INTERVIEW.François Houllier, président de l’Ifremer : « Les Outre-mer sont des sentinelles du changement climatique »

François Houllier, président directeur général de l’Ifremer. ©Franck Betermin/ © Ifremer, Olivier Dugornay

INTERVIEW.François Houllier, président de l’Ifremer : « Les Outre-mer sont des sentinelles du changement climatique »

L'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer fête cette année ses 40 ans et met à l’honneur les projets scientifiques menés dans les Outre-mer, où l’Institut compte une centaine de personnes. Pour François Houllier, son président, les territoires ultramarins sont remarquablement intéressants par leur biodiversité et par leur diversité géographique.

 

Des propos recueillis par Marion Durand.

Interview de François Houllier, PDG de l’Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer).

Cette année, l'Ifremer fête ses 40 ans. En quatre décennies, votre institut a exploré l'océan, des abysses à la surface, de la côte au large tout autour du monde, y compris dans les Outre-mer. Depuis quand êtes-vous présents dans les territoires ultramarins ?

Notre institut est issu de la fusion de deux établissements, le Centre national d'étude pour l'exploitation des océans (CNEXO) et l’Institut scientifique et technique des pêches maritimes (ISTPM). À sa création en 1984, l’Ifremer a hérité de ces deux organismes et le CNEXO était déjà présent dans les Outre-mer, notamment dans le Pacifique, nous avons d’ailleurs fêté en 2022 nos 50 ans de présence à Tahiti. La plupart des stations ont été installées dans les années soixante-dix. La première a été inaugurée en Polynésie en 1972, suivie de celle en Nouvelle-Calédonie à la même période, puis des stations en Martinique et en Guyane française.

Quels ont été les projets marquants de l’Ifremer ces 40 ans dernière années dans ces territoires ?

Historiquement, dans ces territoires, on traite principalement des questions relatives à la pêche, particulièrement à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Guyane ou en Martinique. Dans d'autres territoires, on mène des projets liés à l'aquaculture, avec la crevette en Nouvelle-Calédonie et l'huître perlière en Polynésie française. De façon croissante, l’Ifremer se positionne sur des sujets liés à la qualité des eaux du lagon et de l’environnement.

Les Outre-mer sont des territoires remarquablement intéressants par leur biodiversité et par leur diversité géographique. Les conditions des Caraïbes ne sont pas celles de l'océan Indien ou du Pacifique. Ce qui peut nourrir la réflexion et la créativité des chercheurs.

Huîtres perlières dans le lagon de Taravao au Centre Ifremer de Tahiti.©Caisey Xavier

Les chercheurs installés dans les Outre-mer reçoivent-ils parfois le soutien de collègues hexagonaux ?

Effectivement, nous avons des stations dans les Outre-mer mais les interventions de la Flotte océanographique française sont aussi une autre forme de présence de l’Ifremer dans les territoires ultramarins. Le navire des Terres australes et antarctiques françaises, le Marion Dufresnes, est attaché à la Réunion et l’Ifremer en est le premier opérateur. Ce navire rayonne dans l'océan Indien et notamment dans l'Océan Austral et mène des campagnes d'observations, y compris autour des îles des Terres australes. Dans le Pacifique, nous avons l’Antéa basé à Nouméa. Demain, nous pourrons aussi compter sur le navire qui a été annoncé par le président de la République, le Michel Rocard, qui sera basé lui aussi en Nouvelle-Calédonie. D’autres navires de l'Hexagone sont aussi susceptibles d'aller en mission dans l'océan Indien ou dans le Pacifique.

Dans le Pacifique, l’Ifremer est présent à Tahiti et en Nouvelle-Calédonie, quel est le cœur du travail des chercheurs sur place ?

L'Ifremer mène des projets assez différents en Polynésie, je peux en citer deux qui reflètent la diversité de nos actions. On mène d’abord un projet avec le territoire et une société privée, Chanel, sur l'huître perlière et sa capacité d'adaptation au changement climatique. On essaie de comprendre quels sont les déterminants génétiques et physiologiques de l'adaptation de l'huître au réchauffement des eaux et quels sont les conséquences sur la qualité de la perle, de la nacre, sur sa couleur, etc.

Un deuxième projet en cours en Polynésie française, est d'établir une filière locale d'huîtres autochtones consommation dans le territoire, puisque actuellement les huîtres sont pour l'essentiel importées. On travaille sur deux espèces différentes pour monter cette filière huîtres et ainsi limiter les importations et favoriser la consommation locale.

Aquaculture de l'ombrine ocellée : cages flottantes.©Dugornay Olivier

Quels types de projets sont menés en Guyane ?

En Guyane, on mène une série de projets sur les pêches plurispécifiques. On a des travaux sur la biodiversité des écosystèmes côtiers dans les petits estuaires très répandus dans le pays. Ces estuaires et la côte sont bordés de mangroves, ces espèces d'arbres qui poussent en bordure de mer. Un des objectifs de nos recherches est de comprendre le rôle des mangroves et des habitats côtiers dans la reproduction et le cycle de vie d’espèces de poissons et d'invertébrés. On observe ainsi les larves, les juvéniles, toutes les espèces qui vivent, naissent et se reproduisent dans ces mangroves.

Dans les Antilles, l’Ifremer développe des projets de recherches divers sur l’impact de la chlordécone ou sur la ciguatera, cette maladie transmise par des poissons contaminés…

En Martinique, les chercheurs sont confrontés à des questions différentes de celles des autres territoires. Nous menons en effet des travaux sur la distribution de la chlordécone, ce pesticide d’origine agricole utilisé dans les bananeraies qui a empoisonné les sols antillais. On mène des travaux pour caractériser sa présence en mer et ses origines, on étudie comment il arrive dans l'environnement marin et sa présence dans la chaîne alimentaire marine.

À la Réunion, pensez-vous à un projet en particulier ?

À la Réunion, un chercheur développe une planche de surf autonome instrumentée qui permettra de relever des informations en temps réel sur l'état de santé des habitats récifaux. Il a installé sur cette planche des capteurs pour à enregistrer toute une série d'informations qui permettent de mieux connaître le récif et sa biodiversité.

Le potentiel des Outre-mer est-il, selon vous, suffisamment exploité ?

Aujourd’hui, l’Ifremer compte une centaine de personnes dans les Outre-mer. Si on rapporte ce chiffre à la taille de l'Institut (1400 personnes au total), ça représente environ 8 % de l'effectif. Mais dans ce chiffre, on n’inclut pas les chercheurs qui se rendent régulièrement dans les territoires pour des projets. Pourtant c'est très fréquent que des collègues brestois, normands, sétois ou nantais s’y déplacent. Il ne faut pas limiter la force de l'Ifremer dans les Outre-mer aux seuls chercheurs qui y résident. Mais il est vrai que ces territoires représentent 97 % de la zone économique exclusive française, c'est un espace immense, doté d’une biodiversité exceptionnelle, sur la côte comme au large, en surface comme dans les profondeurs. Les Outre-mer restent des espaces de développement très importants et on a sans doute intérêt à mettre un peu plus l'accent sur les recherches menées dans ces eaux marines.

L'échantillonnage passif est une technique qui permet d'extraire et de concentrer in situ différentes familles de contaminants chimiques.©Dugornay Olivier

Ces territoires seront-ils mieux dotés financièrement à l’avenir ?

L’Ifremer ne prévoit pas d'aller renforcer sa présence dans ces territoires mais l’un de nos objectifs est de mieux faire travailler les équipes en réseau, de favoriser les échanges et de développer des liens avec l'Agence française de développement. Un autre axe de développement, c'est de travailler avec les universités des territoires et de poursuivre nos partenariats avec les autres instituts. L’Ifremer a aussi milité pour que le programme prioritaire de recherche Océan Climat de 2021 inclue spécifiquement un volet sur les Outre-mer. C'est une manière de mettre des moyens et d'attirer des chercheurs sur les sujets ultramarins.

Quels sont les grands projets à venir de l’Ifremer dans les Outre-mer ?

Nous avons deux projets d'installation d’observatoires dans les Outre-mer. Le premier, à Mayotte, fait suite à la découverte du volcan sous-marin. Depuis les tremblements de terre, nous avons organisé une campagne océanographique et mené une série de travaux de suivi de ce volcan et de la crise sismovocalnioque. À présent, avec cet observatoire, l’objectif est de pouvoir continuer les travaux en géologie mais aussi en écologie puisque les écoulements sous-marins de laves ont remodelé les fonds marins et un nouvel écosystème est apparu. On va installer des capteurs permanents, notamment un câble instrumenté, qui permettra de mesurer et d'observer de façon régulière le fond de la mer et la colonne d'eau au large de Mayotte.

En Nouvelle-Calédonie, nous souhaitons installer un second observatoire pour étudier les monts sous-marins, ces petites montagnes immergées entre quelques centaines et quelques milliers de mètres de profondeur. L’observatoire permettra de décrire l’incroyable biodiversité présente entre le sommet et le bas du mont. Nous souhaitons aussi comprendre comment les courants profonds modifient la vie sous-marine dans ces zones.

Mesures à l'aide d'une sonde multi-paramètres dans la rivière de Montsinéry, en Guyane pour mieux connaître les écosystèmes côtiers et leur fonctionnement.©Lesbats Stéphane

Quels sont les enjeux des sciences marines en Outre-mer dans les années à venir ?

La plupart des territoires ultramarins sont des îles, elles sont donc très soumises aux changements climatiques et aux changements globaux. Les questions de la montée du niveau de la mer, du réchauffement, de l'acidification des océans, de la survie des coraux, de la multiplication à venir des événements extrêmes sont des questions importantes et leurs conséquences affecteront vraiment les petits États insulaires. Les Outre-mer sont des sentinelles du changement climatique et du changement global.

Le deuxième enjeu, c’est d’accompagner ces territoires à se tourner davantage vers la mer. À part la Polynésie française et Saint-Pierre-et-Miquelon, les autres sont davantage tournés vers l'intérieur, à mon sens, l’environnement marin est valorisé surtout sous l'angle du tourisme. Je pense qu'il y a un véritable enjeu à tirer parti des ressources marines pour leur propre développement. Ces territoires sont aussi confrontés à des questions de pollution, notamment d'origine continentale : le nickel, la chlordécone, le mercure, le plastique, les eaux usées. Tout cela finit par polluer les lagons et les eaux côtières, si essentiel à ces territoires.

L'objectif de l'Ifremer c'est aussi d'aider ces territoires à se préparer à tous les bouleversements à venir en lien avec le changement climatique ?

L’adaptation, l’anticipation et la résilience face au changement global sont essentielles. Notre ambition à l’Ifremer, c'est que nos recherches servent dans ce sens. Si on décrit et prévoit finement ce qu’il se passera à l’avenir, les territoires pourront mettre en place des stratégies d’adaptation. Il faut en effet améliorer la résilience et favoriser le développement de ces territoires insulaires, et gérer les ressources de façon plus durable.