconduites à la frontière de la France se sont faites à partir de Mayotte. La destruction des bidonvilles ne sont réalisés que depuis 2017, à la suite de nos travaux ici à la délégation sénatoriale aux Outre-mer où nous avons émis des préconisations pour Mayotte et la Guyane afin de pouvoir détruire plus rapidement dans une procédure simplifiée administrative ces bidonvilles en Guyane et à Mayotte».

«Je tiens à souligner le courage du ministre de l'Intérieur d'avoir engagé cette action d'envergure et de l'avoir planifié. Nous, les élus mahorais, nous avons toujours demandé qu'il y ait une réponse à la hauteur des enjeux. Aujourd'hui, pour la première fois, je vois une action résolue, engagée, courageuse. Malgré les réactions, il y a de la détermination et nous, les élus mahorais et la population de Mayotte, savons gré à cette détermination du ministre de l'Intérieur».

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«Une rencontre a eu lieu entre les ministres de l'Intérieur et des Affaires étrangères français et leur homologue des Comores récemment. Il en est sorti une reprise des reconduites. Nous attendons cette reprise et espérons qu'elle ne sera pas encore interrompue par la mauvaise foi, parce que les Comoriens ont joué de la mauvaise foi et d'hypocrisie.

Des accords ont été conclus en 2019 entre les présidents de la République français et comorien. C'est sur la base de ces accords que les reconduites à la frontière sont effectuées.Dans ces accords, Monsieur Azali s'était engagé à lutter contre les trafics humains. Or, nous avons vu avec quelle facilité le président comorien s'est assis sur ces accords avec de l'hypocrisie, du chantage, en menaçant en des mots à peine voilés que la France allait connaître à Mayotte ce qui s'est passé au Sahel. 
Ce sont des méthodes vraiment scandaleuses que je ne peux que condamner, que j'ai eu l'occasion de condamner. J'espère qu'enfin que le président de l'Union des Comores, qui est aussi président de l'Union africaine, va enfin respecter sa parole».

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Problématique du foncier 

«Ces travaux sur le foncier me tiennent énormément à cœur parce qu'avant d'être élu, je savais dans le cadre de l'exercice de ma profession et dans mon engagement associatif, à quel point la problématique foncière posait souci à Mayotte et freinait le développement. En arrivant ici au Sénat en 2011, je me suis rendu compte assez rapidement que c'était une généralité dans tous les territoires d'outre-mer.
 C'est ainsi qu'avec les collègues de la délégation aux Outre-mer, nous avons entamé des travaux et émis un certain nombre de préconisations. Les dispositions propres à la Guyane et à Mayotte qui ont été insérées dans la loi ELAN pour détruire les bidonvilles, ce sont des dispositions directement inspirées de nos travaux ici. Le dernier texte en date à Mayotte, est un décret du 14 février de cette année, qui vient apporter une pierre supplémentaire à cet édifice qui consiste à dégager de plus en plus de foncier, afin de construire, afin d'implanter des écoles, des infrastructures, des hôpitaux, des logements».

«Il n'y a pas qu'une solution qui est mise en œuvre pour débloquer le foncier. Je viens d'évoquer celle de la loi ELAN qui n'a commencé à être appliquée qu'à partir de 2018. Puis il y a eu la crise du Covid et pendant ces deux années de crise, les choses ont été suspendues. Elles reprennent et une opération telle que Wuambushu est nécessaire pour venir donner un coup d'accélérateur.

Nous avons mis en place à Mayotte, la CUF, la Commission de l'urgence foncière, qui là aussi contribue énormément à débloquer le foncier en donnant la possibilité à des citoyens d'avoir des titres fonciers là où il n'y en avait pas. Les missions de la CUF sont prévues pour accélérer le déblocage du foncier et fournir un maximum de titres aux citoyens mahorais. On évalue à 80 000 titres qui resteraient à être délivrés. La CUF, qui doit laisser bientôt la place à un GIP, vient à peine de commencer ses travaux. Dans la loi, le dispositif est prévu pour durer dix ans. À mon humble avis, cette période devrait être prolongée, comme nous l'avons vu aux Antilles avec l'Agence des 50 pas géométriques, qui était initialement prévue pour un certain temps et qu'il a fallu proroger à plusieurs reprises. Tout le monde aimerait que cela aille plus vite, mais je rappelle qu'avant cela, s'agissant de Mayotte, les dispositions qui régissaient le foncier, étaient des dispositions datant de 1911 et qui n'ont cessé d'être appliquées qu'à partir de 2008». 

«La délégation aux Outre-mer du Sénat nous a confié, ma collègue du Gard, Vivette Lopez et moi, une autre mission sur le foncier, mais elle concerne cette fois-ci, le foncier agricole. Dans le prolongement de nos travaux, nous avons en charge cette mission. Nous nous sommes déplacés récemment en Martinique, où il y a une concentration à la fois de problèmes et de solutions potentielles. Dans le cadre de notre rapport, nous allons émettre des préconisations pour voir comment lutter contre la raréfaction des terres agricoles, et ce, à un moment où il est de plus en plus question d'autosuffisance alimentaire dans nos territoires. Les deux crises successives, à la fois du Covid et la crise actuelle induite par l'agression russe en Ukraine, montrent que nos territoires vivent en très grande partie, à 80 % pour certains d'entre eux, de l'importation. Elles doivent absolument, dans l'avenir, couper avec cette dépendance et produire de plus en plus localement. C'est pour ça que cette étude sur le foncier agricole est extrêmement importante». 

Développement de Mayotte par le biais de la formation

«Mayotte est un territoire en voie de développement. Nous sommes un département depuis 2011, là où les autres départements d'outre-mer sont constitués depuis 1946. Aujourd'hui, il est primordial de dégager non seulement des solutions, mais les bonnes solutions. Nous n'avons pas le droit de nous tromper! »

«Le développement de cette île passe d'abord par trouver une solution pour chaque jeune. Ça commence par la formation, par le début. Il faut intensifier la formation parce qu'on parle beaucoup de ces violences, de cette minorité de jeunes qui commettent des violences, mais il y a une immense majorité qui est là. Si nous ne faisons rien, ces jeunes sont là et vont être de plus en plus importants à tomber dans l'oisiveté, à tomber dans le non emploi, dans le chômage. Former en masse et adapter les formations en fonction des besoins du territoire.  Ne serait-ce que pour satisfaire les besoins de la population, beaucoup d'emplois et de métiers ne demandent qu'à être créés, notamment dans le tertiaire, dans l'agriculture. Dans tous les domaines, il faut intensifier la création d'emplois!»

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Clarification des compétences régionales et évolution institutionnelle

«Depuis des années, je milite avec d'autres élus pour que les compétences du département-région de Mayotte, le premier département-région avant la Corse, avant la Guyane, avant la Martinique, puissent s'affirmer. Ces compétences puissent vraiment être clarifiées sur deux points. Premièrement, que nous ayons un mode de désignation des élus du département-région qui soit plus proche du mode de désignation des régions que du département. Avec la situation actuelle, il n'y a pas un projet global qui unit l'ensemble des élus du département. Ce projet, il est constitué seulement après les élections, alors que la logique voudrait que pour piloter ce département région, il faille qu'au moment des élections, chaque liste puisse présenter un projet pour Mayotte, un cap vers lequel Mayotte doit tendre. C'est sur la base de ce projet que les élus de notre collectivité, département, région, doivent être désignés. Le deuxième point, est la conséquence du premier, c'est qu' à partir du moment où la collectivité de Mayotte exerce deux compétences à la fois départementale et régionale, 26 élus, ce n'est pas assez. Il est impératif que nous passions à 52 élus, c'est-à-dire de passer de deux élus par canton à quatre élus par canton. Ce serait vraiment le strict minimum pour pouvoir relever tous les défis de cette collectivité et pour pouvoir exercer toutes les compétences à la fois de région et de département.»

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«Nous ne demandons pas de changement à Mayotte. C'est là où il faut que les gens soient vraiment sereins. Je demande juste que ce qui a été accepté à plus de 95% en 2009 par les Mahorais soit appliqué. Les Mahorais ont voulu un département. À l'époque, la question qui avait été posée, c'est « Voulez-vous que la collectivité de Mayotte devienne une collectivité régie par l'article 73 de la Constitution qui exerce à la fois les compétences d'un département et les compétences d'une région ? ».

Aujourd'hui, force est de constater que seul le volet départemental est privilégié sans que ce volet aille jusqu'au bout, puisque, par exemple, le Code de la sécurité sociale ne s'applique pas intégralement. La phase régionale est ambiguë. Il y a des compétences régionales qui sont exercées, qui sont censées être exercées, mais nous restons dans de l'ambiguïté et beaucoup de ces compétences font l'objet d'un accompagnement de l'État. C'est bien que l'État accompagne, mais il serait mieux pour le bien du développement de cette collectivité que l'on sache exactement les compétences en matière régionale qui doivent être exercées par cette collectivité, avec les moyens, en dotation qui vont avec, et aussi les moyens en hommes et en femmes, en élus qu'il faudrait.»

Bilan des précédents mandats et sénatoriales 2023 

«Dans le cadre de ce deuxième mandat, je parlerai de cette disposition qui a été insérée dans la loi Immigration de 2018 pour limiter, pour adapter les conditions d'accès à la nationalité à Mayotte. Ce sont des dispositions, contrairement à ce qui est dit, qui ont commencé à produire des résultats certains, puisqu'elles font que globalement, la moitié des naissances de Mayotte ne vont pas profiter de la nationalité française. Maintenant, il faut développer le côté dissuasif de ces dispositions. Beaucoup de femmes, en provenance des Comores continuent à venir accoucher à Mayotte en espérant que leur enfant aura la nationalité française, mais ces femmes ne savent pas que çela ne marche plus. Cette campagne de dissuasion doit être menée vraiment de façon importante et intensive. Il faut aussi lutter farouchement contre les reconnaissances de complaisance, parce qu'il y a beaucoup d'hommes mahorais, qui reconnaissent des enfants qui ne sont pas les leurs, parfois moyennant paiement. En plus de violer la loi, ces personnes sont en train d'hypothéquer l'avenir de Mayotte, parce que toutes les dispositions qui tendent à limiter l'immigration clandestine sont mises à néant par de tels comportements».

«Tous ces travaux me tiennent beaucoup à cœur. Cela n'a pas été facile de les faire valider ici au Sénat et maintenant qu'ils sont lancés, naturellement, j'ai envie de les poursuivre parce que nous avons encore beaucoup d'années devant nous pour avancer dans ces domaines. Et moi, ces deux points ne sont ni exclusifs ni exhaustifs, mais qu'il s'agisse de la question de la clarification institutionnelle, ou la question de la poursuite du foncier, j'aimerais effectivement continuer à m'engager. »