[DOSSIER] Santé en Outre-mer : Une prise en charge et un dépistage des cancers à améliorer (4/5)

L’Institut du cancer de Polynésie a mis en place le programme « Tārona Tere » pour inciter les femmes à se faire dépister ©Institut du cancer de Polynésie française

[DOSSIER] Santé en Outre-mer : Une prise en charge et un dépistage des cancers à améliorer (4/5)

Si l’incidence des cancers est globalement plus faible dans les Outre-mer, certains sont surreprésentés : le cancer de la prostate en Martinique, de l’œsophage à La Réunion, des poumons en Nouvelle-Calédonie ou du col de l’utérus en Polynésie. Les patients ultramarins sont souvent diagnostiqués plus tard et moins bien pris en charge sur le territoire. Dans le quatrième épisode de notre dossier sur la santé dans les Outre-mer, on s’intéresse aux causes d’un dépistage souvent tardif.

Par Marion Durand.

Moins de malades mais un dépistage moins efficace et des patients pris en charge plus tardivement. C’est ce que montre un récent rapport de Santé publique France sur l’évaluation du programme de dépistage organisé du cancer du sein sur la période 2008-2018 dans les départements et régions d’Outre-mer. Mais ce constat pourrait être appliqué à bien d’autres types de cancers.

« Globalement l’incidence des cancers dans les départements et régions d’Outre-mer est inférieure à l’Hexagone mais certains cancers sont plus représentés dans ces territoires », précise le docteur Jérôme Viguier, conseiller médical à l’Institut national du cancer.

Les cancers du côlon rectum, du sein, du col de l’utérus et de la prostate sont les plus répandus dans les Outre mais chaque territoire présente des spécificités. « En Guadeloupe, en Martinique, à La Réunion et en Guyane, les cancers de l’estomac et des cellules sanguines, les myélomes, sont plus nombreux. La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française comptent davantage de cancers du poumon, surtout chez la femme », détaille l’oncologue.

Facteurs sociétaux et environnementaux

Le surpoids, l’obésité et le diabète, très importants dans les Outre-mer, sont des facteurs aggravants pour la plupart des cancers. L’origine ethnique est un facteur de risque pour d’autres cancers. « Les populations afro-descendantes, comme dans les Antilles, sont moins touchées par les cancers colorectaux ou les cancers du sein mais plus touchés par les cancers de la prostate », indique Jérôme Viguier. Des facteurs environnementaux, comme l’exposition à des facteurs toxiques, expliquent aussi des disparités selon les territoires.

En Guadeloupe et en Martinique, le taux d’incidence du cancer de la prostate est deux fois plus élevé qu'ailleurs en France. Cette prévalence serait en partie liée à la présence de chlordécone dans les sols et les eaux des Antilles. En 2021, un rapport de l’institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a mis en évidence un lien entre le risque de survenue d’un cancer de la prostate et l’exposition à ce pesticide, utilisé dans les bananeraies de 1972 à 1993 pour lutter contre le charançon du bananier.

Durant une journée dédiée au dépistage, les femmes participent à des ateliers et à des activités de remise en forme ©Institut du cancer de Polynésie française

L’exposition des populations guyanaises aux métaux lourds, notamment au plomb et au mercure, fait l’objet de nombreuses études épidémiologiques. En Polynésie, l’impact des essais nucléaires sur la santé des habitants est étudié de près par les chercheurs. Selon une étude de l’Inserm publiée en mai 2023 et basée sur des données déclassifiées de l’armée, les essais nucléaires ont bien augmenté les risques de développer des cancers de la thyroïde. Ces essais pourraient être responsables de 0,6 % à 7,7 % des cas.

« Pour la vaccination contre le Papillomavirus, on a 20 ans de retard »

Dans le Pacifique, l’incidence du cancer du col de l’utérus est deux à trois fois plus élevée que dans l’Hexagone. Pourtant, la vaccination contre les Papillomavirus (HPV) permet de prévenir jusqu’à 90 % des infections HPV à l’origine de ces cancers, est peu fréquente. « Pour le moment, seulement 200 vaccins sont réalisés chaque année sur une population évaluée à 15 000 enfants éligibles », regrette la directrice de l’Institut du cancer de Polynésie française, le docteur Teanini Tematahotoa. « Pour la vaccination contre le Papillomavirus, on a 20 ans de retard ! C’est une urgence sanitaire, le cancer du col de l’utérus est le seul cancer est évitable. La vaccination peut le faire disparaître, c’est une avancée majeure ! ». 

Dans la plupart des territoires ultramarins, la couverture vaccinale des adolescentes de 15 à 18 ans contre le Papillomavirus est très faible : 13,8 % en Guadeloupe, 17,2 % en Martinique, 22,6 % en Guyane et 24,0 % à La Réunion contre 43,6 % dans l’Hexagone. Si les Ultramarins affichent une certaine réticence aux vaccins, le manque d’information explique aussi ces taux insuffisants.

Le cancer du sein reste le plus répandu chez la femme dans le monde, y compris dans les DROM. En France, un programme national invite tous les deux ans les femmes âgées de 50 à 74 ans à effectuer une mammographie de dépistage, complétée par un examen clinique des seins. Les femmes d’Outre-mer y participent autant que celles résidant dans l’Hexagone mais dans les DROM, les taux de cancers détectés sont inférieurs selon Santé Publique France, qui a mené une évaluation de son programme de dépistage dans les départements et régions d’Outre-mer.

Pourquoi moins de cancers sont-ils détectés ? D’abord parce que l’incidence est plus faible. Mais surtout parce que le programme de dépistage y est moins efficace. « Moins d’échographies complémentaires (sont) réalisées en cas de difficultés de lecture, moins d’examens diagnostiques (sont) réalisés en cas de dépistage positif, des valeurs prédictives positives plus faibles, des taux et proportions de cancer de petite taille détectés plus faibles », indique le rapport qui préconise une « amélioration des pratiques de dépistage dans les DROM, en particulier en Guyane ».

Des courriers qui n’arrivent pas à destination

En Guyane, le taux de participation au dépistage est le plus faible. Agnès Rogel, à l’origine de l’étude et épidémiologiste spécialisé dans le domaine du cancer l’explique : « Dans ce territoire, il y a un problème d’adressage des courriers invitant les femmes à se faire dépister. Les adresses sont moins précises, les courriers n’arrivent pas toujours à destination. C’est plus difficile de joindre les personnes. Le programme actuel est pensé pour l’ensemble de la France, des adaptations locales seraient nécessaires. Il faut penser à des nouvelles stratégies pour aller vers ces personnes souvent isolées. »

Ailleurs, si les femmes se rendent au premier dépistage, une partie d’entre elles est ensuite « perdue de vue » par les médecins. Cela concerne 0,4 % des femmes dépistées en métropole, 1,1 % des femmes à La Réunion, 2,2 % en Guyane, 2,5 % en Guadeloupe et 3,6 % en Martinique. « Quand elles sont invitées à faire un dépistage, les femmes s’y rendent mais on remarque que moins d’examens complémentaires sont réalisés avec des délais importants », précise Agnès Rogel. Cette sous-performance du programme de dépistage est liée à un accès plus difficile aux centres de soins pour les populations isolées, à des équipements médicaux moins importants (pour les échographies) ou à une pénurie de médecin spécialisé dans certains territoires.

Alors qu'à Mayotte, un tiers des cancers détectés sont des cancers du sein, la mammographie, qui est le moyen de dépistage le plus performant, n'est actuellement plus disponible sur le territoire depuis le début de l’année selon nos confrères du journal de Mayotte.

La crainte du diagnostic et la peur de la mort

Le docteur Teanini Tematahotoa remarque elle aussi, des failles dans les programmes de dépistage : « Il y a un retard au diagnostic en Polynésie, mais cela concerne de nombreuses pathologies, pas uniquement la cancérologie. » Ces retards ont des conséquences sur la survie des patients. « Parfois, le dépistage n’est pas fait assez tôt, la prise en charge est retardée car le patient n’est pas allé consulter ou qu’il est perdu de vue », regrette la directrice de l’Institut du cancer de Polynésie française.

La crainte est aussi un frein au dépistage. « Les gens ont peur du diagnostic, ils se disent encore qu’avoir un cancer c’est mourir, alors le déni s’installe », remarque la médecin gynécologue. Elle observe un rapport particulier à la maladie : « La notion de prévention, le fait de consulter avant de se sentir malade, n’est pas vraiment établie en Polynésie. Les patients disent qu’ils sont tombés malades quand ils ont fait leur mammographie. Ils ont du mal à se dire que la maladie était là avant. » Cette peur du diagnostic créé un tabou et le sujet n’est que rarement abordé dans les familles ou avec le médecin traitant. « Pour les femmes, c’est à partir du moment où on parle du cancer qu’il va venir ».

La Polynésie est un archipel grand comme l’Europe. Les principaux établissements de santé sont concentrés sur l’île principale, Tahiti. Les habitants des 76 îles habitées sur 118 au total peuvent compter sur des infirmeries ou des postes de secours disséminés dans tous les archipels mais le seul hôpital pratiquant la cancérologie se trouve à Tahiti, dans l'agglomération de Papeete. Il faut plusieurs heures d’avion pour venir des îles les plus éloignées. Même pour les femmes vivant dans les vallées isolées de l’île principale, se rendre à l’hôpital pour un dépistage n’est pas toujours facile. 

En 2023, 123 femmes ont participé au projet « Tārona Tere » en Polynésie ©Institut du cancer de Polynésie française

Alors, l’Institut du cancer a mis en place le programme « Tārona Tere » (transport Rose) en partenariat avec les communes. Un bus récupère les femmes à domicile pour les amener, en groupe, à l’hôpital. « Entre femmes, il y a des échanges qui permettent une certaine libération de la parole autour de la maladie et du cancer ». L’initiative, gratuite, permet de surmonter les difficultés de déplacement et les craintes lors d’une journée dédiée où les patients participent à des ateliers de tressage. « Certaines femmes ont pleuré en sortant de la mammographie… On réalise à quel point elles avaient peur mais elles sont tellement fières d’elle d’avoir réussi à le faire », confie Teanini Tematahotoa.

Le docteur Jérôme Viguier note que « la fragilité des équipes d’oncologie dans certains territoires d’Outre-mer peut être à l’origine d’un rallongement des délais ou d’une impossibilité de traiter sur place, comme à Saint-Pierre-et-Miquelon ou à Wallis-et-Futuna où la prise en charge se fait en dehors du territoire ». Il rappelle toutefois que « 85 % des personnes hospitalités pour cancer dans les DROM ont reçu la totalité de leur traitement dans leur territoire ». Là aussi, il existe des disparités selon les territoires. La Réunion traite 94,2 % des personnes diagnostiquées sur place selon les chiffres de l’Institut national du cancer. La Martinique prend en charge 87 % des personnes alors que seulement 44 % des patients sont traités pour l’ensemble de leur séquence de traitement en Guyane. « Nous devons éviter au maximum les déplacements pour traiter dans les territoires et diminuer le non-recours aux soins », conclut le conseiller médical.

En décembre dernier, le Comité interministériel des Outre-mer a retenu 72 dispositions pour les territoires ultramarins, dont une mesure dédiée à la réduction des délais de prise en charge des cancers et à l’amélioration du dépistage. Le plan d’action fera l’objet de nouvelles discussions au cours du premier semestre 2024.

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