[DOSSIER] Santé en Outre-mer : Des territoires aux avant-postes de la recherche médicale (5/5)

Clément Rabaly en contrôle visuel des cultures bactériennes sur des milieux sélectifs ©C.Maurines-Carboneill / Cirad

[DOSSIER] Santé en Outre-mer : Des territoires aux avant-postes de la recherche médicale (5/5)

Diabète et hypertension, maladies vectorielles et infectieuses, pathologies d’origine génétique… Si les systèmes de santé ultramarins sont confrontés à de nombreuses difficultés, ces problématiques sont aussi le terreau d’une recherche médicale dynamique et innovante. Dernier volet de notre dossier consacré à la santé dans les Outre-mer.

Par Marion Durand.

Les Outre-mer sont de véritables laboratoires d’innovations. Ces territoires offrent, sur bien des aspects, des thématiques spécifiques d’études grâce à leur diversité géographique, ethnique, démographique, climatique ou à leur biodiversité exceptionnelle. Sur le plan sanitaire d’abord, les populations ultramarines sont très touchées par des pathologies chroniques comme le diabète ou l’hypertension. Il existe aussi des pathologies génétiques liées aux origines ethno-géographiques des populations. 

« On parle de notre ‘exposome’, c’est l’ensemble des facteurs auxquels sont exposées les populations. Pour la Guyane, on peut citer la malnutrition, l’obésité, le diabète, les maladies infectieuses, l’exposition aux métaux lourds, etc. Tout ce terreau va façonner une épidémiologie bien distincte à celle de la métropole », détaille le directeur du Centre d’investigation clinique (CIC) Antilles Guyane, le professeur Mathieu Nacher. Le CIC inter-régional a justement été créé en 2008 pour apporter des réponses adaptées aux problématiques dans les Antilles et en Guyane.

La Guyane, un terrain d’étude unique

La situation géographique des territoires ultramarins les rend parfois vulnérables. « Ce sont des territoires aux carrefours de différentes régions, en pleine globalisation et où des flux touristiques et de marchandises sont importants », complète Thierry Baldet, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). « Les Outre-mer sont aussi des territoires fragiles et isolés, soumis aux aléas climatiques, ils font face à de nombreux problèmes environnementaux comme le déclin de la biodiversité ». Tous ces facteurs rendent la recherche médicale unique dans chacun des territoires, répartis sur plusieurs continents et sous plusieurs latitudes.

Les climats tropicaux ultramarins favorisent aussi le développement de maladies infectieuses et la grande biodiversité est un terrain propice au développement de maladies émergentes. « La plupart des pathogènes qui affectent l’homme viennent des animaux donc on a tout intérêt à les étudier, estime l’entomologiste médical. On a de nombreux exemples dans la région de maladies zoologiques présentes ou à risque d’émergence. C’est le cas de la Leptospirose, une maladie environnementale dont les réservoirs sont les rats. Elle est en recrudescence à la Réunion et dans d’autres territoires d’Outre-mer. »

Brice Derepas en train de prélever des larves de moustiques (Aedes albopictus) ©L.Marquereau

La Guyane est le seul territoire européen touché par une grande diversité de pathologies tropicales. La forêt amazonienne est donc un terrain de jeu sans fin pour les chercheurs guyanais. « La biodiversité remarquable de ce territoire ouvre le champ à l’étude des réservoirs de la faune, des vecteurs et des agents pathogènes », décrit un rapport du Haut conseil de la santé publique. Thierry Baldet rappelle que « la proximité d’autres territoires français avec des zones de grande diversité biologique, comme Madagascar pour La Réunion, montre que la recherche au sein des territoires est essentielle ».

Dans les Outre-mer, véritables hotspots de biodiversité, les chercheurs s’inspirent de la nature pour innover. « Certains collègues travaillent sur des substances naturelles d’intérêt thérapeutique issues de la pharmacopée traditionnelle réunionnaise qui pourraient être utilisées en complément, en médicament sur certaines maladies chroniques », ajoute l’entomologiste réunionnais.

La chercheuse polynésienne Mireille Chinain, directrice du laboratoire des biotoxines marines a récemment reçu le prestigieux prix Yasumoto Lifetime Achievement Award pour ses travaux sur ces algues ©TNTV

En Polynésie, l’Institut Louis Malardé a mené des travaux de recherche inédits sur la ciguatera, une maladie d'origine alimentaire causée par la consommation de poissons contaminés par une toxine appelée « ciguatoxine ». La chercheuse Mireille Chinain, directrice du laboratoire des biotoxines marines a récemment reçu le prestigieux prix Yasumoto Lifetime Achievement Award pour ses travaux sur ces algues. « En utilisant des outils moléculaires, j’ai décrit, en Polynésie, quatre nouvelles espèces dont Gambierdiscus polynesiensis qui est aujourd’hui connue à travers le monde comme étant la plus toxique », raconte la chercheuse à nos confrères de TNTV.

« Les territoires d’Outre-mer préfigurent ce qu’il peut se passer dans l’Hexagone »

Depuis de nombreuses années, les collectivités d’Outre-mer sont régulièrement confrontées à des épidémies d’arboviroses comme la dengue, le chikungunya ou le Zika, maladies transmises par les moustiques. Dans chacun des territoires, des mesures de surveillance et de gestions épidémiques ont été mises en place puis adaptées au fil des années. « À La Réunion, il existe un plan pour les épidémies de dengue, avec différents seuils selon la gravité de la situation. Ce type de réponse a été pensé, réfléchit, et discuté avec tous les acteurs locaux : préfet, pompiers, collectivités locales, mairies, ajoute Thierry Baldet. Concrètement, ce type de riposte graduel est riche d’enseignement pour la métropole. Ces mesures de gestion et de contrôle pratiquées dans les Outre-mer pourraient servir à l’avenir. »

Alors que les épidémies de dengue restaient cantonnées aux territoires ultramarins, quelques cas ont récemment été recensés dans l’Hexagone. « Un jour ou l’autre, l’Europe fera face elle aussi à des grosses épidémies », ajoute le chercheur pour qui « les territoires d’Outre-mer préfigurent ce qu’il peut se passer dans l’Hexagone ». La recherche médicale ultramarine, au-delà d’être utile pour les territoires tropicaux, bénéficiera à un nombre croissant de départements métropolitains à l’avenir.

Étapes d'isolements bactériens sur gélose sélective chromogène ©C.Maurines-Carboneill / Cirad

« C’est notre responsabilité de générer des connaissances »

Pour le directeur du Centre d’investigation clinique Antilles Guyane, il en va de la responsabilité des territoires de mener des projets de recherche pour servir leur population : « On applique des plans de santé publique qui viennent de Paris mais la réponse n’est pas toujours adaptée à nos territoires. Nous devons avoir une meilleure connaissance de nos territoires, c’est notre responsabilité de générer des connaissances utiles pour les problèmes de santé régionaux ».

Les territoires cherchent aussi des solutions pour améliorer un système de santé confronté à de nombreuses difficultés : pénurie de médecins, isolement de certaines communes, manque de matériel, infrastructures inadaptées. Le manque de professionnels de santé ouvre des perspectives à la délégation de tâches entre soignants ou à la pratique de la télé-médecine. C’est le cas dans les zones rurales de Nouvelle-Calédonie où les dispensaires font face à des problèmes de recrutement. « On a mis en place des télé-consultations pour faire face à la pénurie de médecin. L’infirmière assiste le patient au sein du dispensaire lors d’une consultation en visioconférence avec un médecin situé à Nouméa », décrit Pierre-Emmanuel Bourgeois, secrétaire général adjoint de l’Ordre des médecins de Nouvelle-Calédonie.

Mais si les territoires ultramarins sont aux avant-postes de la recherche médicale, le travail des chercheurs n’est pas suffisamment reconnu, selon Mathieu Nacher. « Quand on regarde ce qui est produit par la Guyane, on est un des acteurs clés de la recherche mais personne ne le sait. Notre invisibilité relève du fait qu’on est fragmenté dans différentes structures », considère-t-il. Une Unité mixte de recherche en santé des populations en Amazonie verra le jour en janvier 2025. Cette unité regroupera, selon les informations du directeur, l’Institut pasteur, le Centre d’investigation clinique, le futur centre hospitalier et l’Université de Guyane. Ce centre placera, sans aucun doute, la Guyane au cœur de la recherche mondiale.

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