[DOSSIER] Santé en Outre-mer. Jean-Mathieu Defour, directeur du Centre hospitalier de Mayotte : « Un hôpital ultramarin est bien plus difficile à gérer » (2/5)

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[DOSSIER] Santé en Outre-mer. Jean-Mathieu Defour, directeur du Centre hospitalier de Mayotte : « Un hôpital ultramarin est bien plus difficile à gérer » (2/5)

Alors que Mayotte a été paralysée par les blocages, le Centre hospitalier tient bon et se prépare à une nouvelle crise : l’arrivée possible d’une épidémie de choléra en provenance des Comores. Pour le deuxième épisode de notre dossier consacré à la santé dans les Outre-mer, Jean-Mathieu Defour, directeur général de l’hôpital revient sur les multiples problèmes que rencontre le système de santé mahorais et sur la difficulté d’administrer un hôpital ultramarin par rapport à un établissement de l’Hexagone.

Par Marion Durand.

Mayotte ne parvient pas à sortir de la crise. Le département le plus pauvre de France est toujours paralysé par un important mouvement de contestation. Sur les barrages, les Mahorais dénoncent l’insécurité et l’immigration irrégulière. Ces blocages ont perturbé le fonctionnement de l’hôpital de Mamoudzou et de nombreux soignants ont été menacés ou empêchés de se rendre sur leur lieu de travail. Alors que le système de santé mahorais est déjà en grande difficulté, ces menaces n’ont fait qu’exacerber les tensions.

Si l’hôpital de Mayotte sort petit à petit de la crise, selon son directeur, les professionnels de santé se préparent déjà à une nouvelle crise : l’arrivée possible d’une épidémie de choléra en provenance des Comores.

Jean-Mathieu Defour, directeur général de l’hôpital revient pour Outremers360 sur les derniers mois, entre blocages et pénurie d’eau, et nous parle des difficultés que rencontre l’hôpital depuis de très nombreuses années : pénurie de soignants, urgences surchargées, manque de lits à la maternité, épidémies successives.

Marion Durand : L’hôpital de Mayotte fait face à une situation sans précédent. La crise en cours sur le territoire paralyse l'hôpital et entraîne d'importants retards de soins. Comment se sont passés les derniers jours au sein de l’hôpital ?

Jean-Mathieu Defour : Malgré la crise, nous avons assuré la permanence des soins, le service des urgences a continué de fonctionner, tout comme le service biomédical. Il y a eu des retards de soins, car nos pompiers ou nos personnels soignants ne pouvaient pas toujours passer les blocages mais la situation est en train de s’améliorer. Même s'il y a encore des barrages ponctuels, globalement depuis quelques jours, les services d'urgences et les personnels de santé arrivent à venir travailler.

Au plus fort de la crise, le centre hospitalier de Mayotte tournait avec seulement 40% de l'effectif. Aujourd’hui, les professionnels arrivent-ils à se rendre au travail ?

On fonctionne aujourd’hui avec 80 % de nos effectifs. La situation s’améliore doucement dans les services mais nous faisons face à une nouvelle urgence : une éventuelle crise épidémique de choléra. Exit la crise des barrages, on se prépare à présent à une nouvelle crise, même si aucun cas n’a encore été détecté à Mayotte.

Cette épidémie de choléra sévit aux Comores depuis quelques semaines. Quel est le dispositif mis en place pour prévenir et éviter que l’épidémie n’atteigne Mayotte ?

L’Agence régionale de santé (ARS) a mis en place un dispositif renforcé des règles sanitaires et l'hôpital met en place son plan d'organisation en cas d'épidémie. Les Comores ne sont pas loin de Mayotte, beaucoup de Comoriens rejoignent notre territoire et ces personnes ne sont pas toujours dans des situations régulières. Le risque c'est que l’un d’entre eux apporte cette maladie sur l’île. Contenu des conditions d'accueil dégradées, il ne faudrait pas qu’une épidémie se développe. Le CHM et nos centres de référence surveillent de près cette épidémie et se préparent à prendre en charge d’éventuels patients.

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Quelle est l'organisation que vous mettez actuellement en place ?

C'est une organisation classique en cas d’épidémie. Un travail de détection est mené avec l’ARS, on soigne et on isole les cas suspects, s'ils sont négatifs ils peuvent rentrer chez eux, s'ils sont positifs ils sont pris en charge dans des secteurs déterminés et isolés.

Une importante pénurie d'eau frappe Mayotte depuis mars dernier. Quelles sont les conséquences pour l’hôpital ?

Il n'y a pas eu de conséquences directes car nous avons été alimentés constamment en eau. Nous n'avons pas eu de coupures, ni à l'hôpital ni dans les centres périphériques. On a fait des réserves d'eau en bouteille pour les distribuer aux patients et au personnel. La crise de l'eau est aussi en train de se terminer, mais il est vrai qu’on a vécu une période de fragilisation des patients, notamment avec des enfants qui souffraient de diarrhées, mais personne n'est mort de soif.

Cette crise n’a fait qu’empirer une situation déjà compliquée pour l’hôpital, qui souffre particulièrement du manque de personnel médical…

Les professionnels de santé de l'hôpital ou les libéraux ont été ciblés sur les barrages, on ne sait pas trop pourquoi. Des propos extrêmement désagréables ont été tenus et certains professionnels n'ont pas supporté. Que la population ait du ressentiment contre le CHM parce qu'ils estiment qu'on est la voie d'entrée d'une immigration illégale, d’accord, mais je ne comprends pas qu'on s'en prenne aux soignants, ils y sont pour rien, ils font seulement leur travail. On est un hôpital public, on prend en charge tous les patients, sans distinction de sexe ou de nationalité ! Que les soignants se fassent agresser verbalement sur les barrages ou ailleurs est totalement incompréhensible. Un certain nombre de professionnels, médecins et infirmiers, ont décidé de démissionner et de quitter le territoire.

Jean-Mathieu Defour, directeur du Centre hospitalier de Mayotte ©Mayotte Hebdo

Ces démissions concernent beaucoup de soignants ?

Ces derniers jours, dans le service psychiatrie, dix infirmiers ont décidé de quitter Mayotte. Un certain nombre de médecins, qui devaient prendre un poste ici, nous ont annoncé qu'ils ne viendraient pas. Il faut savoir qu'avec cette crise des barrages, on a été obligé de mettre en place une cellule d'écoute psychologique pour les soignants de l'hôpital et pour les soignants libéraux. Il y a une certaine défiance d'une partie de la population envers les professionnels de santé.

Cette situation arrive alors que l'hôpital a déjà d'autres problèmes. Vous manquez de lits dans plusieurs services, les urgences sont surchargées. Quels sont les problèmes auxquels vous faites face, vous, au quotidien en tant que directeur d'hôpital ?

Le CHM est un hôpital qui a grandi trop vite, on a de plus en plus de patients mais on ne peut pas pousser les murs. On a besoin de plus de lits, c'est pour cela qu’on mène un projet de restructuration du centre hospitalier de Mayotte en parallèle de la construction d'un nouvel hôpital. Il y a aussi un problème d'insécurité, c'est très compliqué de garder les professionnels de santé qu’ils soient de métropole, des autres territoires ultramarins ou même originaires de Mayotte, ils préfèrent partir.

Est-ce qu'il y a des services qui sont particulièrement touchés par le manque de médecin ?

Globalement, tous les services de l'hôpital de Mayotte sont en difficulté parce qu'on manque de médecins, d’infirmiers, de sages-femmes mais aussi de professionnels spécialisés comme des manipulateurs radio ou des techniciens de laboratoires.

Qu’attendez-vous de la part de l’État pour vous aider à sortir de cette crise ?

L'hôpital sortira de la crise quand Mayotte sortira de la crise. Je rappelle que depuis 2023, on enchaîne les crises. Il y a eu Wuambushu (une opération lancée contre l’habitat illégal insalubre, l’insécurité et l’immigration clandestine, NDLR), puis la crise de l'eau et une remontée de l'insécurité. Ensuite, les barrages et maintenant on se prépare à une épidémie de choléra. Un hôpital ne peut pas fonctionner en mode crise aussi longtemps car au bout d'un certain temps, les professionnels s'épuisent.

Au cours de votre carrière, vous avez occupé des postes de direction dans différents établissements de santé : au Centre Hospitalier d’Ariège-Couserans mais aussi au Centre Hospitalier de l’Ouest Guyanais. Les hôpitaux ultramarins sont-ils confrontés à de plus grandes difficultés que les hôpitaux de l’Hexagone ?

Je n'arrête pas de le dire, c'est beaucoup plus compliqué et plus difficile ! D'abord, il y a l’isolement, on est loin de tout, ce qui engendre des difficultés d’approvisionnement mais aussi de recrutement, car les territoires ne sont pas forcément attractifs du fait de l'insécurité en Guyane ou à Mayotte. On manque de formations professionnelles dans nos territoires, alors que c’est un élément important pour attirer les soignants. Un hôpital ultramarin est beaucoup plus difficile à gérer qu'un établissement de métropole.

Le secteur de la santé en général connaît des difficultés mais dans les territoires ultramarins, tout est décuplé. Quel est le principal problème dans les Outre-mer ?

On manque de médecins en métropole mais ici c'est encore plus difficile. La multiplicité des pathologies est plutôt un élément attractif pour les personnels de santé mais l'isolement, l'insécurité, les embouteillages comme à Mayotte, les difficultés pour trouver un logement sont autant de facteurs qui rendent nos territoires peu attractifs pour les médecins, infirmières et autres professionnels de santé.

Que faudrait-il faire selon vous pour aider ces hôpitaux ultramarins ?

Il faut mettre en place des mesures d'attractivité qui soient vraiment importantes et adaptées aux territoires. Mayotte, ce n’est pas La Réunion et la Guyane ce n'est pas la Guadeloupe. Il faut qu'on ait des propositions à destination des professionnels de santé qui soient efficaces et en lien avec les spécificités des territoires.

Pour l’hôpital de Mayotte, 2023 devait être sous le signe de la restructuration avec l'extension de la maternité ainsi que des nouveaux bâtiments pour les urgences et la pédiatrie. Est-ce que la crise a mis un coup d'arrêt à ces projets censés transformer l’hôpital ?

Il n'y a pas eu de coup d'arrêt, les travaux d'extension devaient commencer d’ici la fin de l’année. On est actuellement sur l’élaboration des dossiers techniques. Pour le nouvel hôpital, nous sommes dans la phase d’acquisition du terrain et sur les études de faisabilité. La construction de ce second hôpital est essentielle pour notre territoire car le Centre hospitalier de Mamoudzou n’est pas du tout adapté aux 300 000 habitants de l’île. On manque de lits et de salles de bloc pour répondre aux besoins d’une telle population.

Êtes-vous inquiets de ne pas avoir suffisamment de soignants pour ce second hôpital ?

La construction d'un hôpital se fait sur dix ans, ce qui nous laisse le temps de mettre en place un projet de recrutement et de formation. Il est certain que ce sera un grand enjeu pour l’hôpital et pour Mayotte car construire des murs ce n'est pas compliqué, il faut surtout mettre des humains dedans.

En septembre dernier, le personnel soignant avait exercé son droit de retrait après le caillassage d'une navette transportant des personnels hospitaliers ©Mayotte Hebdo