INTERVIEW. Thierry Suquet, préfet de Mayotte : « On a des moyens (…) il faut qu’on les utilise bien »

INTERVIEW. Thierry Suquet, préfet de Mayotte : « On a des moyens (…) il faut qu’on les utilise bien »

Invité par Patrick Millan le temps de l’émission CQFD diffusée hier matin dans la matinale de KweziTv, le préfet de Mayotte Thierry Suquet s’attardait sur deux sujets particulièrement prégnants dans le 101ème département : la sécurité et l’immigration clandestine. Une interview de nos partenaires KweziTV et France Mayotte Matin.

FMM : Est-ce que vous pouvez nous parler de votre expérience en termes de sécurité, et comment vous allez pouvoir mettre cette expérience au service de la lutte contre la délinquance ?

Thierry Suquet : Avant de venir à Mayotte, j’étais préfet délégué défense et sécurité à Lyon. C’est un mot très long pour désigner un préfet de Police qui n’a pas l’autonomie d’un préfet de police comme à Paris où à Marseille, mais qui gère exactement les mêmes sujets. Donc tous les jours à Lyon je me suis occupé de la lutte contre la délinquance, la lutte contre les violences urbaines, du démantèlement des points de stupéfiants et des deals. Pour ça on s’est appuyés d’abord sur une présence régulière de la police et de la gendarmerie, on a partagé des diagnostics avec quelques mairies sur les points primordiaux, là où il fallait qu’on soit, là où c’était important, là où ça allait être perçu par les habitants.

Parce que là notre problème, c’est que la police et la gendarmerie sont présentes toutes les nuits (ndlr, à Mayotte), toutes les nuits. Je lis les compte-rendu : on s’interpose pour éviter des violences, on sauve des gens, on élucide des affaires, on trouve des responsables. On a beaucoup de mal à faire passer ce message. Et pour que ça passe, il faut qu’on aille sur des endroits stratégiques, là où on a vraiment besoin et là où on va le faire savoir. C’est pour ça que ce que je dis depuis que je suis arrivé, c’est que ce n’est pas seulement une question de moyens. Il faut qu’on tourne le problème dans l’autre sens. On a des moyens, ils sont importants, il faut qu’on les utilise bien. Et quand on utilise bien nos moyens, on a tendance à les voir se renforcer parce qu’on est bons et qu’on a des résultats. C’est ça l’expérience de préfet de police, et c’est ça que je voudrais aujourd’hui partager sur le territoire. 

Pour le moment je le dis avec beaucoup de modestie, je ne suis là que depuis 72heures, évidemment j’ai rencontré les forces de l’ordre depuis mon arrivée, je l’ai fait dès dimanche soir, je n’étais pas encore en fonction que j’avais déjà rencontré la LIC. Je vais continuer, on va faire ces diagnostics, par exemple ce travail de partenariat avec les collectivités sur le champ de la prévention. C’est quelque chose que j’ai vu, partagé avec les maires, avec le président du Département sans aucune difficulté. Donc ça, la continuité des pactes de sécurité, on va y aller à fond. 

Donc pour vous la sécurité qu’il faut mettre en place ici à Mayotte c’est le même type de sécurité, donc le même type de délinquance qu’on retrouve en métropole, ou vous faites une différence ? 

Je n’ai pas dit ça, j’ai dit que pour le moment il fallait vraiment qu’on partage le diagnostic. J’ai une expérience, une expérience qui a réussi à Lyon, une méthode qu’on mettait en place, maintenant une nouvelle fois avec les élus on a partagé un certain nombre de choses, demain il faut qu’on rentre dans le détail, dans les diagnostics, il faut aussi que j’apprenne de ce territoire, et je viens pour apprendre comment fonctionne l’île.

Quels vont être les moyens de réaliser cette feuille de route ? Selon vous, l’augmentation des moyens n’est pas forcément nécessaire, vous évoquez une réorganisation, un redéploiement, ce sera suffisant ?

On a mis des moyens importants, qu’on a pu mesurer, j’ai fait le point, je n’ai pas vu que le ministre des Outre-mer avant de partir, j’ai été au cabinet de Gérald Darmanin, on a regardé les effectifs qui avaient été mis en place, les efforts qui avaient été faits, et les engagements qui ont été pris. Ils ont été tenus et aujourd’hui on a des moyens. Alors avant d’en demander de nouveaux (...), on va travailler avec les renforts qui sont arrivés, on a besoin déposer le diagnostic, de réfléchir à la méthode tout en étant présent comme on le fait toutes les nuits, on ne s’arrête pas en cours de route. (...) On est dans ce schéma.

D’abord on va travailler avec les renforts qu’on nous a donné pour améliorer la situation, et je vous le dis une nouvelle fois : retournons-les choses. Quand on aura bien travaillé, qu’on va montrer des résultats... Quand on appelle des résultats, on a tendance à avoir des moyens de plus, en tout cas c’est la méthode Darmanin. Elle consiste à donner à ceux qui ont parce que c’est là qu’on sera efficace.

Côté immigration, impossible d’éluder le sujet. C’est notre quotidien ici à Mayotte, est-ce que là aussi vous avez une idée de la manière dont on peut arriver, enfin, à contrer cette immigration irrégulière ?

On a les intercepteurs qui sont arrivés, on a les moyens aériens, les moyens aériens il nous reste à les pérenniser mais on y travaille déjà, et c’est une des premières missions concrètes sur lesquelles je suis. Ce qu’il faut bien comprendre aujourd’hui c’est que 4 kwassas sur 5 ne rentrent pas à Mayotte : soit ils sont interceptés, soit ils font demi-tour.

C’est une réalité et c’est trois fois plus qu’en 2019. De la même façon le nombre de gens qui sont interceptés en mer, c’est 3 500 sur les six premiers mois de l’année, c’est 2 à 3 fois plus que 2019, et sur les retours on est là aussi sur des chiffres qui sont sensiblement les mêmes que ceux de 2019, la dernière année de référence. On voit que là-dessus aussi on a récupéré des moyens et qu’on a changé de dimension d’efficacité, c’est très symbolique mais qu’on ait eu un sous-préfet en charge de la lutte contre l’immigration irrégulière et clandestine, c’est quand même un signe. (...) Donc là on continue sur le même schéma, approfondir le sillon. Je crois beaucoup que ce qui est efficace c’est de revenir sans arrêt.

Face aux différents types d’immigration, issus de l’Afrique des Grands Lacs ou encore de Madagascar, il y a des gens pour qui Mayotte terre française sera le moyen de demander l’asile politique. On nous explique aussi que la France, donc la préfecture, va devoir financer le billet d’avion qui va permettre aux demandeurs d’asile d’aller en métropole pour défendre leur dossier OFPRA. Info ou intox ?

Aujourd’hui on a un certain nombre d’entretiens OFPRA qui se font par visio-conférence. Alors le droit d’asile, c’est un droit inaliénable. Quand on fait une demande de droit d’asile, elle doit être étudiée. Le problème c’est comment on le fait vite, comment on le fait bien, comment on élimine très rapidement les histoires stéréotypées, et comment très vite le débouté du droit d’asile repart soit dans son pays d’origine soit dans le pays par lequel il est arrivé. Pour nous l’enjeu il est là. Il n’est pas prévu qu’ils aillent en métropole, non. 

On est en train de travailler sur les étrangers en situation irrégulière, on va donner des priorités sur des renvois individuels de ceux par exemple qui sont des délinquants, et qui causent des troubles graves à l’ordre public. Ça c’est une vraie priorité par exemple, que quelqu’un qui est un délinquant ne puisse pas rester sur le territoire national quand il est en situation irrégulière, ce n’était pas quelque chose de gagné, on avait des habitudes qui font que cela trainait. L’objectif c’est de raccompagner, les directives ministérielles sont claires, j’ai un mandat avec mes équipes pour mettre ça en œuvre.

Une centaine de cartes de séjour ont été enlevées à certaines personne qui étaient en situation régulière mais qui se sont mal comportées sur notre territoire, est-ce que c’est le début d’un processus, ou une vision de l’ancien préfet ?

C’est le début d’un processus, c’est la suite de ce que je viens de vous dire. Si vous ne vous comportez pas bien sur le territoire français, vous n’avez aucune raison de rester. La France peut avoir besoin d’accueillir des travailleurs étrangers. Par contre si vous ne respectez pas les valeurs républicaines, si vous êtes un délinquant, si vous ne vous comportez pas bien, vous n’avez aucune raison de rester sur le territoire. Là aussi c’est une politique nationale, mon prédécesseur avait commencé à la décliner à Mayotte, je vais la poursuivre. 

Propos transcrits par Mathieu Janvier pour France Mayotte Matin.