[DOSSIER] Santé en Outre-mer : Les nouveau-nés plus vulnérables dans les territoires ultramarins (1/5)

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[DOSSIER] Santé en Outre-mer : Les nouveau-nés plus vulnérables dans les territoires ultramarins (1/5)

Dans les Outre-mer, la mortalité infantile est deux fois supérieure à celle relevée dans l’Hexagone. Précarité sociale et économique des familles, absence de suivi des grossesses, prématurité des nouveau-nés, malformations cardiaques ou maladies infectieuses… De nombreux facteurs expliquent des taux frôlant les 9 % de décès. Premier volet de notre dossier consacré à la santé dans les Outre-mer.

 

Par Marion Durand.

Un nouveau-né qui voit le jour dans un territoire ultramarin a moins de chance de survivre qu’un enfant naît dans la plupart des départements de l’Hexagone. Que ce soit dans le Pacifique, dans les Antilles ou dans l’océan indien, le taux de mortalité infantile (survenue avant l’âge d’un an) est bien plus élevé dans les Outre-mer. En France métropolitaine, ce triste chiffre s’élève à 3,5 %. Il est de 7,7 % en moyenne dans les départements ultramarins et varie selon les territoires.

Cette surmortalité infantile est plus forte à Mayotte (8,9 %), en Guyane (8,2 %) et en Guadeloupe (8,1 %) selon une étude publiée en juin dernier par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).

Dans la plupart des territoires, la surmortalité infantile concerne surtout les trois semaines après la naissance. Les décès survenant dans les onze mois suivants sont plus fréquents que dans l’Hexagone mais restent inférieurs à la période néonatale.

Si les chiffres sont importants, il est toutefois difficile pour les professionnels de santé d’en établir les causes précises rappelle le pédiatre Olivier Fléchelles, chef de pôle à la Maison de la femme, de la mère et de l’enfant en Martinique. « On voit bien que la mortalité est plus élevée, mais les explications ne sont pas claires. Il existe plusieurs pistes mais c’est d’abord un problème lié à la précarité et à la vulnérabilité sociale et économique d’une partie de la population. »

Précarité et mortalité infantile

En France, les départements les plus touchés par la précarité sociale (Seine-Saint-Denis) sont les plus concernés par la mortalité infantile. Les Outres-mer, où la pauvreté est cinq à dix fois plus élevée qu’en métropole, sont donc particulièrement touchés. L’incidence des maladies chroniques comme l’hypertension, l’obésité ou le diabète, connues pour entraîner des conséquences négatives sur la grossesse, y est aussi très élevée. Environ 23 % de la population ultramarine est obèse. En Martinique, l’hypertension artérielle est retrouvée chez 7,8 % des femmes durant la grossesse contre 4,3 % dans l’Hexagone, selon l’enquête nationale périnatale menée en 2021. On apprend aussi qu’une femme enceinte sur 10 est en situation d’obésité sévère dans ce territoire des Antilles.

« L’obésité des mères pendant la grossesse, l’importance des anémies et de l’hypertension artérielle, la précarité, le taux de prématurité, le petit poids des enfants à la naissance » sont autant de facteurs de risques de mortalité infantile selon l’Agence régionale de santé de Guadeloupe.

Pour le pédiatre guyanais Lindsay Osei, auteur d’une étude à ce sujet, les problèmes de santé survenus durant la grossesse sont en partie liés « à un mauvais suivi médical entraînant des complications telles que des accouchements prématurés, des malformations et des anomalies génitales ».

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Prématurité et malformations cardiaques

La prématurité est un autre déterminant de la mortalité infantile. En Guyane, 13,5 % des enfants naissent prématurés, c’est-à-dire avant huit mois et demi de grossesse, et l’extrême prématurité (enfants qui naissent à partir de 5 mois et demi et pèsent 500 g) est élevée, ce qui implique des risques d’infection et des décès selon le professeur Narcisse Elenga.

La Réunion compte elle aussi beaucoup de bébés prématurés. L’Agence régionale de santé du territoire dénombre 1200 naissances avant le terme en 2020, soit environ 9%. « En Martinique, plus de la moitié des décès d’enfants nés vivants dans les 7 premiers jours concernent des enfants nés à moins de 1,5 kg », indique Malika Lamalle, coordinatrice du réseau santé Perinat Matnik.

En Guyane, les malformations cardiaques sont une autre cause de mortalité infantile. Le professeur Narcisse Elenga, chef du service pédiatrie au Centre hospitalier de Cayenne, relève qu’entre 2005 et 2015, 666 décès d’enfants âgés de moins d’un an ont été recensés, dont 132 (19,8 %) étaient attribuables à des malformations congénitales et à des anomalies chromosomiques. « Cela peut s’expliquer par des infections, des causes génétiques, des causes nutritionnelles ou des causes toxiques, poursuit-il. Un enfant avec une malformation cardiaque qui naît dans de bonnes conditions, c’est-à-dire à l’hôpital, pourra être rapidement pris en charge dans les Antilles ou dans l’Hexagone. Mais s’il ne l’est pas, parce qu’il est né en dehors d’un hôpital où s’il est perdu de vue après la naissance, il décédera souvent de ces malformations. »

À Mayotte, les professionnels de santé pointent aussi la période périnatale (avant la naissance). Dans une étude parue en mars 2020 intitulée « De quoi les enfants meurent-ils à Mayotte ? », la médecin généraliste Marie-Laure Claudel met en évidence les principales causes : « la prématurité (21,1 %), les malformations congénitales et les anomalies chromosomiques (27,2 %), les maladies du système nerveux (épilepsie, paralysie cérébrale) (24,7 %) ». Selon elle, la prématurité ou les carences nutritionnelles pourraient être évitées grâce à « l’amélioration des conditions de vie et de l’accès aux soins des populations via la mise en place de l’Aide médicale d’état et le renforcement des structures de Protection maternelle et infantile (PMI) ».

Une couverture vaccinale faible

Dans les Outre-mer, petits et grands peuvent être contaminés par des maladies répandues sur les territoires qui sont assez rares ailleurs. C’est le cas des arboviroses comme la dengue, le Zika ou le chikungunya, des maladies transmises par l’intermédiaire de moustiques infectés. Mais elles sont très rarement responsables de décès chez les enfants. « Bien que les maladies vectorielles représentent un poids sanitaire important en Guadeloupe, leur impact sur la mortalité infantile est faible », estime l’ARS.

D’autres maladies sont, elles, plus mortelles pour les nouveau-nés. Le chef du service pédiatrie du CHC rappelle que les maladies infectieuses sont responsables qu’un quart des décès des enfants âgés de zéro à 16 ans en Guyane. « Ici, le taux de couverture vaccinale est le plus faible de France ce qui rend la population et les enfants plus vulnérables et favorise la propagation des maladies infectieuses ».

Service de réanimation néonatale du CHC/ Jody Amiet

Si la vaccination contre l’Hépatite B chez les enfants s’améliore en Guyane, ce n’est pas le cas de la vaccination contre le pneumocoque, où seulement 47,8 % des enfants de 24 mois étaient vaccinés en 2017, contre 92 % dans la France entière. « Cette situation est identique à celle des pays en développement », regrette le pédiatre guyanais.

Les Mahorais sont aussi touchés par des maladies infectieuses peu présentes au niveau national, comme l'hépatite A, le choléra ou des épidémies de fièvres typhoïdes. « En 2018, Mayotte enregistrait encore 140 cas de leptospirose et 54 cas de tuberculose. En outre, dans son contexte géographique, le paludisme demeure un problème de santé publique, avec une recrudescence de cas importés », note un rapport du Sénat sur la situation sanitaire à Mayotte en 2022.

Isolement des territoires

L’isolement des territoires rend aussi le suivi des grossesses plus difficile. « En Guyane, un quart des enfants décédés habitaient dans les communes de l’intérieur, précise le professeur Narcisse Elenga. Dans 63 % des cas, les décès surviennent dans une structure de soin mais 20 % se passent à domicile. » Pour résoudre ce problème d’accès aux soins, l’Agence régionale de santé et les centres de PMI souhaitent créer des équipes mobiles, capables de se déplacer dans les coins reculés de la forêt guyanaise pour améliorer la couverture vaccinale.

Le manque de médecin dans certaines communes de Polynésie, des Antilles ou de Nouvelle-Calédonie ne permet pas à toutes les futures mères de bénéficier d’un accompagnement médical régulier. « Le suivi des femmes enceintes est moins bon en brousse qu’à Nouméa. Les populations hors du grand Nouméa sont confrontées à une pénurie de médecins et de sage-femme », estime Jean-Paul Grangeon, médecin et ancien directeur adjoint en charge de la santé publique à la Direction des affaires sanitaires et sociales (Dass) en Nouvelle-Calédonie. Pour lui, la mortalité infantile sur le Caillou (7,1 %) s’explique surtout par un accompagnement médical insuffisant des grossesses, ce qui « ne permet pas de traiter des pathologies liées au diabète ou des infections comme la toxoplasmose ou la rubéole ». Le pédiatre martiniquais Olivier Fléchelles abonde lui aussi dans ce sens : « Il n’y a presque plus aucun pédiatre installé en libéral chez nous et à l’hôpital, on ne peut pas faire le suivi qu’il faudrait ».

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