L’Après en Outre-mer : Et maintenant ? par Anrifou Said, responsable d’une agence d’intérim à Mayotte

L’Après en Outre-mer : Et maintenant ? par Anrifou Said, responsable d’une agence d’intérim à Mayotte

Outremers360 vous donne la parole et partage le sentiment des acteurs socio-économiques des territoires d’outre-mer, à la veille de la période post-pandémie. Aujourd’hui, nous donnons la parole à Anrifou Said, Responsable de l’agence Proman Mayotte, entreprise majeure dans le domaine de l’intérim et des RH. 

Je m’appelle Anrifou Said, j’ai 33 ans, je suis marié, j’ai 2 enfants.

Je suis responsable de l’agence Proman Mayotte depuis sa création en fin 2017. Auparavant, j’étais cadre, chargé d’affaires dans le même groupe à l’agence Proman de Saint-Louis à La Réunion entre février 2017 et octobre 2017. J’ai été également responsable d’un pôle de développement commercial dans une structure d’insertion par l’activité économique à Mayotte.

Proman est une entreprise majeure dans le domaine de l’intérim et des RH. Le groupe est le premier acteur indépendant et le 4ème sur le marché du travail temporaire et du recrutement en France. Il est aussi présent dans 13 autres territoires (DROM, Monaco, Suisse, Angleterre, Belgique, Luxembourg, Portugal, États-Unis, Canada, Espagne, Pays-Bas, Pologne et Croatie).

L’agence de Mayotte est une filiale d’un groupe multinational qui pourra amortir le choc malgré une perte de 55% de son CA en mars et de 70% en avril.

Mais que dire des petits artisans de l’île et des PME qui n’ont pas la trésorerie nécessaire pour assurer les salaires de leurs employés ? Il faut savoir que notre activité dépend entièrement de celle de l’île et des besoins en main-d’œuvre pour la réalisation des chantiers dans le respect des délais imposés par les donneurs d’ordre.

Toutes les entreprises privées à Mayotte ont dû se mettre en arrêt complet d’activité à partir du 17 mars suite à la mise en confinement dû à l’épidémie de covid-19.

Nous nous sommes, nous également mis en chômage partiel et avons diminué le nombre de personnes en agence. Nous avons dû fermer celle-ci au public. Nous avons proposé un maintien à domicile à certains de nos salariés désirant garder leurs enfants, d’autres ont été placés en télétravail.

Depuis 2 mois, notre principale activité se concentre sur les relations avec nos clients et sur la préparation de la reprise de l’activité économique. Nous gardons le contact via une communication numérique et téléphonique avec nos intérimaires afin qu’ils ne se sentent pas abandonnés.

À cause de ce covid-19 la situation socio-économique à Mayotte s’est également dégradée en raison de l’insécurité et des tensions intercommunautaires qui viennent se rajouter à la situation épidémique catastrophique.  Le confinement et les gestes de sécurité ont été peu respectés. Chacun a pu être témoin de tensions importantes devant les stations d’essence et les points de vente de bouteilles de gaz, mais surtout, en début de confinement lors des distributions chaotiques de colis alimentaires qui ont provoqué de nombreux attroupements qui ont favorisé et accéléré la contamination.

L’exaspération des personnes confinées est grandissante. S’y ajoute l’insécurité touchant les biens et les personnes. L’immigration illégale se poursuit, l’émotion populaire est très vive. En témoignent les tensions relatées par les media et les réseaux sociaux.

Sur le plan économique, la situation est critique et particulièrement délétère pour le développement de l’île. Les niveaux de chômage étaient déjà très importants avant la crise sanitaire.  Chômeurs et inactifs souhaitent travailler, mais du fait de l’épidémie, les entreprises ne vont pas recruter et seront malheureusement contraintes à des licenciements pour raisons économiques.

Aux difficultés économiques liées au coronavirus se rajoutent les problèmes sociaux. Les conditions de logement particulièrement difficiles et insalubres pour les personnes d’origine étrangère favorisent la propagation du virus. Il est en effet difficile pour une famille de 5 personnes d’observer des gestes barrières dans une case en tôle de 20m² sous une chaleur de plomb.

On a tous observé une augmentation fulgurante du nombre de cas contaminé par le covid-19 ces 2 dernières semaines. Malheureusement cela ne va pas s’arranger : les structures sanitaires de Mayotte en font un « désert médical ». Et le pic épidémique n’est pas encore atteint, nous faisant craindre une véritable hécatombe.

Cela commence vraiment à me faire peur, de plus en plus chaque jour. Heureusement, ma famille est actuellement en métropole.  Cela me rassure car je ne l’expose pas, mais psychologiquement, c’est difficile de rester seul et isolé loin d’eux.

À cela se rajoute une absence d’interaction sociale qui n’a été supportable que durant les 2 premières semaines de confinement, mais une véritable psychose s’est installée au bout de la troisième semaine.  Tout ce qui déstabilise nos repères temporels, sociaux ou économiques fait monter notre niveau d’angoisse, notre anxiété, voire des insomnies et une grande colère devant certaines personnes qui ne respectent pas le confinement. On retrouve cette colère sur les réseaux sociaux.

Personnellement je trouve que ce confinement a assez duré, je suis épuisé. Je suis habituellement dynamique mais je vis très au ralenti ces dernières semaines. J’ai perdu mes réflexes habituels, tant au niveau personnel que professionnel.

Honnêtement, je pense qu’avec la mise en place de dispositifs de soutien aux entreprises et de mesures d’urgence sanitaire spécifiques au contexte mahorais et dans un climat social plus apaisé, on pourrait enfin sortir de ce confinement et l’économie de Mayotte pourrait à nouveau s’inscrire dans une dynamique de reprise positive.

Anrifou SAID