Innovation: Avec la start-up ClikOdoc, le Martiniquais Rodolphe-Emmanuel Hospice rêve d’une licorne née dans les Outre-mer

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Innovation: Avec la start-up ClikOdoc, le Martiniquais Rodolphe-Emmanuel Hospice rêve d’une licorne née dans les Outre-mer

Il vient de franchir un nouveau cap avec une levée de fonds de 1,1 million d’euros. Rodolphe-Emmanuel Hospice, cofondateur et CEO de la plateforme ClikOdoc, poursuit son objectif : faciliter l’accès aux soins grâce au numérique, dans les Outre-mer et désormais à l’international. En parallèle, le Martiniquais ingénieur de formation, a été sélectionné cette année parmi les 40 talents d’avenir du Top 40 Outre-mer de l’Institut Choiseul. Depuis sa Martinique natale, il ambitionne de bâtir une licorne : une start-up valorisée à plus d’un milliard d’euros, capable de transformer l’accès à la santé à l’échelle mondiale. Une ambition portée par une vision technologique ancrée dans les réalités des besoins insulaires.

C’était il y a quelques mois à peine : après un an de négociations, de va-et-vient juridiques et de relectures interminables, ClikOdoc boucle une levée de fonds de 1,1 million d’euros. « C’était la veille de Noël : un vrai soulagement, presque un symbole », confie Rodolphe-Emmanuel Hospice, cofondateur de la plateforme. Ce financement marque un tournant pour la start-up martiniquaise, qui ambitionne de devenir un acteur clé de la e-santé, depuis les Outre-mer jusqu’au Moyen-Orient.

En effet, depuis sa création en 2017, ClikOdoc ne cesse d’innover en matière d’accès aux soins. L’entreprise, bien implantée en Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion, et qui propose un service de prise de rendez-vous médicaux pensé pour les réalités des territoires ultramarins, revendique aujourd’hui plus de 700 praticiens inscrits et près de 900 000 patients référencés. « Cette levée nous permet de consolider notre présence sur les trois territoires historiques, mais aussi de lancer nos premiers pilotes dans l’Hexagone et en Arabie saoudite. » En parallèle, le jeune dirigeant a été distingué cette année par l’Institut Choiseul, qui l’a intégré au palmarès des 40 talents d’avenir des Outre-mer. À la question « Qu’est-ce que représente cette distinction, à votre avis ? Qu’est-ce que l’on distingue chez-vous ? », le Martiniquais répond très sobrement : « Je n’y avais pas vraiment réfléchi, mais je pense que ce que l’Institut Choiseul a voulu distinguer, c’est avant tout la résilience... Des structures comme la nôtre, issues des Outre-mer et avec une ambition de développement international, il n’y en a pas tant que ça. Et puis, je crois que c’est aussi une reconnaissance de l’impact. On sait qu’on a un effet réel sur des milliers de personnes. Et ça, à mon avis, c’est quelque chose qui compte. »

 

Une solution née d’un besoin très concret

Avant d’être un projet d’envergure, ClikOdoc est né d’un besoin du quotidien. En rentrant en Martinique, Rodolphe-Emmanuel Hospice rend visite à son père, ophtalmologue. Il découvre un cabinet débordé, malgré deux secrétaires. L’idée émerge de ce constat : l’accès aux soins pourrait être simplifié grâce au numérique. Avec son frère, il commence alors à développer une plateforme. Les premiers retours sont immédiats. « On a démarré à partir d’un cabinet d’ophtalmologue, donc avec des besoins complexes. Du coup, on a dû très vite proposer des outils pointus, adaptés. » L’intuition familiale se transforme rapidement en entreprise collective. « Ma mère nous a aussi aidés au départ, mais aujourd’hui l’équipe n’est plus familiale. Mon frère n’est plus là et nous avons recruté d’autres profils entre-temps. On peut néanmoins dire que c’est une équipe engagée et très connectée aux réalités du terrain. »

Ce terrain, ClikOdoc l’observe de près. L’insularité, la distance, les liens sociaux, la gestion collective des soins : autant de spécificités que la plateforme a intégrées à son développement. « On a par exemple très vite mis en place la gestion des membres de la famille. Parce que dans nos territoires, c’est souvent une fille, un petit-fils, un voisin qui prend les rendez-vous pour les autres. » Depuis ses débuts, ClikOdoc revendique une approche collaborative. « On a toujours co-construit avec les praticiens. Un chirurgien nous appelle, on développe sa demande, et deux mois plus tard, c’est en ligne.»

C’est cette proximité qui a permis à la plateforme de séduire les professionnels, d’abord en Martinique, puis en Guadeloupe, et enfin à La Réunion. « On est à plus de 3,9 millions de rendez-vous pris depuis le début. On va passer les 4 millions dans quelques semaines. » À l’échelle des territoires, la donnée est significative. « En Martinique, il y a moins de 500 médecins libéraux. On en a déjà plusieurs centaines sur la plateforme. » Les personnes âgées semblent aussi sensibles à la démarche. « On pensait qu’elles seraient plus à l’aise sur ordinateur. En fait, elles préfèrent l’appli. On a donc travaillé là-dessus. On a même des patientes qui nous disent qu’elles changent de praticien s’il n’est pas sur ClikOdoc ! »

Une stratégie de développement maîtrisée

À court terme, l’objectif est clair : renforcer la présence et les offres sur les territoires existants. « On veut que la Martinique, la Guadeloupe et La Réunion soient nos vitrines. Des territoires où notre solution est installée, fluide, connue. » La suite se construit en parallèle. En Guyane, d’abord. « C’est une priorité, mais aussi un vrai défi logistique. Le territoire est vaste, la couverture réseau encore inégale. Il faut adapter notre approche. » Dans l’Hexagone, la stratégie passera par des partenariats. « On ne veut pas grandir pour grandir. Ce qui nous intéresse, c’est d’être utiles là où on est, et là où on va. » Ce développement ne pourra pas se faire sur tous les territoires ultramarins. « Parfois, les conditions ne sont pas réunies : pas assez de praticiens, une structure réseau trop fragile, ou un décalage horaire très compliqué… On ne peut pas être partout. Et on ne veut pas faire semblant. »

À l’international, une destination revient : l’Arabie saoudite. Le projet y est déjà bien avancé. Un pilote devrait démarrer cette année. « Ce qu’on a vu, c’est qu’en dehors des grandes villes, il n’existe quasiment aucun système de prise de rendez-vous en ligne. On gère tout à la main. Parfois même sur WhatsApp. » À ce titre, la levée de fonds de 2024 est une étape. L’objectif, dans un an, est de passer à une série A. « Si on délivre ce qu’on a promis, on veut aller chercher cinq à six millions. Puis une levée beaucoup plus importante d’ici deux ou trois ans. » À moyen terme, Rodolphe-Emmanuel Hospice espère faire émerger « la première licorne née dans les Outre-mer », une start-up valorisée à plus d’un milliard de dollars, non cotée en bourse et non filiale d’un grand groupe. « On manque de récits d’entrepreneurs qui viennent de nos territoires et qui réussissent. Si on peut montrer que c’est possible, alors on aura déjà fait une partie du chemin. »

C’est une vision ancrée dans cette capacité à identifier les besoins locaux et à construire des solutions à portée globale qui se déploie désormais à l'international. Les prochains mois seront décisifs dans ce travail de consolidation.

Abby Said Adinani