INTERVIEW. Protéger le lagon de Mayotte et ses résidents à tout prix

Le Parc Naturel Marin de Mayotte englobe le lagon, les eaux territoriales et la ZEE de Mayotte soit près de 69 000 km2 (photo DR)

INTERVIEW. Protéger le lagon de Mayotte et ses résidents à tout prix

Fin août, alors que la saison des baleines bat son plein sur le territoire de Mayotte, le Parc naturel marin organisait une journée de sensibilisation quant à l’approche des mammifères marins. La réglementation a en effet évolué et l’instance souhaite que personne n’ignore les bonnes pratiques qui permettront de protéger et de préserver ce qui fait toute la richesse de la biodiversité à Mayotte. L’occasion également pour Annabelle Djeribi, directrice déléguée adjointe, Naomi Scholten, chargée de mission Connaissance des écosystèmes marins, et Mathieu Rivière, animateur des activités de loisirs nautiques, de faire le point sur les opérations en cours et à venir. 

Outremers360 : Pourquoi en 2022, est-il encore nécessaire de faire de la sensibilisation sur les bonnes pratiques à avoir en mer ? 

Mathieu Rivière : Beaucoup de ceux qui partent en mer avec des prestataires sont issus du milieu de l’enseignement ou médical. Ce sont des jeunes qui restent entre 6 mois et 2 ans, aussi il y a toujours un besoin de sensibiliser. C’est ce qu’on fait en allant sur les pontons de Petite et Grande-Terre.

Annabelle Djeribi : D’autant qu’il y a une nouvelle réglementation nationale depuis 2020 : l’approche des mammifères marins est interdite à moins de 100 mètres. Seuls 2 navires maximum sont autorisés dans la zone des 300 mètres. Enfin, la vitesse est limitée à 5 nœuds dans cette zone. 

Mathieu Rivière (à gauche), Annabelle Djeribi (au centre) et Naomi Scholten (à droite) - DR

Naomi Scholten : Les gens comprennent la réglementation, mais ils ont des difficultés à la mettre en place. Ils ne se rendent pas compte de l’impact sur les mammifères marins. Pourtant, si les 17 prestataires qui sont sur l’eau chaque jour se focalisent sur le même groupe de dauphins par exemple, cela impact la santé des animaux. C’est difficile à observer le premier jour, mais cela se voit avec le temps. Il y a un effet cumulatif. 

Comment qualifier cette saison des baleines ? 

Naomi Scholten : C’est une très bonne saison. Elle a commencé tôt et devrait se finir à la mi-octobre. En termes d’observations, la fréquentation est assez importante, par rapport aux dernières années. On a observé une trentaine d’individus. 60 % de ces observations correspondent à des couples mères - baleineaux. C’est un chiffre très élevé qui nous permet d'affirmer que Mayotte est un site pour la mise-bas et l’élevage des petits. Ce n’est pas le cas dans le reste de la région. L’une de nos actions à venir va consister à photographier des caudales des baleines à bosse pour les identifier car on sait que ce ne sont pas les mêmes qui reviennent. Sur les 1170 individus identifiés, une étude a démontré qu’elles ne sont que quatre à être revenues sur les 10 dernières années. 

Comment se porte le lagon ? 

Naomi Scholten : il y a des actions qui nous permettent de savoir que le milieu se dégrade. C’est pour cela aussi que nous insistons sur la sensibilisation en mer, mais également sur terre. On essaye de proposer des solutions, pour réduire la pression, avec la mise en place des dispositifs de concentration de poissons pour les pêcheurs par exemple. Il y a également la mise en place de nouveaux dispositifs d’amarrage pour éviter d’ancrer sur des lieux interdits ou peu propices. De manière générale, les espèces qui migrent sont plus ou moins protégées des pressions côtières. Les espèces résidentes ou semi-résidentes subissent différentes pressions à l’origine de la dégradation des populations. Il y a les problématiques de pêche, mais aussi le blanchiment des coraux… Par exemple, des Tursiops présentent des maladies de peau qui sont liées à la mauvaise qualité de l’eau. Avec la croissance démographique, ces populations sont particulièrement vulnérables. L’un de nos objectifs est d’actualiser les cartes que nous possédons, concernant les zones de fréquentations de ces espèces : savoir s’il y a eu des changements de comportement, pourquoi, comment elles utilisent les habitats. Quels sont leurs comportements de reproduction, de repos, et de sociabilisation ? Plus on aura d’informations et plus on pourra apporter des solutions.

De quels moyens disposez-vous pour mettre en place vos actions ? 

Annabelle Djeribi : Nous disposons de deux embarcations avec un personnel compétent pour naviguer. Le Parc naturel Marin de Mayotte, c’est environ une quarantaine d’agents. Certains d’entre eux sont assermentés et commissionnés pour l’inspection de l’environnement, si nous devons user de moyens répressifs. Nous avons également un réseau d'hydrophones qui nous permet de suivre les populations aux 4 coins de l’île. Les données collectées sont importantes à plusieurs niveaux : elles nous permettent notamment d'étudier l'impact des sons d'origine humaine sur les espèces marines. On peut faire d’autre types de suivis grâce à l’ULM. 

Quels sont les futurs gros chantiers ? 

Annabelle Djeribi : Lors de la saison des pluies dernière, nous avons fait installer des filets anti macrodéchets sur deux sites de l’île, à Pamandzi et Koungou. Il va y en avoir une dizaine de déployée un peu partout sur l’île, cette année. Cette opération s’inscrit dans le cadre du plan France Relance. Ces filets permettent de retenir les déchets acheminés par les flux d’eau dans les rivières ou les réseaux d’eaux pluviales. 

Les agents à bord du semi-rigide Mtsunga - DR

Naomi Scholten : Dans ce que nous récupérons, il y a des déchets solides, de l’électroménager, mais c’est surtout la terre qui est en grande quantité. L’érosion est un autre problème. D’autres actions sont prévues pour améliorer nos connaissances et agir en proposant des solutions. Nous allons continuer nos actions de sensibilisation et de communication, dans les écoles notamment. Il y a aussi ce projet à l’échelle nationale d’identification des grandes routes maritimes pour identifier les zones à enjeux. Il y a également des projets communs à la région du Sud-ouest de l’océan Indien. 

Annabelle Djeribi : Nous continuons de porter cette vision à long terme de la protection de la biodiversité et du développement durable suite au Plan de gestion adopté par le Conseil de gestion en 2012 pour les 15 prochaines années. 

Propos recueillis par Abby Said Adinani

Géolocalisation des sites concernés pas les filets anti macrodéchets