ANALYSE. Présidentielle 2022 : En Outre-mer, les voix des colères

La candidate du Rassemblement national en Guadeloupe en mars dernier ©Facebook / Marine Le Pen

ANALYSE. Présidentielle 2022 : En Outre-mer, les voix des colères

Si Emmanuel Macron est réélu président de la République ce dimanche soir, avec 58,54% des suffrages exprimés, les Outre-mer, eux, ont choisi le scénario inverse en plaçant la candidate du Rassemblement national à 58,26% des suffrages exprimés. Un vote contestataire qui illustre des colères qu’on ne peut cantonner au seul mouvement d’opposition au vaccin.

Bien naturellement, il s’agit là d’une photographie grand angle qui ne doit ni occulter les diversités territoriales ni ignorer l’abstention qui atteint encore des records dans certains territoires. Mais le fait est là. En Guadeloupe, en Martinique et en Guyane, la candidate d’extrême-droite dépasse les 60% de suffrages exprimés. À La Réunion et à Mayotte, elle flirte avec les 60%. Si à Saint-Pierre et Miquelon sa victoire est sur le fil, même sa défaite en Polynésie française a la saveur d’une réussite : elle gagne près de 30 000 voix entre les deux tours, et près de 2 600 entre 2017 et 2022.

Il y a encore une trentaine d'années, Jean-Marie Le Pen ne pouvait atterrir aux Antilles, et les stands Outre-mer du Salon de l’Agriculture se fermaient à l’arrivée des leaders du Front national. Il y a 10 ans, Marine Le Pen dépassait difficilement les 5% en Guadeloupe, en Martinique ou en Polynésie. Elle n’atteignait même pas les 3% à Mayotte et Wallis et Futuna. Ses meilleurs scores, entre 10 et 15% se répartissaient entre la Guyane, La Réunion, Saint-Pierre et Miquelon, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, et la Nouvelle-Calédonie. De parfaits parias, le clan Le Pen est, en 2022, invité à danser le zouk en Outre-mer, parfois porté dans certains territoires par des figures locales en mal d’interlocuteur national, comme en Polynésie. En 2022, les Outre-mer ont offert la victoire à la représentante d’extrême droite. Un symbole. 

Lire aussi : Présidentielle 2022 : Emmanuel Macron réélu, tous les résultats en Outre-mer (DÉFINITIFS)

Ce vote en faveur de Marine Le Pen s’explique, en premier lieu, par la forte défiance à l’égard du gouvernement et ce, dans le contexte de la crise sanitaire. Rappelons-le, le vaccin, le pass sanitaire, le pass vaccinal, ont été plus difficilement applicable en Outre-mer. L’obligation vaccinale des pompiers ou des soignants, ayant eu pour conséquences des renvois du personnel réfractaire dans des territoires où le système de santé est déjà vulnérable, a eu pour issue de vives tensions en Guadeloupe notamment, fin 2021. Tout cela sur un fond de désinformation et de théories complotistes qui ont terminé d’achever la confiance entre les populations et leurs élus, qu’ils soient locaux ou nationaux. Marine Le Pen, dans l’Hexagone comme en Outre-mer, a savamment tiré sur la corde de la crise sanitaire pour amener à elle les voix de cette colère.

Mais il serait trop aisé d’expliquer ce vote uniquement par le biais de la crise sanitaire. Il y a en Outre-mer un malaise, et un mal être. Les crises de 2009 aux Antilles, de 2017 en Guyane, de 2018 à Mayotte et à La Réunion en sont les démonstrations. Et malgré des états généraux, des accords, des assises, les Ultramarins n’ont pas l’impression que les politiques nationales ont apporté des réponses aux problématiques de leur quotidien : chômage, pauvreté, inégalités sociales, vie chère, accès à l’eau, accès à la santé, … Le premier tour ne trompe d’ailleurs personne. Les revendications, très à gauche, ont porté le candidat de l’Union populaire comme plus honnête porte-étendard de cette contestation. Au second tour, Marine Le Pen remporte tous les territoires que Jean-Luc Mélenchon a gagnés, combien même son discours social n’est qu’une façade.

Lire aussi : SYNTHÈSE. Présidentielle 2022 : En Outre-mer, la participation en hausse au second tour

Les Outre-mer tournent en rond, et au fil des décennies et des mouvements sociaux, aucune réponse cohérente et efficace ne leur a été apportée, ou en tout cas, elles n'ont pas porté les fruits escomptés. Ou bien alors celles-ci sont très vite oubliées dans les méandres des Ministères parisiens rompus à des logiques budgétaires, ou politiquement « hexagono-centrées ». Crise sanitaire donc, mais aussi des problématiques quotidiennes que les Ultramarins semblent se transmettre, bien malgré eux, de génération en génération.

Il y également et incontestablement une perte de repères culturels et identitaires à souligner. Comment des descendants d’esclaves, des descendants de peuples autochtones dont la souveraineté a été confisquée, dépositaires d’une Histoire coloniale douloureuse teintée de racisme mais aussi de luttes humanistes victorieuses, peuvent-ils apporter leur consentement à l’idéologie d’extrême-droite ? Il y a là une identité culturelle à refonder dans les pays d’Aimé Césaire, de Léon-Gontran Damas, de Gaston Monnerville, de Paulette Nardal, de Léopold Sedar-Senghor, de Paul Vergès, de Pouvanaa a Oopa, d’Henri Hiro et Jean-Marie Tjibaou. Il y a une règle fondamentale dans la navigation ancestrale polynésienne dont on peut s’en inspirer : pour savoir où on va, il faut savoir d’où on vient. Ce point de repère géographique devient un point de repère sociétal. 

Lire aussi : Présidentielle 2022 : Emmanuel Macron promet « une société plus juste » dans le « respect de chacun »

On peut aussi souligner quelques spécificités locales pour expliquer le vote en faveur du Rassemblement national, comme l’immigration et l’insécurité à Mayotte, où Marine Le Pen était déjà en tête au 1er tour, et l’immigration en Guyane. En Polynésie, le vote en faveur de Marine Le Pen est aussi un vote sanction à l’égard du gouvernement local et de son chef, soutien d’Emmanuel Macron, qui paye lui aussi la gestion de la crise sanitaire, autonomie oblige. N'oublions pas enfin qu'Emmanuel Macron disposait du plus grand nombre de soutiens d'élus locaux en 2022. Des élus qui, face à la grogne basse et sourde ou peut-être à un sentiment de victoire acquise, semblent s'être peu mobilisés sur le terrain durant la campagne, hormis en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie. Peu d'engouement, une parole gouvernementale inaudible, et des élus locaux impuissants à rassurer les colères. 

Il faut tout de même s’intéresser au résultat de la Nouvelle-Calédonie, qui a placé en tête des deux tours le président sortant réélu. Ici, Emmanuel Macron défie toutes les colères ultramarines. Ici, celle des indépendantistes s’est mue en silence, en abstention. Les indépendantistes kanak prennent rarement part à cette grande échéance nationale, laissant le libre choix aux non indépendantistes d’apporter leurs voix à celui qui organisa, sous son quinquennat, les trois référendums d’autodétermination. Ils furent, d’un point de vue purement organisationnel, des réussites. La forte abstention lors du dernier se retrouve dans l’abstention de ce dimanche et du dimanche 10 avril dans l’archipel. Ceux qui se sont déplacés ont choisi la continuité, une continuité certainement nécessaire alors que s’ouvrira pour ce quinquennat une page institutionnelle pour écrire une Nouvelle-Calédonie plus pérenne au sein de la République, tout en trouvant les voix du dialogue et de l'équilibre avec les indépendantistes.

Lire aussi : Présidentielle 2022 : Marine Le Pen envoie ses « remerciements tout particulièrement » aux Outre-mer et mobilise pour les Législatives

Sur le front de la participation en Outre-mer, elle est globalement en baisse en 2022, avec 48,69% des électeurs inscrits qui se sont déplacés aux urnes. On note des chutes de participations importantes à Wallis et Futuna, archipel qui a pourtant l’habitude de se mobiliser à la présidentielle, perdant 10 points entre 2022 et 2017. En Nouvelle-Calédonie aussi, la baisse est de 18 points entre 2022 et 2017. L’abstention est là aussi une démonstration d’une colère. Elle est plus silencieuse. Elle traduit aussi le délaissement, le désintérêt, l’invisibilité, l’impuissance, l’indifférence. Elle est, comme dans l’Hexagone, l’illustration de l’extrême nécessité d’un renouvellement démocratique car, dans cinq ans, il sera définitivement trop tard.