Gestion locale des déchets, décentralisation de l'Etat, financement des collectivités locales, les maires des Outre-mer ont évoqué ce lundi 21 novembre les difficultés auxquels ils sont confrontés dans l'exercice de leurs fonctions devant le président du Sénat Gérard Larcher, le président de la délégation sénatoriale aux Outre-mer Stéphane Artano et les sénateurs ultramarins.
Les maires des Outre-mer ont pu échanger sur leurs préoccupations quotidiennes de manière «franche et directe» durant plus de trois heures avec les sénateurs. Le président du Sénat Gérard Larcher, à l'initiative de cette rencontre avec les maires des Outre-mer depuis 2019, a précisé qu'il s'agit « d'un moment privilégié qui donne l'occasion aux maires ultramarins d'entendre, d'échanger sur de nombreux sujets». « Nous voulions transmettre un message de disponibilité du Sénat au moment où nous allons revoir les questions institutionnelles. Nous savons que c'est un sujet important avec des demandes différentes d'un territoire, d'une collectivité à une autre. C'est la disponibilité que nous avons pour regarder au travers de chacun des projets ou propositions de loi avec des regards qui soient plus attentifs aux Outre-mer, que nous ayons une vision moins centralisée», indique Gérard Larcher au micro de Outremers360.
Lors de son discours introductif, Gérard Larcher a interpellé sur les contrats de redressements Outre-mer (COROM). « C'est un dispositif essentiel en raison de la situation financière de certaines collectivités locales». Il a plaidé pour un rallongement de crédits dans le budget de l'Outre-mer.
Le président du Sénat a également insisté sur le fait que le groupe de travail institutionnel du Sénat travaille sur des propositions qui seront rendues au premier semestre 2023. «C'est notre rôle d'anticiper pas uniquement sur les questions statutaires car ce n'est qu'un outil au service des populations. Il y a une nécessité d'avoir des normes adaptés.(...) Nous devons renforcer le pouvoir réglementaire local, principal outil de différenciation locale. L'enjeu est de libérer les énergies locales»
Lors de la première table ronde consacrée aux problématiques de gestion locale, divers sujets ont été abordés comme les questions du logement, des finances communales, des risques naturels et ou encore la gestion des déchets. Jocelyn Sapotille, maire du Lamentin (Guadeloupe) et président de l'Association des Maires de Guadeloupe a mis en exergue l'absence d'outils adaptés pour permettre le développement économique des territoires. «Nous avons des ressources mais nous ne disposons pas des outils pour mieux développer nos territoires. Nous souffrons de besoins primaires qui ne sont pas assouvies : sécurité, problèmes de logements, problèmes d'eau», a-t- il précisé.
Son homologue de Mayotte, Madi Madi Souf, président de l'Association des maires de Mayotte a rappelé de son côté que le poids des difficultés de rattrapage, de sécurité, d'infrastructures sur la gestion des communes de Mayotte. Le Maire de Sada, Houssamoudine Abdallah a indiqué que « Mayotte se trouve déstabilisée dans ses politiques publiques par une forte immigration clandestine. Nous avons besoin de Plan Marshall a Mayotte».
La sénatrice de La Réunion Nassimah Dindar a rappelé : «Nous travaillons collectivement au sein de la délégation mais aussi au sein de l'Hémicycle pour faire avancer les problématiques ultramarines. Les Outre-mer restent encore méconnus. Il n'y a pas de vision pluriannuelle pour les collectivités locales ultramarines » avant de rappeler que l'engagement du Sénat à être aux côtés des collectivités ultramarines.
Signe de l'engagement des sénateurs ultramarins auprès des communes, le sénateur de la Guyane Georges Patient a annoncé que les contrats COROM vont bénéficier d'une enveloppe supplémentaire de 30 millions d'euros mais aussi que le montant du Fonds exceptionnel d'investissement sera également revu à la hausse. De son côté, la sénatrice de la Guadeloupe Victoire Jasmin a souligné que « 80% des 100 propositions émises dans le rapport Risques naturels Outre-mer ont été exécutés».
La seconde séquence de dialogue avec les élus ultramarins s'est poursuivie autour de la thématique du débat sur les souhaits d'évolution institutionnelle. Micheline Jacques, la sénatrice de Saint-Barthélemy, vice-présidente de la Délégation aux outre-mer a présenté le travail précurseur mené par son prédécesseur Michel Magras sur la différenciation territoriale et fait le point sur les auditions de la délégation.
Dans un contexte où se dresse la perspective d’une prochaine révision constitutionnelle sur le prochain statut de la Nouvelle-Calédonie en 2023 et l’appel de Fort-de-France du 17 mai 2022, les élus ultramarins ont mis en avant leurs attentes mais aussi leurs différences.
Ainsi, Michel-Ange Jérémie, maire de Sinnamary et Président de l'association des maires de Guyane a rappelé que la question de l'évolution du statut de Guyane est une requête amorcée depuis plus d'une décennie.« Nous sommes un territoire sud-amazonien et sud-américain mais nous sommes régis par des normes françaises et européennes », soulevant la question de l'adaptabilité des normes aux réalités du territoire, ajoutant qu'il s'agissait d'une « impérieuse nécessité » pour le territoire.
Le Sénateur de Mayotte Thani Mohamed Soihili a indiqué pour sa part que Mayotte est loin de ces revendications institutionnelles et statutaires. « L'évolution statutaire fait peur aux Mahorais», a-t-il avancé tout en précisant que le territoire est avant tout dans une démarche de parfaire son statut de département.
Édouard Fritch, Président de la Polynésie, également présent à cette rencontre a livré l'expérience de la Polynésie sur l'autonomie.Le président du Pays a martelé que « la quête de l’autonomie c’est la quête de notre développement. C’est de pouvoir centrer les préoccupations politiques et de gestion sur la vie quotidienne des Polynésiens. ». Si Edouard Fritch a souligné son opposition à une fusion des articles 73 et 74, il a souhaité en revanche que l’article 74 de la Constitution, qui consacre le principe de spécialité législative et d’autonomie des collectivités d’outremer, puisse être modifié afin de conférer aux lois de Pays de la Polynésie française une valeur législative comme c’est le cas en Nouvelle-Calédonie, reconnaître le fait nucléaire et ses impacts ou encore renforcer la capacité de la Polynésie française à passer des accords internationaux avec les pays du Pacifique.
Toujours sur un volet institutionnel, et polynésien, les maires des îles Marquises ont défendu leur projet de création d’une Communauté des îles Marquises, passant notamment par l’inscription de cet archipel dans la Constitution. Joseph Kaiha, maire de l’île de Ua Pou et vice-président de la Communauté de communes des Marquises (CODIM) a plaidé qu'a travers « cet communauté d'archipel, les Iles Marquises éloignés de 1500km de Papeete, puisse leur permettre de prendre des décisions adaptées à la réalité de leur archipel et disposer d'une autonomie vis-à-vis de Papeete».Un projet pour lequel le Sénateur Teva Rohsfritch s'est dit favorable et appelle également de ses voeux. Il a assuré du soutien Sénat pour faire avancer cette demande.
Le Président de l'Assemblée de la Collectivité territoriale de Martinique, Lucien Salibert est intervenu sur les enjeux de la mise en place d'un Congrès des élus à la Martinique pour faire évoluer les institutions. « Dans les relations avec certains services déconcentrés de l’Etat, nous avons l’impression d’être infantilisée. Nous voulons rester dans le cadre français et européens mais nous voulons disposer une égalité des droits, obtenir un droit à l’initiative, un droit de décision local, un droit à l’expérimentation dans certaines politiques».
Serge Hoareau, président de l'Association des Maires de La Réunion et Jocelyn Sapotille ont partagé l'idée auprès des sénateurs, de mettre en place une boite à outils dans un dispositif législatif permettant à chaque territoire de « pouvoir disposer du cadre normatif correspondant le mieux à ses réalités et besoins.»
En conclusion, le président de la délégation aux outre-mer Stéphane Artano et Micheline Jacques, co-rapporteurs ont résumé le fil conducteur de ces échanges : «ouvrir grand le champ des possibles, sans rien imposer.»