En Guadeloupe, une étude lancée pour étudier l’impact de la chlordécone sur la fertilité des femmes

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En Guadeloupe, une étude lancée pour étudier l’impact de la chlordécone sur la fertilité des femmes

C’est une première, l’Inserm Guadeloupe en lien avec le CHU de Guadeloupe et l’Institut Pasteur du territoire lance une vaste étude pour évaluer l'impact de la chlordécone sur la fertilité des femmes. Alors qu’on connaît les effets de l’exposition à ce pesticide durant la grossesse, aucune étude scientifique n’avait encore étudié le lien entre la chlordécone et la capacité à concevoir un enfant.

 

Par Marion Durand

« Aucune étude scientifique n’a jusqu’à présent étudié l’impact de la chlordécone sur la fertilité de la femme », nous assure le Professeur Ronan Garlantezec, praticien hospitalier au CHU de Rennes (Bretagne) et co-responsable d’une équipe de recherche entre Rennes et Pointe-à-Pitre. C’est justement pour en savoir plus que le chercheur et son équipe de l’Inserm Guadeloupe (Institut national de la santé et de la recherche médicale), en lien avec le CHU et l’Institut Pasteur du territoire, lance une étude pour évaluer l'impact de la chlordécone sur la fertilité des femmes. Ce pesticide a été utilisé entre 1972 à 1993 dans les bananeraies de Guadeloupe et de Martinique pour lutter contre le charançon, un insecte ravageur. Très persistant, il a contaminé durablement les sols et l'eau, et impacte encore aujourd'hui les cultures et les productions animales.

On connaît mieux l’impact de cette substance toxique sur l’Homme grâce à des études épidémiologiques, elles ont pu montrer « des effets néfastes sur le système nerveux, la reproduction, le système hormonal et le fonctionnement de certains organes (foie, rein, cœur, etc.) », indique l’Anses. « L’expertise Inserm pesticide et santé publiée en 2021 a conclu à la présomption forte d’un lien entre l’exposition à la chlordécone de la population générale et le risque de survenue de cancer de la prostate. »

Mettre en parallèle l’infertilité et le taux de chlordécone

Mais on ne sait rien de l’impact de ce pesticide sur la fertilité des femmes. Ronan Garlantezec est le coordinateur et le responsable scientifique de l’étude, il explique son objectif : « La problématique n’a jamais été étudiée. Est-ce que l’exposition à la chlordécone impacte la fertilité des femmes ? Je n’ai pas la réponse mais on sait que ce pesticide est un perturbateur endocrinien. Des études montrent aussi que sur l’animal, la chlordécone à un impact sur la fertilité des femelles mais ces souris ont été exposées à des niveaux bien plus élevés que ceux auxquels ont été exposés les Guadeloupéens ».

L’étude a été lancée en début d’année, les premières participations ont commencé en janvier 2024 et les inclusions se poursuivront jusqu’en février 2026. Seules les femmes qui consultent pour une Aide médicale à la procréation (AMP) au CHU de Pointe-à-Pitre sont invitées à participer à cette étude. « Elles remplissent des questionnaires détaillés sur l’histoire de leur infertilité, leurs antécédents, leurs modes de vie… On fait ensuite des prises de sang pour mesurer la présence de la chlordécone ou d’autres polluants », détaille Ronan Garlantezec. Les femmes sont ensuite suivies au cours de leur parcours d’aide à la procréation, pendant la grossesse (si elle a lieu) et à la naissance de l’enfant. « Notre objectif est de mettre en lien des pathologies d’infertilité, comme l’endométriose, le syndrome des ovaires polykystiques ou une réserve ovarienne basse, avec le taux de chlordécone. »

Pour cette étude, l’Inserm Guadeloupe a rencontré les associations locales Likid Chocolat et l’Association Karukera Endométriose qui leur ont fait part des interrogations des habitantes de l’île sur cette problématique.

En plus du volet épidémiologique, l’étude inclut un versant sociologique. « On travaille avec une sociologue qui va interroger les couples sur la perception qu’ils ont des risques liés à l’environnement », explique Ronan Garlantezec. Pour le Dr Gülen Aylan-Kancel, gynécologue obstétricienne au CHU de Guadeloupe, la prise en compte de cet aspect psychologique est essentielle car la question de la chlordécone est un problème sociétal dans les Antilles. « Je travaille sur cette question depuis 2017, c’est un sujet très intéressant puisque ce n’est pas seulement une problématique scientifique et médicale, c’est aussi très culturel et politique ici ».

Les premiers résultats de l’étude ne seront pas disponibles avant pour 2027-2028 selon le responsable scientifique.

Chlordécone et grossesse

Si rien ne figure dans la littérature scientifique sur l’impact de la chlordécone sur la fertilité des femmes, il existe tout de même des études sur les conséquences de ce pesticide sur la grossesse et les nourrissons. Une grande cohorte mère enfant baptisée TIMOUN (enfant en créole) a été lancée en 2004 en Guadeloupe pour évaluer l’impact sanitaire des expositions à la chlordécone sur le déroulement de la grossesse et le développement pré et postnatal.

« Les résultats ont montré qu’une exposition à la chlordécone n’entraînait pas un risque plus élevé de développer une prééclampsie, du diabète gestationnel ou des malformations congénitales durant la grossesse », indique la gynécologue. Mais l’étude a montré qu’une exposition à ce pesticide pouvait avoir un impact sur la durée de la grossesse, avec un risque plus important de prématurité.

Les chercheurs se sont particulièrement intéressés à l’impact de l’exposition prénatale et postnatale à la chlordécone sur le développement cognitif, visuel et moteur du nourrisson à l’âge de 7 mois. Selon les résultats de l’étude, l’exposition prénatale à la chlordécone ou postnatale via la consommation alimentaire est aussi associée à l’âge de 7 mois a des effets négatifs sur le développement cognitif et moteur des nourrissons. « On a aussi constaté un effet sur les hormones, notamment thyroïdienne, sur les enfants exposés in utero », complète le Dr Gülen Aylan-Kancel.

La gynécologue obstétricienne tient à rappeler que toutes les Guadeloupéennes ne sont pas concernées par les contaminations et qu’une décontamination est possible : « On peut être contaminé parce qu’on a mangé un aliment particulier mais notre corps est capable de se décontaminer. » Pour elle, il est essentiel d’accompagner et d’alerter les femmes en âge de procréer sur les risques de contamination. L’Agence régionale de Santé de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy (ARS) a lancé en octobre dernier un programme d’accompagnement à destination des femmes enceintes.

« On observe aujourd’hui une diminution de la contamination, grâce aux nombreuses campagnes de prévention que nous menons. Il faut continuer d’informer, une femme peut être contaminée sur une première grossesse mais ne pas l’être pour la deuxième si elle a fait attention. »