Arrivé en fin de semaine à Tahiti-Faa’a, ce Golden retriever de deux ans est le premier « chien d’assistance judiciaire » de Polynésie française. Confié à l’Apaj, il doit accompagner les mineurs victimes de violences physiques et sexuelles dans leurs auditions par les forces de l’ordre, les magistrats ou lors du procès. Cette présence, qui a prouvé ses bienfaits à l’étranger, le ministère de la Justice veut la généraliser en France. Mais la liste d’attente est longue : si Ukyo, qui a récemment officié auprès des victimes du pédo-criminel Joël Le Scouarnec, a été envoyé en Polynésie, c’est parce que les faits de violences sur mineurs y sont fréquents. Explications de notre partenaire Radio 1 Tahiti.
Accompagner les victimes et leurs proches dans le processus judiciaire. C’est une des missions de l’Association Polyvalente d’Actions Socio-Judiciaires, l’Apaj, qui bénéficie depuis jeudi soir d’un nouvel atout à quatre pattes pour la remplir. Ukyo, un Golden retriever de deux ans, a débarqué à Tahiti-Faa’a avec deux de ses formatrices du centre breton de Handi’chiens.
Cette association nationale n’en est pas à sa première livraison de canidé spécialisé : en plus de trente ans d’existence, elle a dressé et formé quelques 3500 chiens à l’assistance de personnes handicapées, à l’éveil d’enfants touchés par une trisomie ou un trouble autistique, à l’apaisement de patients dans des établissements médico-sociaux… Ou, depuis plus récemment, à l’assistance judiciaire.
L’idée est simple : beaucoup de victimes, notamment les plus jeunes, ont des difficultés à traverser les longues procédures judiciaires ou à se livrer auprès des enquêteurs et magistrats qui travaillent sur leur dossier. La présence d’un chien permet souvent de les rassurer.
Une convention nationale, mais un déploiement à petit pas
Le concept est appliqué depuis longtemps dans certains pays comme les États-Unis et surtout le Canada, où des études ont montré la faculté de ces chiens à faire baisser l’anxiété voire la tension et le rythme cardiaque des victimes lors des phases difficiles de leur parcours.
En Europe, c’est la France qui a ouvert la porte aux chiens d’assistance judiciaire (CAJ), en 2019, sous l’insistance de certains magistrats et associations. En 2023, le ministère de la Justice, alors dirigé par Éric Dupont-Moretti, se laisse convaincre et signe une convention avec Handi’chiens, la SPA et la fédération France Victimes, dont l’Apaj est membre, pour généraliser la présence de ces rassurants canidés dans l’ensemble des cours et tribunaux du pays, au travers des structures d’aide aux victimes.
Un déploiement qui, dressage et fonds limités obligent, prend du temps : une vingtaine de ces « CAJ » sont aujourd’hui en activité, et sont généralement mobilisés dans les affaires les plus sensibles. Dix d’entre eux étaient par exemple présents au palais de justice de Vannes le mois dernier où s’est tenu le procès en appel de Joël Le Scouarnec.
Cet ex-chirurgien a été condamné à 20 ans de réclusion pour viols et agressions sexuels sur 299 victimes, dont certaines avaient demandé à être assistées par des chiens pendant les douloureuses auditions et lectures de dépositions au tribunal. Parmi eux, on trouvait Ukyo, alors en fin de formation. Toujours propriété de Handi’chiens mais désormais officiellement confié à l’Apaj et à deux « référents » de l’association, il s’apprête à devenir le premier chien d’assistance judiciaire de Polynésie. Et le tout premier affecté de façon permanente en Outre-mer.
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Limiter l’angoisse, libérer la parole
Une satisfaction pour directrice de l’Apaj Cécile Moreau qui doit présenter cette nouvelle recrue dans les jours à venir aux représentants des magistrats, avocats, ou des forces de l’ordre de Polynésie. Ce sera ensuite à lui de faire ses preuves, mais la responsable a peu de doutes : « Les victimes mineures, lorsque le chien est présent lors des auditions, ont plus de facilité à parler, elles se sentent généralement rassurées par la présence du chien, qui fait office de calmant, en quelques sortes, et elles arrivent à répondre plus facilement aux questions qui leur sont posées par les magistrats, ou les policiers et gendarmes ».
Vu la quantité de victimes qui s’adressent à l’Apaj -plus de 4 200 l’année dernière- Ukyo sera principalement dédié à l’accompagnement des mineurs victimes de violences physiques ou sexuelles, lors de leurs auditions par des officiers de police judiciaire ou des juges d’instruction, mais aussi, pourquoi pas, à l’occasion du procès de leurs agresseurs.
État, Pays, magistrats, compagnie aérienne… De la bonne volonté de tous les côtés
Si la directrice se félicite de cette arrivée, c’est aussi qu’il a fallu un long travail, et une certaine ténacité, pour faire venir Ukyo. D’abord parce que la formation des chiens d’assistance est longue : 22 mois en moyenne chez Handi’chiens, qui doit honorer, en plus des « commandes » judiciaires, celle de ses autres bénéficiaires dans le milieu du handicap ou le secteur médico-social.
Ensuite parce que ces chiens, une fois formés grâce au soutien financier de l’État -le dressage de ces animaux spécialisé coûte en moyenne deux millions de Fcfp- sont très demandés dans les différentes juridictions françaises. L’Apaj, qui a formulé ses premières demandes avant la signature de la convention nationale, alors que les « CAJ » n’était qu’un programme pilote, s’est appuyé à la fois sur le soutien de l’ensemble des acteurs polynésiens, et sur les statistiques toujours aussi inquiétantes des violences intrafamiliales en Polynésie.
« On a insisté sur l’importance du nombre de victimes mineurs en Polynésie. Et il a fallu monter plusieurs dossiers, suivre différentes formations, présenter toute l’organisation qu’on voulait mettre en place. On a eu évidemment le soutien de plusieurs magistrats de la cour d’appel de Papeete, qui ont appuyé sur le sérieux dont on fait preuve au quotidien dans l’accompagnement des victimes », reprend la directrice de l’association. « On a eu une réponse positive en décembre, et ça nous a pris encore plusieurs mois et l’aide de plusieurs partenaires, dont le gouvernement de la Polynésie française pour faire venir ce chien ».
Car l’autre difficulté qu’a rencontré l’Apaj, c’est la réglementation très stricte sur le transport d’animaux vers la Polynésie, et son manque de dispositions adaptées aux chiens d’assistance. « Il faut aussi remercier Air Tahiti Nui, qui a fait en sorte de faciliter les choses », précise Cécile Moreau. Les formatrices hexagonales de Ukyo, qui repartiront bientôt vers la Bretagne, et ses deux nouveaux référents locaux, ont aussi pu constater que les espaces publics de Polynésie avaient souvent des règles qui excluent ce genre d’animaux de service, pourtant dressés pour accompagner leur maître en toute situation.
Charlie René pour Radio 1 Tahiti
Avant Ukyo en Polynésie, Tandem en Guyane
En juin dernier, Tandem, Golden Retriever de 3 ans, avait été affecté en Guyane pour assister une fratrie de cinq enfants, dont quatre mineurs, victimes de violences intrafamiliales. Mais contrairement à la Polynésie française, l’arrivée de Tandem en Guyane était une expérimentation. Le déploiement d’un CAJ sur le territoire sud-américain est prévu pour 2026, si le budget du Tribunal judiciaire de Cayenne le permet, entre autres.
Dans un registre plus « police », la Direction territoriale de la Police nationale de Fort-de-France bénéficie, depuis début 2025, des services d’Oscar, un chien de médiation placé au commissariat pour assister les victimes lors des entretiens. Une présence qui permet, à l’instar des CAJ, d’apaiser les émotions, réduire l’angoisse et favoriser la libération de la parole.