INTERVIEW. Marie-Laure Ametis, sage-femme : "En informant les mamans, on arrivera à une génération sans chlordécone »

© GIP-RASPEG DAC-DSR Guadeloupe et Îles du Sud

INTERVIEW. Marie-Laure Ametis, sage-femme : "En informant les mamans, on arrivera à une génération sans chlordécone »

En Guadeloupe, les femmes enceintes bénéficient d’un accompagnement spécial durant leur grossesse pour évaluer et limiter leur exposition à la chlordécone, ce pesticide encore présent dans les sols et les milieux aquatiques antillais. Plus de 200 femmes ont déjà participé à ce programme, initié par l’Agence régionale de santé et porté par le GIP-RASPEG, un groupement d’organismes de santé guadeloupéen. Près d’un an après son lancement, Marie-Laure Ametis, la coordinatrice, tire un premier bilan.

 

Par Marion Durand

Interview de Marie-Laure Ametis, sage-femme et coordinatrice de parcours au GIP-RASPEG DAC-DSR Guadeloupe et Îles du Sud (Groupement d'intérêt public - Ressources et dispositifs d'appui à la coordination et actions de santé publique en Guadeloupe) et référente du programme d'accompagnement des femmes enceintes dans le dispositif de la chlordéconémie.

Marion Durand : En octobre 2023, l’Agence régionale de Santé (ARS) a lancé un programme d’accompagnement à destination des femmes enceintes dans le cadre du dispositif de la chlordéconémie. Pouvez-vous m’en dire plus ?

Marie-Laure AMETIS : Depuis 2022, l’Agence régionale de santé de Guadeloupe offre la possibilité à tous les adultes guadeloupéens de bénéficier d’un dosage sanguin permettant de mesurer le taux de chlordécone dans le corps au moment de l’analyse. Les personnes ayant des taux élevés bénéficient ensuite d’un programme d’accompagnement pour les aider à réduire leur exposition à ce pesticide utilisé aux Antilles de 1972 à 1993. En parallèle, nous avons mis en place depuis octobre dernier un programme similaire et entièrement gratuit à destination des femmes enceintes.

Le programme se décline en trois volets, lesquels ?

Les femmes sont invitées à réaliser un test de chlordéconémie, pour évaluer le taux de chlordécone dans leur sang en début de grossesse. On propose ensuite un accompagnement spécifique avec une consultation diététique pour échanger sur l’alimentation durant la grossesse, les aliments à risque, le poids, les vitamines, etc. Enfin, c’est le troisième volet de ce programme, on propose aux futures mamans de participer à un atelier collectif qui regroupe huit femmes. C’est un temps d’échange avec une sage-femme et une diététicienne pour aborder plusieurs points autour de la chlordécone. Par exemple, on explique ce que c’est, comment ce pesticide a été utilisé dans les bananeraies antillaises et on fait le point sur l’exposition aujourd’hui des populations même si son utilisation est interdite. À la fin de cet atelier, les femmes repartent avec un panier de fruits et légumes issus de l’agriculture biologique locale, nous objectif est de leur faire comprendre qu’on peut manger des produits de chez nous tout en se protégeant !

Y a-t-il encore une méconnaissance sur le sujet ?

Oui, surtout sur certains aliments : on sait qu’il faut être vigilant lorsqu’on consomme des légumes racines mais il y a une méconnaissance sur les dangers des produits issus de la mer ou les œufs. Ces aliments peuvent exposer les consommateurs à la chlordécone lorsqu’ils ne sont pas issus d’un circuit contrôlé. En Guadeloupe, il y a beaucoup d’échanges entre les habitants, les pêcheurs partagent avec les amis, les voisins, la famille mais il y a encore des zones où il est déconseillé de pêcher car le taux de chlordécone est trop important. Malheureusement ces informations ne sont pas connues de tous, l’enjeu de notre programme est vraiment d’informer les femmes pour qu’elles adoptent les bons gestes afin de se protéger.

Les impacts de ce pesticide sur la santé sont-ils bien connus ?

Aujourd’hui encore, quand on parle de l’impact de la chlordécone sur la santé, on pense beaucoup au cancer de la prostate. Mais ce n’est pas le seul risque, l’exposition à ce pesticide a aussi des conséquences pour les femmes et les bébés.

Il y a encore beaucoup d’idées reçues, les Guadeloupéens pensent par exemple que l’exposition à la chlordécone est une fatalité, que s’ils ont été exposés pendant leur enfance il n’y a plus rien à faire car c’est trop tard. Mais c’est faux, la chlordécone s’élimine de l’organisme. En six mois, le corps élimine la moitié de la concentration en chlordéconémie et au bout de trois ans, le corps l’a totalement éliminé. Cette information est méconnue et malgré des études scientifiques, on peine à partager ces données cruciales.

Pourquoi ces idées reçues persistent-elles selon vous ?

C’est difficile à dire. La question de la chlordécone est un sujet tabou, il y a toujours ce sentiment de fatalité qui l’entoure. Notre rôle est d’informer les Guadeloupéens mais particulièrement les femmes enceintes car elles peuvent faire des choix qui auront des conséquences importantes pour elle et leur bébé. En informant les mamans, on arrivera à une génération sans chlordécone ! C’est très important, protéger une femme enceinte contre la chlordécone c’est protéger une famille et les générations futures.

Combien de femmes ont bénéficié à ce programme depuis le lancement ?

Le programme a été lancé en octobre et les débuts ont été timides, les premières consultations ont démarré en janvier. Depuis le début de l’année, plus de 200 femmes ont fait le test de la chlordéconémie et nous avons organisé une dizaine d’ateliers. C’est un bon début mais on aimerait toucher toutes les femmes enceintes de Guadeloupe, ou au moins qu’elles puissent avoir connaissance de notre programme. 4 000 femmes accouchent chaque année sur notre territoire, on aimerait que la chlordéconémie soit généralisée à toutes les futures mères et que ça devienne une habitude dans le suivi de grossesse.

Près d’un an après le lancement de ce programme, quel premier bilan tirez-vous ?

On a un bilan plutôt positif, on se rend compte que les femmes, lorsqu’elles ont adhéré au programme, sont satisfaites, qu’elles apprennent des choses et repartent de chez nous avec des outils en main. Nous espérons que les mères parleront du programme autour d’elle car l’expérience des unes va motiver les autres.

Les femmes enceintes sont-elles plus sensibles à l’exposition à la chlordécone ?

Il n’y a pas de différence pendant la grossesse mais on sait que c’est un moment où on est favorable au changement, où l’on est prêt à mettre en place de nouvelles habitudes et à modifier son alimentation. On sait que le bébé est exposé in utero car cela passe par le placenta. Des études ont mis en évidence qu’une exposition à la chlordécone entraîne une réduction de la durée de la grossesse avec un risque augmenté de naissance prématurée et parfois des problèmes de développement cognitif et moteur des nourrissons.

Les études se poursuivent, on a besoin d’en savoir plus mais on ne veut pas attendre pour réagir. Même si la recherche continue, on ne peut pas attendre qu’elle soit terminée pour proposer des solutions aux mamans.

Y a-t-il un intérêt grandissant de la part de la recherche sur le sujet ?

Oui, la recherche s’intéresse à de nouveaux sujets. Pour l’instant, nous n’avons pas de réponse sur l’impact de la chlordécone sur la fertilité féminine mais une étude sur le sujet est menée au CHU de Guadeloupe. La question de la chlordécone a beaucoup été traitée sous un angle juridique, très peu en termes de santé. Aujourd’hui, il est essentiel de poursuivre dans ce sens mais aussi d’informer sans cesse les populations, de parler de ce que l’on sait ou pas et de permettre aux gens de savoir pour qu’ils fassent les bons choix pour se protéger.