Une semaine après sa prise de fonction au Ministère des Outre-mer, le Ministre délégué aux Outre-mer Jean-François Carenco s'est confié à Outremers360 sur sa méthode de travail pour faire avancer les diverses problématiques ultramarines : vie chère, relations avec l'Etat, insécurité, développement économique. Des dossiers auxquels le ministre délégué aux outre-mer souhaite s'attaquer en priorisant le dialogue avec les élus et les forces vives des différents territoires.
Outremers 360: Vous disposez d'une grande expérience des Outre-mer, comment allez- vous redonner cette confiance aux populations d'Outre-mer qui ne cessent de témoigner d'un certain « abandon de l'Etat » à leur encontre. Comment l'Etat peut-il rendre plus visible son implication dans les divers dossiers : chlordécone, sargasses, santé...? Comment retisser ce lien ?
Nous devons avoir une vision globale des Outre-mer, tout en comprenant et valorisant leurs différences. Il faut donc affiner notre approche au cas par cas. L’important est de rappeler que les outre-mer sont la richesse de la France, et que la France est aussi une richesse pour les Outre-mer.
Ainsi, certains dossiers sont communs, mais il existe également des sujets spécifiques à chacun de ces territoires. Nous allons continuer à les traiter directement, dans un esprit de concertation et de dialogue. Je ne prétends pas avoir la vérité, je prétends avoir la volonté de régler les problèmes, toujours en gardant cette vision globale des Outre-mer. Plus vous êtes un homme d'action, plus vous devez douter, et, pour passer le doute, il faut écouter l'autre et travailler avec lui.
Vous savez, la confiance ne se décrète pas, elle se gagne. Et je l’ai particulièrement constaté
dans mes différents postes en Outre-mer, que ce soit en Nouvelle-Calédonie, à Saint-Pierre et
Miquelon ou en Guadeloupe : il ne suffit pas de venir avec plein de projets en tête ou des solutions toutes faites. Il faut du dialogue pour comprendre les besoins de nos concitoyens et bâtir avec eux, en co-construction, des solutions concrètes. Cela a toujours été ma méthode, et je compte poursuivre dans cette voie.
Concernant l’implication de l’Etat, il a toujours été aux côtés des Outre-mer. Je ne conçois pas
une République qui abandonnerait ses territoires. Il nous faut chercher avant tout l’efficacité pour répondre aux attentes et préoccupations de nos compatriotes. Je conçois mon rôle comme un rôle de soutien et d’accompagnement.
Outremers360: Que retenez-vous de cette première visite à La Réunion ?
Ce voyage nous a permis, au ministre de l’Intérieur et des Outre-Mer ainsi qu’à moi-même, de rencontrer un grand nombre d’élus et d’acteurs de l’île de La Réunion, et d’avoir un aperçu relativement complet des principaux sujets du moment dans ce territoire.
J'ai trouvé des Réunionnais impliqués, qu'il s'agisse des syndicats, des planteurs, ou des élus. Ma volonté et ma conviction de Ministre chargé des Outre-mer de pouvoir travailler ensemble avec chacun des acteurs se sont trouvées renforcées lors de cette visite. Face aux problèmes nombreux, la difficulté n'est pas uniquement de trouver les moyens financiers qui sont au demeurant là, mais de pouvoir avancer ensemble.
Nous avons constaté une volonté partagée pour travailler de façon constructive sur les sujets de fond, comme l’a démontré l’implication des acteurs réunionnais lors de la table ronde sur la vie chère. Sur le dossier en particulier, nous devons aller plus loin afin de maîtriser l’inflation en élargissant le bouclier qualité-prix, en sollicitant des efforts de toutes les parties prenantes, comme l’ont fait CMA-CGM en réduisant de 500€ le coût du conteneur ou, encore, le groupe Leclerc à La Réunion en bloquant les prix de certains produits.
Ce travail, je vais demander aux préfets de le dupliquer dans chaque DROM. Je réunirai également les grands acteurs économiques à Paris. Notre objectif est de parvenir à des résultats concrets dès cet automne.
Les discussions de la convention canne m’ont aussi beaucoup occupé durant mon déplacement. Je suis content de voir que les efforts ont payé et que la convention a pu être signée. Elle prévoit la revalorisation de la prime bagasse jusqu’à 3 € par tonne de canne, une répartition équilibrée des bénéfices entre l’industriel sucrier et les planteurs, et un dispositif exceptionnel d’appui aux planteurs sur la « coupe longue machine ».
Grâce à toutes ces avancées, au soutien financier conséquent de l’Etat et de l’Union européenne à la filière canne réunionnaise, le prix d’achat de la tonne de canne pourra ainsi dépasser les 100 €, soit un gain de plus de 15 € par rapport à la convention précédente. Par ailleurs, un prix minimum d’achat sera garanti aux planteurs, à 40,07€ la tonne. *
Je tiens à remercier tous les acteurs pour leur esprit de responsabilité qui a permis d’aboutir à un accord dans les dernières discussions. Je reviendrai à La Réunion en septembre pour continuer à avancer sur d’autres dossiers avec les acteurs réunionnais et trouver des solutions concrètes à leurs préoccupations.
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*Comme il s’y était engagé lors de son déplacement à La Réunion avec le Ministre de l’Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin, Jean-François Carenco a assisté à la signature de la convention canne en visio-conférence, ce mercredi 13 juillet à 14h00 heure de Paris.
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Outremers 360: Lors de votre premier déplacement à la Réunion, vous avez annoncé un «Oudinot de la vie chère». Comment s'organisera cette grande réunion avec les forces vives, les collectivités et les entreprises travaillant en Outre-mer ? Quelle sera la finalité des conclusions de cette rencontre (une nouvelle loi, création d'un nouveau dispositif, renforcement d'un dispositif existant?)
Le dispositif Bouclier-Qualité-Prix est un bon dispositif, mais il faut maintenant le renforcer. L’objectif est de bloquer les prix de ce panier de produits, pendant un an, et de l’élargir pour qu'il atteigne 5% des achats d'un ménage. Il s'agit aussi de l'étendre à tous les départements et régions d'Outre-mer.
Bien sûr, au-delà des entreprises, les collectivités locales doivent être aussi des parties prenantes dans ce dispositif.
En parallèle, j'ai commencé à recevoir les grands opérateurs économiques nationaux qui ont un rôle à jouer sur la formation des prix en Outre-mer, comme les transporteurs, les patrons de chaînes de distribution, les franchisés, pour leur demander, à eux aussi, de faire des efforts. A l'issue de l'ensemble de ces concertations et rencontres, nous acterons la mise en œuvre de cet Oudinot du pouvoir d’achat dont j’espère qu’il aboutira en septembre.
Outremers 360: Avec des indicateurs sanitaires en hausse à La Réunion, à Mayotte ou en Guadeloupe où le taux de vaccination est faible, craignez-vous une nouvelle épidémie de Covid 19 ?
La crise n’est pas derrière nous, les chiffres nous montrent que le virus recommence à se transmettre avec davantage de virulence. Nous devons tous être mobilisés pour nous protéger collectivement, et surtout protéger les plus faibles. J’ai eu le covid, j’ai 70 ans et je suis vacciné. Je souhaite entendre et échanger avec ceux qui contestent la vaccination, pour tenter de les convaincre, ou tout du moins de leur faire prendre conscience de la nécessité et de la proportionnalité des mesures à prendre.
Outremers 360: Lors de votre discours de prise de fonction, vous avez déclaré avoir entendu «L'appel de Fort-de-France » tout comme la première ministre Borne, appel prononcé par les présidents de collectivités en dernier? Quelle sera votre méthode pour renouer le dialogue avec les collectivités?
Ma méthode est d'être disponible, de les voir, de se dire les vérités. Le sujet, ce n'est pas les élus ou moi mais les ultramarins. Comme je l’ai dit, ma méthode est simple, trouver par le dialogue et la co- construction, des solutions concrètes aux problèmes de la vie quotidienne de nos compatriotes. Pas de fanfreluches ni de promesses vaines. De l’écoute, des échanges, des objectifs partagés, des actions qui dessinent l’avenir et inventent le monde de demain. Et l’«Appel de Fort-de France » est bien évidemment le premier appel que j’ai entendu.
Mes équipes et moi-même sommes là pour cela, pour trouver des solutions.
Je souhaite aussi mettre, au cœur de ma méthode, la valorisation des richesses culturelles et patrimoniales des Outre-mer. Faire rayonner les identités, les histoires, les arts et les œuvres. Sans vision « carcérale » de l’identité, comme le disait Aimé Césaire, mais bien comme chemin vers l’universel, qui ne soit pas une « négation, mais un approfondissement de notre propre singularité ».
Outremers 360: Une révision constitutionnelle va s’ouvrir avec la Nouvelle-Calédonie. Est-ce
que l’archipel pourrait être la locomotive d’une plus large refonte, réinvention des liens entre
l’Etat et les Outre-mer ? Sachant que c’est une demande élus de Guadeloupe dans leur
plateforme de propositions rédigée au lendemain de la crise sanitaire et sociale, les élus
de Guyane réunis en Congrès pour travailler sur l’évolution statutaire de département,
à l'heure où la Martinique tient son propre Congrès ou encore les trois députés indépendantistes ont été élus en Polynésie avec, dans leur programme, la création d’une citoyenneté polynésienne.
Nous sommes à un temps de la République où celle-ci doit s'intéresser de manière différente à ses Outre-mer. Les Outre-mer doivent être considérés comme une richesse absolue. Il nous faut refonder cette relation, les élus dans l'appel de Fort-de-France l'ont énoncé très clairement. Le Président de la République a également cela en tête.
Sur la Nouvelle-Calédonie, le Ministre de l'Intérieur et des Outre-mer doit s'y rendre prochainement. Il m'a demandé de l'accompagner, j'apporterais ma contribution. Nous sommes tous les deux d'accord pour dire, sur ce dossier, que l'on ne doit pas se presser. Nous ne partons pas avec des réponses avant d'aller sur le territoire, nous voulons être à l’écoute et trouver ensemble les réponses.
Outremers 360: Lors de la séance de questions aux gouvernement, vous avez annoncé vous
rendre prochainement aux Antilles la semaine prochaine. Quels seront les dossiers prioritaires que vous allez aborder ?
Je souhaite exprimer ma bonne volonté, dire que je suis prêt à ce qu'on regarde tous les sujets, discuter et travailler ensemble. Je veux donner un signe de respect et d'amitié. Ensuite, je sais que les préoccupations sont nombreuses : je pense au scandale de la chlordécone, aux sargasses, à la vie chère ou encore à l’avenir de la jeunesse, à l’emploi et au tourisme. Rien ne sera mis sous le tapis.
Outremers 360: Vous allez parlez à la radio à chaque territoire des Outre-mer pour le 14 juillet. Quel est le message que vous souhaitez faire passer ?
Je veux répondre, pour l’Outre-mer, à l’appel de l’artiste Abd AL MALIK : « République, ô ma
République, mais pourquoi donc ne m'as-tu pas dit que tu m'aimais ? … le 14 juillet est une date symbolique où l'on célèbre la République. Je veux donc souhaiter, directement, une bonne fête nationale à tous les ultramarins.