TRIBUNE. Présidentielle 2022 : Être démocratiquement élu n’autorise pas à méconnaître la Constitution !

©Outemers360 / Conseil constitutionnel

TRIBUNE. Présidentielle 2022 : Être démocratiquement élu n’autorise pas à méconnaître la Constitution !

Dans une tribune publiée dans la presse régionale et adressée à Outremers360, treize professeurs de Droit public, dont le Réunionnais Ferdinand Mélin-Soucramanien, et une Directrice de recherche du CNRS, dénonce la révision de la Constitution proposée par la candidate Marine Le Pen, qui souhaite « notamment (…) introduire le principe de la préférence nationale » en utilisant l’article 11. « Or, cet article (…) n’est pas prévu pour réviser la constitution », préviennent-ils, estimant qu’il « ne serait certainement pas un bon signe pour la démocratie que le premier acte d’un président de la République soit de violer la constitution ».

Le premier devoir démocratique d’un président élu est de respecter la constitution même et surtout s’il veut la changer. Les constitutionnalistes soussignés sont inquiets d’entendre la candidate arrivée en seconde position le 10 avril 2022 annoncer qu’élue présidente de la République elle ferait réviser la constitution, notamment pour y introduire le principe de la préférence nationale, en utilisant l’article 11 de la constitution. Or, cet article ne l’autorise pas ; il n’est pas prévu pour réviser la constitution.

Revient l’exemple du général de Gaulle qui, en 1962, l’a utilisé pour faire modifier par le peuple le mode d’élection du chef de l’État. Mais c’est oublier qu’à l’époque la quasi-unanimité des juristes, le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel lui ont fait savoir qu’il ne respectait pas la constitution en faisant usage de l’article 11 pour opérer une révision constitutionnelle. Il en serait de même aujourd’hui si un président voulait réutiliser cet article pour réviser la constitution. Avec une différence importante : le Conseil constitutionnel a jugé en 2000 et 2005 que l’article 60 de la constitution, qui lui donne mission « de veiller à la régularité des opérations de référendum », implique qu’il contrôle la constitutionnalité du décret le prévoyant.

Et, en l’espèce, reprenant son argumentation de 1962, le Conseil constitutionnel ne pourrait que rendre une décision déclarant contraire à la constitution l’utilisation de l’article 11 pour réviser la constitution. Et, selon l’article 62 de la constitution, une décision du Conseil s’impose « aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ». On ne peut imaginer qu’un président de la République, garant du respect de la constitution, passe outre une décision du Conseil.

Ce n’est pas dire qu’un président nouvellement élu ne peut pas faire modifier la constitution. Valéry Giscard l’a fait en 1974, Jacques Chirac en 1995, Nicolas Sarkozy en 2008. Mais ils ont tous utilisé le seul article inscrit dans le titre XVI de la constitution et clairement intitulé « De la révision de la constitution », l’article 89. Celui-ci prévoit qu’un projet de révision doit d’abord être voté en termes identiques par l’Assemblée nationale et le Sénat et ensuite être ratifié obligatoirement par référendum si l’initiative de la révision vient du Parlement, par le Congrès ou le référendum si l’initiative vient de l’Exécutif.

Une Constitution n’est pas une loi ordinaire. C’est la loi des lois comme disent les juristes, celle qui pose le mode de fabrication des lois. D’où une procédure de révision différente et plus exigeante que celle qui existe pour les lois ordinaires. Ce ne serait certainement pas un bon signe pour la démocratie que le premier acte d’un président de la République soit de violer la constitution.

Les signataires :

Philippe Blachèr, Professeur de droit public à l’Université de Lyon 3

Julien Bonnet, Professeur de droit public à l’Université de Montpellier

Emmanuel Cartier, professeur de droit public à l’Université de Lille

Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l’Université de Lille

Thierry Di Manno, professeur de droit public à l’Université de Toulon

Pierre-Yves Gahdoun, professeur de droit public à l’Université de Montpellier

Fabrice Hourquebie, professeur de droit public à l’Université de Bordeaux

Anne Levade, professeur de droit public à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne

Pierre de Montalivet, professeur de droit public à l’Université de Paris-Est

Ferdinand, Melin- Soucramanien, professeur de droit public à l’Université de Bordeaux

Xavier Philippe, professeur de droit public à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne

Dominique Rousseau, professeur émérite de droit public à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne

Catarina Severino, professeur de droit public à l’Université de Toulon

Marthe Stefanini, directrice de recherche au CNRS, Université d’Aix-Marseille