INTERVIEW – Perspectives Outre-mer & Océan : « Penser par bassin océanique, c’est construire des solutions communes » — Matthieu Discour, directeur du Département des Trois Océans de l'AFD

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INTERVIEW – Perspectives Outre-mer & Océan : « Penser par bassin océanique, c’est construire des solutions communes » — Matthieu Discour, directeur du Département des Trois Océans de l'AFD

Nommé le 15 mai dernier, le nouveau directeur du Département des Trois Océans de l'AFD, Matthieu Discour a décliné la feuille de route de son mandat, avec une seule et même ambition, ancrer les territoires d'Outre-mer comme des territoires de solutions. Dans la continuité du programme Stratégie des Trois Océans de l'AFD, Matthieu Discour revient pour Outremers360 sur les temps forts attendus et notamment sur l'importance de la Conférence Perspectives Outre-mer, organisée le 3 juin à Paris à la veille de l'UNOC-3.

 

1. Vous venez de prendre vos fonctions en tant que directeur du Département Trois Océans, quelles sont ou seront vos priorités pour cette direction ? Votre arrivée est peut-être aussi l'occasion de rappeler la stratégie de l’AFD pour les Outre-mer ?

Ma prise de fonction s’inscrit dans la continuité d’une stratégie affirmée de l’AFD : faire des Outre-mer des territoires de solutions dans un monde en transition. Le Département Trois Océans incarne cette vision en articulant le développement durable des Outre-mer avec leur intégration régionale dans les bassins Atlantique, Indien et Pacifique. En 2024, l’AFD y a engagé près d’un milliard d’euros, dont 75% dans le secteur public.

La stratégie Trois Océans, adoptée en 2019, reste plus que jamais d’actualité : il s’agit de renforcer l’intégration des territoires ultramarins dans leur environnement régional tout en contribuant à leur résilience et à leur développement durable. Ce positionnement stratégique est unique, car il combine l’action dans les 12 territoires ultramarins avec celle dans 28 États voisins relevant des partenariats internationaux : un positionnement précieux pour renforcer les liens entre Outre-mer et pays voisins.

Mes priorités sont doubles. Il s’agit d’abord de renforcer notre accompagnement des collectivités, par exemple via des outils innovants comme la facilité multi-tranches (FMT) qui permet un accompagnement pluriannuel des collectivités et a déjà fait ses preuves auprès des collectivités territoriales de Martinique et Guyane ainsi que le département et la région de la Réunion. Dans le même temps, nous ambitionnons d’approfondir notre rôle dans la coopération régionale. Il s’agit de valoriser les savoirs, les talents et les initiatives locales, tout en construisant des passerelles entre les Outre-mer et leurs voisins. C’est d’ailleurs une préoccupation qui figure dans les conclusions du dernier Conseil présidentiel pour les partenariats internationaux.

2. Le thème de la conférence "Perspectives Outre-mer", organisée le 3 juin à Paris, met à l’honneur les bassins régionaux des Outre-mer. Pourquoi avoir retenu cette approche ?

Cette approche reflète la réalité géographique, économique et écologique, des territoires d’Outre-mer. Leurs voisins partagent des défis similaires : vulnérabilités climatiques, insularité, dépendances aux importations, pressions sur les ressources naturelles, etc. Penser par bassin permet d’échanger des solutions adaptées, de renforcer les partenariats, et de structurer un développement plus cohérent. Qu’ils soient climatiques, sanitaires ou environnementaux, les défis ne s’arrêtent pas aux frontières administratives et ne font que peu de cas de la différence de statut d’un territoire : département d’Outre-mer, collectivité ou État étranger, les crises y font les mêmes dégâts. Penser par bassins, c’est aussi reconnaître les dynamiques partagées entre les Outre-mer et leurs voisins. Cela nous permet de promouvoir des coopérations concrètes et de diffuser des innovations utiles à l’ensemble de la région.

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C’est dans cet esprit que nous avons soutenu le projet « Trois Océans », mis en œuvre par la Croix-Rouge française, qui a permis la création de trois plateformes d’intervention régionales pour mieux répondre aux crises sanitaires et climatiques des populations dans l’océan Indien, dans le Pacifique et dans la Caraïbe. C’est aussi cette logique qui guide notre implication dans des programmes comme l’initiative Kiwa dans le Pacifique, ou encore le projet RECOS de restauration des écosystèmes côtiers dans l’océan Indien.

3. Quels sont les objectifs de cette conférence, au regard notamment des autres évènements sur l’océan qui fleurissent en juin ? En quoi cette conférence s’inscrit-elle dans l’agenda de l’Année de la mer et de la préparation de la conférence des Nations Unies sur les océans (UNOC 3) ? Quel rôle l’AFD souhaite-t-elle y jouer ?

La Conférence Perspectives Outre-mer se tient dans un calendrier particulièrement dense autour des océans. Mais elle a une spécificité forte : elle donne la parole aux Outre-mer. L’objectif est de faire entendre la voix de ces territoires dans les débats internationaux, à quelques jours de l’UNOC 3 à Nice. Cette journée représente un temps fort de notre engagement dans l’Année de la mer et s’inscrit dans l’élan de cette grande conférence mondiale sur les océans dont elle prépare les discussions, permettant de faire remonter des messages spécifiques issus de la recherche, des collectivités et de porteurs de projets. Notre objectif est d’apporter une voix ancrée dans les réalités ultramarines : celle de territoires qui, bien que vulnérables, expérimentent des réponses innovantes. Nous voulons montrer que les Outre-mer ont toute leur place dans la gouvernance internationale des océans.

C’est notamment l’objectif de notre participation à l’UNOC de Nice : comprendre les problématiques de nos partenaires, faire entendre leurs préoccupations sur la scène internationale, et essayer de construire ensemble des solutions adaptées à leurs besoins.

L’AFD sera présente et qui veillera à valoriser les projets Océan de l’agence – et de ses partenaires – dans les différentes régions du monde. Notre présence se concentrera autour du pavillon « Archipels » monté et animé par l’AFD et la Fondation Elyx en zone verte sur deux semaines, qui permettra de sensibiliser le grand public français à plusieurs thématiques (biodiversité marine, pêche, pollution plastique, climat-océan, migrations, etc.) et à la nécessité d’une coopération et d’une solidarité internationale pour apporter des réponses à ces enjeux. Ce sera un espace d’échange, de valorisation des projets, et de plaidoyer.

Les Outre-mer jouiront d’une forte visibilité à Nice, notamment via le pavillon « France – 3 océans » qui se situera juste à côté de celui de l’AFD. Outre ces pavillons spécifiques, différents experts de l’AFD seront présents pour valoriser les projets phares de l’agence et pourront valoriser les grands messages de la CPOM, mais aussi des coopérations concrètes, comme l’initiative sur les Sargasses dans la Caraïbe ou encore Kiwa dans le Pacifique. Notre message sera clair : les Outre-mer et les Etats insulaires sont en première ligne, mais se sont surtout les premiers acteurs de la réponse à apporter aux défis océaniques.

4. Vous avez structuré la Conférence Perspectives Outre-mer autour de quatre grands enjeux : vulnérabilité insulaire et changement climatique, protection de la biodiversité des océans, phénomène des sargasses et économie bleue. Pourquoi ces choix ? Et quels messages souhaitez-vous faire passer aux décideurs ?

Ces quatre thématiques ont été choisies car elles cristallisent à la fois des vulnérabilités majeures et des dynamiques d’innovation dans les Outre-mer. Elles traduisent aussi notre volonté de relier les enjeux scientifiques aux priorités des politiques publiques. Cette journée a été pensée comme une rencontre, pour que chaque table ronde croise plusieurs niveaux d’intervention : expertise scientifique, expérience de terrain des collectivités comme d’acteurs publics déconcentrés ou d’ONG, et perspective d’action régionale. Cette approche permet d’aller au-delà du simple constat et de proposer des trajectoires d’action concrètes et territorialisées.

Le programme de la journée reflète cette logique :

Le matin, une première table ronde abordera l’adaptation au changement climatique dans le Pacifique, avec un focus sur les solutions fondées sur la nature, suivie d’une session sur la connectivité des aires marines protégées dans l’océan Indien, enjeu-clé pour la biodiversité régionale.

L’après-midi, une séquence portera sur les sargasses dans la Caraïbe, question environnementale, sanitaire et économique urgente, puis sur les transformations de l’économie bleue, notamment portuaire et énergétique.

La conférence s’adresse aux professionnels du développement, aux décideurs publics, aux acteurs académiques et aux jeunes chercheurs, dont certains seront mis à l’honneur à travers le Prix AFD Jeune Chercheur Outre-mer, remis en fin de journée. Notre ambition est de faire de cette journée un espace de partage et de montée en expertise, mais aussi un levier pour porter, collectivement, des propositions à l’UNOC 3.

5. L’AFD dans les Outre-mer mise de plus en plus sur le renforcement de l’ingénierie locale avec le Fonds Outre-mer et des dispositifs comme Expertise France. Pourquoi ce choix stratégique ?

L’ingénierie est un facteur clé pour concrétiser les projets. Beaucoup de collectivités peinent à structurer leurs investissements faute de ressources humaines suffisantes. Sur financement de la Direction Générale des Outre-mer, le Fonds Outre-mer est l’un des outils nous permettant de financer des missions d’assistance technique, souvent en amont des projets. Ces appuis en assistance technique se révèlent être un levier opérationnel singulier et structurant pour accompagner la mise en œuvre de programmes à impact dans les collectivités ultramarines, grâce au déploiement sur le terrain d’un expert intégré au sein de la collectivité à renforcer pour une durée d’un an.

Depuis 2023, Expertise France nous appuie en recrutant des assistants techniques pour renforcer les maîtrises d’ouvrage locales. C’est un vrai changement d’échelle. Cette ingénierie facilite des projets structurants, comme en Guadeloupe où une équipe de 5 experts a été déployée auprès du Syndicat Mixte de Gestion de l’Eau et de l’Assainissement (SMGEAG) afin d’améliorer la gestion de l’eau sur une île où les attentes et besoins des populations en la matière sont une réalité.

6. Une table-ronde de la conférence est consacrée à l’économie maritime et portuaire. Comment l’AFD accompagne-t-elle les projets portuaires structurants dans les Outre-mer ?

Les ports sont au cœur de la transition maritime, et représentent des leviers de développement économique, d’intégration régionale et de décarbonation pour les Outre-mer. Du fait de leur géographie, les territoires ultramarins sont non seulement dépendants de la structure et du fonctionnement du réseau maritime, mais également tout spécialement concernés par les enjeux de transition environnementale et d’adaptation des ports au changement climatique. Ce sujet du verdissement des ports ultramarins, de diminution de l’empreinte carbone du transport maritime et de recherche d’exemplarité en matière de respect des normes environnementale sera notamment abordé et mis en perspective à l’occasion de la 4ème table-ronde de notre conférence : « Le transport maritime dans l’Outre-mer face aux défis environnementaux et aux enjeux sécuritaires ».

L’AFD est partenaire de longue date de la plupart des ports ultramarins ; des partenariats qui s’inscrivent aujourd’hui dans la poursuite du grand mouvement de décarbonation. Ces dernières années, nous avons par exemple financé à hauteur de 9 M€ le réhaussement des portiques du Grand Port Maritime de la Martinique, et accompagné ce même port dans la mise en place d’un système énergétique. Le Département Trois Océans de l’AFD a également été un partenaire clef du Grand Port Maritime de Guyane, pour soutenir la mise en œuvre de sa stratégie de développement durable dans le cadre d’un financement pluriannuel de 4 M€ à la commune de Cayenne. L’AFD a également financé à hauteur de 26,5M€ les investissements du Port autonome de Papeete pour l’accompagner dans sa transition environnementale. Toujours dans cette ambition d’encourager le verdissement des ports ultramarins, l’AFD participe à la réflexion stratégique sur l’organisation logistique plus vertueuse entre les îles à travers le soutien au partenariat entre l'Association des Ports des Iles de l'Océan Indien (APIOI) et l’Association Internationale des Villes Portuaires, qui vise à rendre les infrastructures portuaires plus durables.

7. La problématique des échouages des sargasses est un autre axe de cette conférence, comment l'AFD travaille-t-elle sur cette problématique ? Quels projets ou leviers d’action soutenez-vous dans la Caraïbe pour y faire face ?

La problématique des sargasses, qui touche particulièrement les territoires de la Caraïbe, constitue à la fois un enjeu environnemental, sanitaire, économique et social, et illustre particulièrement bien la nécessité d’une réponse concertée sur le plan régional. L’AFD aborde cette question de manière intégrée, à l’interface entre production de connaissances, dialogue régional et accompagnement opérationnel.

Nous soutenons la recherche à travers des projets portés par l’IRD et l’ANR, qui visent à mieux comprendre le phénomène, affiner la prévision des échouages et proposer des outils d’aide à la décision pour les collectivités. En parallèle, nous accompagnons la structuration du GIP Sargasses en Martinique, qui constitue une réponse territoriale innovante et un outil de coordination interinstitutionnelle visant à mutualiser les réponses et faciliter la valorisation (énergie, agriculture, etc.).

Notre ambition est de contribuer à faire émerger une stratégie régionale de gestion des sargasses, à l’échelle de la Caraïbe. Cela passe par la mutualisation des moyens, l’appui à l’investissement (pour le ramassage, le stockage, la valorisation), et la diffusion des solutions les plus pertinentes. L’AFD peut également jouer un rôle de mise en réseau avec les pays voisins touchés, pour favoriser une approche de bien public régional. C’est dans cette optique qu’a été lancé en 2024 le projet Sargassum, ou Initiative régionale de lutte contre le phénomène sargasse, qui vise à renforcer la coordination régionale pour structurer une réponse à ce fléau environnemental et socio-économique.

8. Enfin, vous avez évoqué l’importance de la coopération régionale, l’autre fil rouge de la Conférence Perspectives Outre-mer. Quels partenariats innovants ou projets emblématiques portés par l’AFD dans les trois bassins océaniques illustrent cette ambition ?

La coopération régionale est un pilier fondamental de notre stratégie Trois Océans. Elle permet de construire des réponses partagées aux défis climatiques, environnementaux et socio-économiques auxquels font face les territoires insulaires. Cette approche est également au cœur de la Conférence Perspectives Outre-mer, qui mettra en lumière plusieurs projets structurants financés ou accompagnés par l’AFD.

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Dans le Pacifique, l’Initiative Kiwa constitue une référence. Cofinancée par plusieurs bailleurs internationaux (France, UE, Australie, Canada, Nouvelle-Zélande), elle finance des projets de résilience mettant à l’épreuve les solutions fondées sur la nature, et à travers une gouvernance associant pleinement les acteurs régionaux. Elle contribue à renforcer les capacités locales face aux effets du changement climatique tout en protégeant les écosystèmes. Dans le bassin Atlantique, l’AFD travaille en étroite collaboration avec la CARICOM, l’OECO, et des organisations de la société civile ultramarine et régionale, sur des projets d’adaptation au changement climatique, de lutte contre les sargasses, ou encore de développement des économies locales dans une logique transfrontalière.

Dans l’océan Indien, l’AFD soutient une série de projets qui visent à structurer une gouvernance écologique régionale autour des Aires Marines Protégées (AMP). À titre d’exemples, le projet RECOS, cofinancé avec le FFEM, renforce la résilience des zones côtières du sud-ouest de l’océan Indien à travers la restauration d’écosystèmes marins (mangroves, herbiers, récifs) et l’appui à des réseaux comme WIOMPAN (Western Indian Ocean Marine Protected Area Network). Dans les TAAF, le projet MARIO s’attache à mieux connaître les écosystèmes marins autour des Éparses et Crozet, en partenariat avec l’Afrique du Sud, pour mieux lutter contre la pêche illégale et identifier de nouveaux espaces à protéger. À cela s’ajoute le soutien à l’appel à projets SIOMPA, qui explore la connectivité écologique entre les Aires marines protégées (AMP) à travers des recherches coordonnées par l’IRD. Cette connectivité, clé de voûte de la préservation des écosystèmes marins, est essentielle pour construire des réseaux d’AMP efficaces, écologiquement viables et adaptés aux dynamiques des espèces. Ces initiatives sont autant d’exemples d’une coopération multi-échelles, où la recherche scientifique alimente les politiques publiques et où les territoires ultramarins jouent un rôle moteur dans l’innovation en matière de gestion des ressources marines.

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Notre ambition est de dépasser les cloisonnements institutionnels et géographiques pour favoriser la construction de « communs océaniques » régionaux, une approche qui apparait autant nécessaire qu’évidente lors qu’on s’attaque aux enjeux des océans. En témoigne la thématique déjà mentionnée de la protection et connectivité des AMP, qui sera mise à l’honneur dans la 2ème table-ronde de la Conférence Perspectives Outre-mer : « Océan Indien, renforcer la connectivité et la résilience des aires marines protégées ».

Propos recueillis par Hortense Lebrun 

Lien vers la page d’inscription de la Conférence Perspectives Outre-mer : Conférence Perspectives Outre-mer (CPOM) | AFD - Agence Française de Développement